L'art est indéfinissable. Il n'y a pas de début à
l'art et personne ne peut décider de ce qui est beau et de ce qui ne
l'est pas. Nous avons présenté chaque semaine des oeuvres avec
une grande diversité. On ne peut toutefois réduire l'art
à la dimension picturale que nous avons choisie pour illustrer les
couvertures du JAMA-français. L'art va bien au-delà. Il est la
pensée, le rêve, les sentiments de celui qui s'exprime par la
palette, le canevas et les couleurs, mais aussi la musique, la forme, la
dimension du monde qui nous entoure.
Dans l'art s'exprime à la fois la dimension sociale,
l'éducation et le sentiment subjectif de chacun, de l'artiste à
celui qui regarde.
Les époques ont parfois dicté l'expression. Des premiers
hommes qui racontaient avec lyrisme leurs aventures sur les murs des grottes
et qui nous ont laissé des souvenirs de la société
primitive aux contraintes religieuses du Moyen-Age, l'art a malheureusement
souvent été un outil aux mains (ou au profit) de quelques uns.
Il a loué la grâce imaginaire des dieux de l'Antiquité
dans un monde que l'on voulait philosophique par rapport à des mo eurs
barbares, il a été érigé en témoignage de
la puissance des rois du Nil, il a véhiculé la puissance de Rome
et les exemples ne manque pas jusqu'au réalisme d'état des
régimes fascistes ou au réalisme social des régimes
communistes.
Mais l'art qui est toute forme d'expression, n'est-il pas aussi dans la
simplification propre aux dessins de l'enfance et lorsque le poète
s'exclame: « au fond de cette coupe où je buvais la vie,
peut-être restait-il une goutte de miel », exprimet-il une
souffrance différente qu'un Jason Pollock perdu dans l'univers
emmêlé de ces grands tableaux au fil sans fin ou de
l'interrogation d'un Rothko essayant d'équilibrer et de fixer un
univers dans de grands rectangles.
Lorsque Bruckner et Gustav Mahler souffrent à Venise, ils nous
livrent des pages sublimes. Mais cette souffrance dépressive qu'ils
expriment par la musique, n'est-ce pas la même que l'on retrouve dans
les peintures de certains malades mentaux qui livrent non seulement leur
état d'âme, mais aussi le besoin de communication vers l'autre.
Et lorsque l'artiste nous propose un point sur un fond sombre, n'est-ce pas un
appel à communiquer avec celui qui regarde ce point?
En définitive, doit-on souffrir pour exprimer une forme
artistique?
La réponse est probablement non. Franz Hals et les sourires de ses
personnages nous invitent à la fête. Canaletto nous livre le
témoignage d'un voyage au fil des canaux de Venise. Vivaldi est aussi
le rire de l'Italie.
L'art n'est donc pas seulement souffrance, il est toutes formes.
Alors pourquoi l'art fut-il si monolithique à certaines
époques? L'art a subi, comme toute forme de production, les
nécessités fonctionnelles de la vie. Un artiste vivait et vit
encore de son oeuvre. Les mécènes ont aidé l'art à
se développer, mais ils l'ont aussi contraint. Les innombrables
scènes de famille, portrait des uns et des autres, sont là pour
nous rappeler que certaines artistes ont sacrifié à la
nécessité du matérialisme et ceci nous permet de mieux
apprécier la force de caractère et l'âme trempé
d'autres artistes qui, à des époques de conformisme et
d'académisme, ont tenu bon pour bouleverser les tendances et imposer la
nouvelle vision de leur art. Le génie peut exister en dépit de
tout.
Lorsqu'Einstein en 1916 décrivit la loi de la relativité, il
allait contre les théories de son époque.
Lorsque Redon peignait le rêve, il était précurseur de
la psychanalyse.
Enfin, lorsque Mondrian déstructure le monde et nous invite à
le suivre dans son voyage infernal, il modernise la physique optique.
Ces réflexions nous incite à beaucoup de modestie
vis-à- vis de l'oeuvre artistique. Il est encore trop fréquent
d'entendre dire: « c'est horrible, ce n'est pas de l'art. » Qu'en
sait-on et si cette forme d'art ne stimule aucune réaction chez le
spectateur, n'est-ce pas aussi parce que celui-ci ne fait pas un effort de
réflexion devant une chose inconnue, n'est-ce pas aussi parce ce
même spectateur est figé dans ses contraintes sociales et
éducatives qui l'empêchent d'accéder aux sentiments et
à la pensée de l'artiste qui se dévoile devant lui.
N'est-ce pas enfin un manque de communication?
On comprend souvent avec les bases de ce que l'on sait et si l'on sait peu,
on comprend peu.
La compréhension de l'art demande un certain effort et une
démarche qui se doit se faire sans préjugés.
En face d'une oeuvre, laissons-nous aller et essayons de comprendre ce qu'a
voulu dire l'artiste et si l'on ne comprend toujours pas, faisons l'effort de
parler et de discuter avec autrui, faisons-nous expliquer les raisons, les
sentiments ou les rêves. Nous aurons alors franchi un grand pas vers la
compréhension du monde qui nous entoure.
Faisons l'effort de comprendre ce qui se cache derrière la couleur
et la forme.