On ne présente plus Claude Monet. Inventeur avec Renoir de «
l'impressionnisme », il est un des peintres dont l'influence et la
célébrité ont fait le tour du monde. Il suffit qu'une
exposition de ses nymphéas se déplace et c'est une foule de
visiteurs qui se presse et attend à l'extérieur des salles.
Un succès qui aurait peut-être perturbé cet homme
simple et direct.
En 1840, il naît à Paris et déménage avec sa
famille au Havre à l'âge de 5 ans.
Pour le petit Claude, dans les bras de sa mère, 1840 n'est que
l'année de sa naissance. Sortant de son coma fœtal, il entre dans
un monde en révolution. Emile Zola et Tchaikovski naissaient au premier
semestre de la même année, tandis le virtuose Paganini
disparaissait. Louis-Philippe se séparait de Thiers (celui-là
même qui préparait déjà son retour quelques trente
années plus tard après un roi et un empereur). Deux jours avant
Monet, le petit Rodin naissait: encore un géant de l'art!
Enfin, le 15 décembre en grande pompe, les cendres de
Napoléon, contre l'avis de beaucoup, étaient
transférées au Panthéon.
Le 19ème siècle français était celui de l'art
et de la science!
Quel monde en mouvement qui nous fait paraître celui de 2007 bien
tranquille avec ses préoccupations purement économiques et ses
inquiétudes purement sociales.
En 1845, la famille Monet part donc au Havre, région normande qui
marquera le petit Claude. Claude Monet vivra et mourra à Giverny en
Normandie.
Arrivé à un âge adulte, il part à l'armée
en Algérie. C'est l'époque où Louis-Philippe, le roi des
français, envoie outre-mer ses troupes pour redorer son blason. La
France y perdait des soldats, mais y gagnait des colonies.
Sa tante Lecadre (il a peint sa belle-sœur Lecadre), dont le nom
était prédestiné pour un peintre, l'aidait à
mettre un terme à son épopée nord-africaine et le fit
entrer à l'université qu'il n'aima point. Peut-on l'en
blâmer, quand l'art enseigné était avant tout le style
conventionnel et compassé d'un empire (on avait sauté le pas, de
la royauté à l'empire, les choses allaient vite à cette
époque-là) qui n'avait pas mille ans devant lui, mais seulement
8 années.
En 1862, alors qu'il étudiait avec Charles Gleyre à Paris, il
rencontre Renoir. Quelle rencontre! Celle de la lumière et celle de
l'impression qui passe. Deux amis qui allaient le rester toute leur vie.
Claude Monet épouse son modèle Camille Doncieux et
déménage à Argenteuil, proche et tranquille banlieue de
Paris, non encore traversée par les autoroutes et
défigurée par les pavillons. Monet et sa femme (et leur enfant)
se déplacent ensuite à Vetheuil chez les Hoschède. Ils y
restent de nombreuses années, y ont un deuxième enfant, avant
que Camille ne décède le 5 septembre 1879.
Monet en fait un tableau sur son lit de mort. Souvenir de ses jeunes
années (il n'a alors que tut juste 36 ans). S'éloignant de plus
en plus de Paris, il emménage à Giverny, dans cette maison
où il décédera et dans le jardin de laquelle il a peint
parmi ses plus beaux tableaux. Jardin qu'il a composé à son
goût pour pouvoir peindre et non pas peindre ce qu'il voyait simplement
autour de lui. La peinture l'emporte sur le réel.
On ne peut rien ajouter à la longue biographie de Claude Monet ni
aux nombreuses critiques de son art. L'impression qu'il cherchait restera
esthétiquement un chef d'œuvre de lumière
apprivoisée. Le temps passe, la lumière change, aussitôt
Monet la saisit, la fait évoluer avec l'heure, nous montre la
même vue sous des pénétrations lumineuses
différentes et éblouissantes. Monet saisit
l'éphémère et tout ce qui fuit dans la nature. Celle-ci
évolue sous le regard de Monet qui capte la lumière en touches
vives et rapides, des cailloux de lumière.
En 1884, Monet rencontre le « milliardaire rouge » (un des
premiers et pas le denier à vivre ce paradoxe), Octave Mirbeau, autre
normand. Celui qui faisait trembler le bourgeois tout en vivant comme ceux
qu'il pourfendait. Mirbeau est un anarchiste de la plume, un enragé des
salons, un activiste impatient mais immobile. S'il tue, c'est en
écrivant et encore, lui-même ne croit plus au pouvoir du verbe
lorsqu'il écrit à Claude Monet: « J'arrive à cette
conviction qu'il n'y a rien de plus vide, rien de plus bête, rien de
plus parfaitement abject que la littérature. » Sans commentaire.
Ils resteront liés jusqu'à sa mort
En 1892, Monet se remarie avec Alice Hoschède, avec laquelle il
avait déjà eu une aventure tandis qu'il était
marié à Camille.
Les années de 1880 à 1890 sont les grandes années de
Claude Monet et la plupart des chefs d'œuvres que nous admirons dans les
musées aujourd'hui ont été peints durant cette
période.
En 1870, il avait rencontré au Royaume-Uni, Turner et Whistler se
liant d'amitié avec ce dernier et la peinture révolutionnaire de
Turner les avaient profondément influencés.
Il revint donc à Londres à plusieurs reprises entre 1899 et
1904, période au cours de laquelle, il peignit plus de 100 tableaux sur
le thème du brouillard londonien, ce qui, à cette époque,
était particulièrement adapté. Toute cette période
de la vie est consacrée à l'étude de la lumière
sur ses sujets. La lumière devient son obsession, peutêtre sa
cataracte jouait-elle un rôle dans cette recherche?
On a beaucoup écrit sur Monet et l'impact de sa cataracte sur sa
vision des couleurs, mais si ses nymphéas durent en souffrir, ce
n'était certes pas l'avis de Clemenceau qui lui disait: « Vous me
bombardez d'un monstrueux caillou de lumière. » Ah, ce choc en
voyant ces couleurs et la vibration de la lumière! En réduisant
(le terme est pourtant mal choisi) l'objet à la lumière qu'il
reflète, Monet ouvrait la voie à l'abstraction.
Mais, bien que contemporain des premières abstractions, Monet n'a
jamais adhéré à ce mouvement.
Ce qui intéresse Monet, c'est la métamorphose des objets sous
l'effet de la lumière et ce jeu d'ombres, de soleil, de rayons, de vent
qui agite, de moiteur qui modifie la luminosité, Monet mieux que
quiconque l'a compris avant tout le monde. Kandinsky, en 1910, s'exclamait
devant un tableau de Monet représentant une des Meules: « Je
compris là le pouvoir fabuleux de la peinture. »
Monet a toujours refusé une démarche intellectuelle pure
devant son chevalet, démarche qui conduira à l'abstraction sous
toutes ses formes jusqu'à faire de le peinture un pur objet de
l'intellect.
Monet est un objectif qui reproduit ce qu'il voit ou ce qu'il a
l'impression de voir. Cézanne, tiré vers l'abstraction, dira de
Monet: « Monet, ce n'est qu'un œil, mais quel œil!
»
Dans le tableau présenté dans ce numéro, Monet a peint
l'Epte, affluent de la rive droite de la Seine, qu'elle rejoint près de
Giverny. Ce fait anecdotique a son importance quand on sait que cette
rivière marquait autrefois la limite entre la Normandie et l'Ile de
France (traité de Saint-Clair-sur-Epte entre Rollon, le chef viking et
Charles III dit le Simple). Cette petite rivière que peint Monet allait
séparer les terres et donner aux vikings la Normandie avec notamment le
Vexin, le Pays de Caux, le Roumois, l'Evrecin, le Lieuvin et le Pays
d'Auge.
Si Monet ignorait peut-être cette histoire, il n'ignorait pas que
l'étang aux nymphéas était alimenté par un bras de
l'Epte à Giverny. Le tableau nous restitue une rivière
tranquille bordée de peupliers, les nuages fuyant en arrièreplan
et créant le mouvement.
Définitivement rattachée à la France en 1449, cette
région allait enfin connaître la paix.
Monet nous y entraîne et la restitue mieux que personne.
Monet disparût en 1926, il avait connu la royauté, l'Empire,
la République et les guerres. En 1926, Le Duce devenait le maître
de l'Italie fasciste et réduisait à néant les pouvoirs du
Roi Victor-Emmanuel III. Goddard faisait décoller la première
fusée et Baird inventait la télévision. Il est bon que
Monet n'ait pas vu tout cela.