Odilon Redon fut l'un de nos plus grands peintres symbolistes et le
parcours de sa vie emprunte des voies qui restent jusqu'à aujourd'hui
imprégnées de mystère.
Né dans un siècle de bouleversements et de progrès, le
jeune Odilon Redon a connu des événements forts dans son enfance
et sa jeunesse qui ont définitivement marqué son
caractère.
Si l'on dit souvent qu'à six ans, tout est joué, ce fut bien
son cas et son appartenance à un monde sombre et
ésotérique, empreint de rêve, vient sans aucun doute des
premières années de sa vie.
Né à Bordeaux, il est le fils d'un couple que l'on
qualifierait aujourd'hui de « mixte ». Son père avait
épousé sa mère, une créole de la
Nouvelle-Orléans, en Amérique. Ils ne reviendront en France que
5 à 6 ans plus tard. Odilon Redon, enfant d'une sensibilité
particulière et très précoce, restera à jamais un
apatride dans l'âme.
Extrêmement doué pour le dessin, il dessine avant de savoir
écrire, et s'oriente naturellement vers l'expression artistique. Les
premières années du jeune Odilon sont celles d'une douloureuse
adaptation au monde de l'école qu'il ne suit qu'avec
difficulté.
A 7 ans, le voilà à Paris, accompagné d'une vieille
bonne. Paris, c'est la découverte des musées et des toiles des
maîtres qui frappent le jeune enfant. Les grandes toiles, mettant en
scène les drames historiques, sont la révélation du monde
de l'art et de ce que l'on peut exprimer avec un pinceau et une palette.
Il tient sa vocation et se consacrera à la peinture dont il
deviendra un des coloristes majeurs.
Après des séjours en atelier, d'abord chez Stanislas Gorin,
puis chez le « baron » Gérôme avec lequel les
rapports sont difficiles, il découvre petit à petit la richesse
d'un siècle qui s'ouvre à la liberté après des
siècles de royauté et d'Empire.
Très tôt, il imprègne son art de sa personnalité
et apprend la technique de l'eau forte et de la lithographie. Après un
voyage en Belgique et en Hollande, il publie en 1879 un premier album de
lithographie « Dans le Rêve » dans lequel il se montre comme
un précurseur de la psychanalyse, cherchant à travers les
rêves, une descente dans l'inconscient.
Son art sera désormais celui de l'exploration de l'imaginaire et de
l'inconscient.
Les 15 années suivantes seront celles du pastel, de la peinture
à l'huile, de la couleur et des rencontres avec les maîtres de
l'époque. Suivre alors son itinéraire, c'est feuilleter les
pages d'un catalogue de peinture et d'une anthologie de la littérature.
Car ce siècle est riche de génies. Il rencontre, Gauguin,
Maurice Denis, Fantin-Latour, Delacroix... Aujourd'hui des noms d'artistes
accrochés dans tous les musées du monde, mais à cette
époque, des contemporains de Redon, qui l'enrichissent sans influencer
réellement son art. Il continue à voguer dans ses rêves et
l'inconscient qui l'inspirent.
La fin du siècle arrive, un nouveau commence. Les nuages
s'accumulent, les orages sont pour bientôt. Mais Redon, qui a
déjà participé en tant que simple soldat aux combats de
1870 sur la Loire, n'a plus l'âge d'être enrôlé. Il
est désormais connu. En 1903, la légion d'honneur lui est
attribuée, honneur rare à cette époque, moins de nos
jours. En 1904, une salle entière comportant 62 œuvres lui est
consacrée au Salon d'Automne. En 1908, il part voyager à Venise
avec sa femme et son fils.
A son retour, il passe quelque temps à Bièvres dans la villa
de sa défunte belle-sœur, Juliette Dodu, créole de
l'île de la Réunion, demi-sœur de sa femme, et
elle-même héroïne de la « résistance » en
1870, décorée de la légion d'honneur. Sa
belle-sœur, décédée en 1909 chez lui,
s'était fait remarquer par son audace et sa détermination par
ses transmissions secrètes des communications de l'armée
prussienne à Pithiviers. Elle avait échappée de peu au
peloton d'exécution lorsque, condamnée à mort par
l'occupant ennemi, elle avait été sauvée de justesse par
la signature de l'armistice.
Odilon Redon est désormais un peintre connu, dont les toiles font le
tour du monde. Il est exposé aux Etats-Unis. New York, Chicago et
Boston, lui font honneur.
Agé de plus de 70 ans, Odilon Redon reste dans le monde de
l'imaginaire. Il rejoint ses rêves un 6 juillet 1916 et sera
inhumé au cimetière de Bièvres, dans la région
parisienne.
Avec lui disparaissait « l'âme du roi des mondes imaginaires
» dont l'œuvre complète n'a pas été
complètement décryptée. Le sera-t-elle un jour ? Sans
doute puisque nous cherchons de nos jours une explication à toutes
choses, mais le dernier mot n'appartient-il pas à Odilon Redon :
« L'artiste vient à la vie pour un accomplissement qui est
mystérieux. Il est un accident. Rien ne l'attend dans le monde social
». Tout est dit et le mystère demeure.