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  Vol. 299 No. 13, 2 avril 2008 TABLE OF CONTENTS
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Auto-portrait de Zahari Zograf


Figure 1
Zahari Zograf, 1810-1853, Auto-portrait, bulgare.

La Bulgarie est un pays de contraste et de richesses culturelles. Elle fut bien avant le Moyen-Orient et l’Egypte des pharaons, une contrée développée, au travail artistique subtil, peuplée d’orfèvres talentueux et de rituels élaborés.

L’histoire de ce pays est incroyablement complexe. Carrefour entre l’Orient et l’Occident, la Bulgarie fut surtout l’objet de convoitises de son puissant voisin, l’Empire Ottoman. Probablement un des rares pays dans cette région à avoir eu lors de son histoire accès à trois mers (Mer Noire, Mer Egée et Mer Adriatique), l’évolution voulut que ce royaume des Tsars bulgares éclate en différentes nations qui devinrent petit à petit ce que l’on connaît aujourd’hui des pays de l’Est européen. Mais ce royaume, qui fut moitié romain, moitié grec, puis envahit par les slaves avant de passer en d’autres mains, subit pendant plusieurs siècles la domination de la Sublime Porte. Proche (trop proche) de Constantinople (Istambul), il constituait un emplacement trop stratégique pour que l’Empire Ottoman lui laisse son autonomie. La Bulgarie dut ainsi s’accommoder pendant plusieurs siècles de la domination des Turcs.

Le pays attendit la deuxième moitié du 18ème siècle pour vivre sa renaissance, puis patienter encore un siècle et forger son indépendance à la force des armes pour y arriver enfin en 1878. La Bulgarie ne savait pas encore qu’elle subirait à nouveau pendant plus de 40 ans une domination tyrannique des communistes et de son puissant voisin, l’Union Soviétique qui ne lui laissa aucun choix possible. Par la lâcheté des nations qui se couchèrent à Yalta, la Bulgarie ne fut jamais un pays, une nation, une contrée indépendante, mais un ensemble de cultures, de religions et de peuples.

La domination turque ne fut pas contrairement à ce qu’en pensait Lamartine une simple féodalité. Si celui-ci ne vit que peu, et souvent avec l’œil exalté du poète romantique : « Le Pays que les Bulgares habitent serait un jardin délicieux si l'oppression aveugle et stupide de l'administration turque les laissait cultiver avec un peu plus de sécurité : ils ont la passion de la terre »— Lamartine « Voyage en Orient », ce qu’il vit fut inexact.

Sur le plan religieux, il est vrai de dire que la domination turque fut brutale, mais sur l’échelle de la violence humaine, elle ne fut jamais intolérable. Bien au contraire, une certaine tolérance civile s’établit en Bulgarie. Les moines, devant la destruction des églises, préférèrent toutefois s’isoler dans les montagnes et y construisirent des monastères à l’abri de la vindicte ottomane. Ces monastères sont toujours présents et aussi richement décorés qu’ils ne le furent au cours des siècles derniers.

Le royaume bulgare vécut jusqu’en 1946 avant que le joug communiste ne lui impose une nouvelle servitude et un lourd tribut en vies humaines que le pays paya sans dire mot.

C’est après le milieu du 18ème siècle qu’éclata la renaissance nationale bulgare. Alors que ce pays, bien avant la renaissance italienne, avait montré tout son savoir faire en matière artistique, cette longue succession de dominations diverses et de partages incessants, stoppa l’évolution intellectuelle et artistique durant plusieurs siècles. L’art se limitait aux peintures murales et aux icones slaves. Dès le début du 19ème siècle, le sentiment nationaliste se renforça. Guidé par des intellectuels et des artistes, les bulgares redécouvrirent le sentiment de la révolte. Celle-ci finit par éclater en 1876 et malgré son échec qui entraîna la mort de 30 000 bulgares, les nations occidentales et la Russie finissent par s’intéresser au sort de ce pays perdu. Jusqu’aux Etats-Unis, le sort des Bulgares émut les élites intellectuelles et les politiques. Si la Russie espérait mettre la main sur le Bosphore, ce qu’elle fera en définitive, les autres nations eurent un sentiment de révolte sentimentale et humaine devant les massacres perpétrés. « On massacre un peuple. Où ? En Europe. Ce fait a-t-il des témoins ? Rien qu'un témoin, le monde entier. Les gouvernements l'aperçoivent-ils ? Non ! Aura-t-il une fin, le martyre de ce peuple héroïque ? Il est grand temps que la civilisation l'interdise »— Victor Hugo—Août 1876.

En 1877-1878, la Russie et la Roumanie mènent une nouvelle guerre contre les Turcs qui se terminera par la libération de la Bulgarie. Si aujourd’hui, la Turquie éprouve beaucoup de difficultés à s’imposer dans le monde moderne et occidental, peut-être doit-elle se poser des questions sur les trop nombreux massacres qui jalonnent son histoire, du Bulgaroctone, Basile II le byzantin, au sultan rouge jusqu’au massacre des Arméniens.

Mais nous sommes au 18ème siècle, la renaissance bulgare éclate, des poètes, des architectes, des peintres se révèlent. Parmi ces derniers, Zahariy Hristovich Dimitrov (1810–1853), connu sous le nom de Zahari Zograf est de loin le peintre bulgare le plus célèbre de cette renaissance nationale.

Zograf crée un style. Les icones et les peintures murales religieuses sont encore très vivants. La grande nouveauté de Zograf est d’y introduire des scènes de la vie quotidienne. Il va montrer la réalité, remplacer les couleurs austères et strictes par des tons gais et vifs.

Né dans la ville de Samokov (dans la province de Sofia) en 1810, formé par son frère Dimitar Zograf, il part étudier avec Néophyte de Rila (ou Néophyte Rilski) en 1827 et à l’âge de 21 ans, en 1831, il est nommé maître.

Zograf va consacrer sa vie à la peinture murale décorant de fresques sublimes la plupart des grands monastères de son pays, notamment les monastères de Bachkovo, de Troyan et de la Transfiguration où il se met en scène sous la forme d’auto-portraits, audace plus que controversée à cette époque de domination ottomane. Dans plusieurs fresques de différents monastères, Zahari se peint à côté même de l’abbé.

Sur l’auto-portrait que nous présentons, Zograf est encore habillé à la mode ottomane, la coiffe traditionnelle, le long manteau, un pinceau à la main. L’écriture est cyrillique. Celle-ci fondée vers 860 par deux moines de Salonique, Cyrille et Méthode, était depuis le 9ème siècle la langue officielle de la Bulgarie. Simple application de l’alphabet grec à la langue slavone, elle est encore aujourd’hui la langue de nombreux pays slaves.

Vers 1851, Zograf va s’installer dans un des monastères du Mont Athos où il continue son travail de décoration murale. Il travaille notamment dans le monastère du Grand Lavra, construit vers le 10ème siècle avec le soutien financier de l’empereur byzantin, Nicéphore II. Ce monastère qui est le plus ancien et le plus grand des monastères du Mont Athos, abritait encore dans les années 90 plus de 300 moines. Il comprend 37 chapelles et sa librairie est riche de plus de 2046 manuscrits et 30 000 livres.

Zograf passe son temps entre la décoration murale, les portraits des bienfaiteurs et des esquisses qu’il laissera en grandes quantités. Mais le 14 juin 1853, alors qu’il n’a que 43 ans, il est emporté par le typhus.

Zograf restera comme le plus grand peintre de la renaissance nationale bulgare. Bien que son style soit fortement influencé par l’art séculaire slave et byzantin, il a su introduire des nouveautés, telles que des éléments de la vie de tous les jours, une audace à cette époque qui nous paraît bien timide aujourd’hui. Mais, dans un pays cadenassé comme l’était la Bulgarie au 19ème siècle, sans contact avec l’occident, la peinture de Zograf était bien révolutionnaire.

Jean Gavaudan, MD







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