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  Vol. 296 No. 11, 20 Septembre 2006 TABLE OF CONTENTS
  Perspectives De Soins En Fin De Vie
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Questions spirituelles dans les soins des patients en fin de vie

"... c'est entendu entre Dieu et moi"

Daniel P. Sulmasy, OFM, MD, PhD


RÉSUMÉ

Les questions spirituelles se posent fréquemment dans les soins des patients en fin de vie. Cependant les professionnels de santé peuvent ne pas les identifier, ne pas penser qu'ils ont le devoir de les traiter, et ne pas savoir comment y répondre au mieux. Nous utilisons le cas d'un patient atteint d'un cancer du pancréas métastatique, habité d'une forte croyance religieuse en une guérison miraculeuse, pour étudier comment une meilleure appréhension de cette croyance et un dialogue plus formellement spirituel entre l'équipe soignante et le patient auraient pu contribuer à l'initiation d'un meilleur projet de soins. Cet article établit une distinction entre spiritualité et religion; il définit les besoins spirituels saillants des patients en fin de vie, englobant des questions de sens, de valeur et de relation; il détermine le rôle que les médecins devraient assurer en identifiant ces besoins et en y répondant; en dernier lieu, il examine la question particulière des miracles, en suggérant que les espoirs de guérison miraculeuse ne devraient pas exclure l'orientation des patients vers des soins palliatifs.

JAMA. 2006 ; 296 : 1385-1392.



L'HISTOIRE DU PATIENT

Monsieur W., homme de 54 ans avec antécédent d'hypertension, de bronchite, et de lithiase rénale, se présente 3 mois avant son admission avec des douleurs croissantes dans le haut du dos. Un examen d'imagerie par résonance magnétique révèle une lésion lytique du corps vertébral de T7, suggérant une affection maligne. Fin juin 2005, Il est admis au service de neurochirurgie d'un hôpital universitaire pour résection de la lésion, qui se révèle être un adénocarcinome. Des investigations complémentaires révèlent une lésion de 2,8 cm dans la queue du pancréas, des nodules pulmonaires multiples, et des lésions costales. Immédiatement après sa corpectomie en T7 et son arthrodèse, le patient présente une évolution sans complication. Les services d'oncologie et de médecine interne sont consultés.

Une semaine après l'opération, pendant l'organisation du renvoi de Monsieur W. vers un centre de réadaptation, son état respiratoire commence à se détériorer. Après découverte d'un épanchement pleural, un drain thoracique est mis en place, ponctionnant 2 L de liquide. Malgré le drainage, les besoins en oxygène du patient augmentent rapidement, passant de 2 L/min à 80 % d'oxygénation par masque plus 6 L/min par sonde nasale. Il est transféré au service de médicine générale pour un suivi complémentaire.

Informée que Monsieur W. ne souhaite pas être intubé ni réanimé, l'équipe médicale tente de traiter les causes sous-jacentes potentielles de l'aggravation rapide de son état respiratoire. Malgré quelque amélioration avec la BIPAP (bi-level positive airway pressure), la situation du patient reste extrêmement contraignante.

Après drainage thoracique continu, couverture antibiotique à large spectre et diurèse, la tomodensitométrie révèle l'absence d'embolie pulmonaire, des nodules parenchymateux stables, une diminution de l'épanchement, et de possibles métastases pleurales. Le patient présente une faible amélioration de sa dyspnée. Son état se stabilise finalement avec l'administration par sonde nasale de 30 L/min d'oxygène humidifié en phase vapeur à fort débit, ce qui lui permet de parler, de manger et d'interagir.

Après consultation avec le service d'oncologie, l'équipe médicale décide que Monsieur W. ne sera candidat à la chimiothérapie, que s'il peut être renvoyé chez lui sans problème (si ses besoins en oxygène peuvent être substantiellement réduits par rapport à ses besoins en hospitalisation et s'il peut se soumettre à un programme de réadaptation). Compte tenu de ces conditions et de l'impossibilité persistante de sevrer Monsieur W. de l'oxygène, l'équipe médicale dispose de peu d'options thérapeutiques. Elle entame alors des discussions avec Monsieur W. concernant ses objectifs de soins finaux. Il déclare très clairement qu'il souhaite poursuivre toutes les options thérapeutiques qui lui sont offertes. L'équipe du service de soins palliatifs est consultée dans le cadre des discussions sur les soins de fin de vie et sur les options de sortie du patient. En se basant sur une déclaration de Monsieur W. affirmant qu'il espérait que Dieu prolongerait miraculeusement sa vie de nombreuses années encore, le comité consultatif a conclu que les soins palliatifs n'étaient pas une solution adaptée à son cas. Finalement, après réduction de ses besoins en oxygène à 12 L/min par sonde nasale, il est orienté vers une maison de soins spécialisés.

Un rédacteur des Perspectives a interviewé Monsieur W., le docteur D., son médecin traitant, et la révérende S., aumônier de l'unité de soins palliatifs, en juillet et août 2005.


PERSPECTIVES

M. W.: Je crois au Dieu de la Bible, le Dieu des miracles. Ce que je veux dire, c'est que je pense que je pourrais très bien, dans 5 minutes, me lever complètement guéri et partir d'ici, parce que je crois qu'Il a le pouvoir de provoquer des guérisons spontanées. Je sais aussi que ce n'en sera pas moins un miracle si d'ici 3, 6 ou 9 mois, je réalise que tout a disparu et que je suis...complètement opérationnel... Je ne sais pas s'ils ont tenu compte de mes croyances en organisant mon avenir... Il y a quelques jours, lorsque l'équipe des soins palliatifs était là, l'assistante sociale m'a entendu parler de vivre encore de nombreuses années; elle est venue me voir le lendemain et m'a dit que les choses avaient changé... Elle m'a dit qu'elle avait recherché des soins palliatifs, mais que c'était juste pour s'occuper de moi pendant les 6 derniers mois de ma vie. Elle m'a dit que puisque je projetais de vivre audelà de 6 mois, elle devait me trouver autre chose. Donc mes convictions ont bien influencé sa vision des choses.

Dr. D.: J'ai supposé qu'il ne me disait pas tout de ses croyances. Il n'était pas forcément à l'aise pour parler de ça. J'ai eu des conversations approfondies avec lui, mais nous n'avons jamais clairement parlé de nos croyances, parce que je ne sentais pas cette ouverture avec lui. Mais j'ai effectivement abordé ces questions de manière plus générale...On est partagé entre le désir de respecter leur volonté de se confier et la peur d'être indiscret dans une certaine mesure. Je me demande pourquoi je n'ai pas posé ces questions à ce patient.

Révérende S.: Lorsque je regarde un patient, dans ce cas un mourant, je regarde vraiment le besoin spirituel fondamental qu'il exprime. Est-ce une quête de sens visant à déterminer quel était le sens de sa vie ou quel est le sens de sa foi? Ou présente-t-il un besoin d'affirmation, de soutien et de communauté, comme une sorte de reconnaissance des personnes qui l'entourent? Ou recherche-t-il une réconciliation dans certaines relations–relations brisées avec des personnes auxquelles il ne peut pas dire au revoir parce qu'il ne peut pas lâcher prise la conscience tranquille et éprouve du ressentiment par rapport au passé.

Généralités

La spiritualité et la religion sont des sujets complexes, qui sont devenus particulièrement sensibles dans les débats publics du monde occidental, dans les cercles universitaires, et dans le monde médical. Cet article ne peut pas initier une analyse de chaque aspect d'un domaine aussi vaste, mais il présentera certains concepts dominants de la spiritualité et de la religion; il décrira en outre les besoins spirituels et religieux des patients en fin de vie, et définira le rôle pouvant être assuré par les médecins dans l'identification de ces besoins et dans leur satisfaction. Il s'intéressera ensuite au problème clinique qui se pose lorsque les prières du patient et/ou de la famille pour l'accomplissement d'un miracle influencent la décision médicale en fin de vie. Bien qu'un grand nombre des thèmes abordés ait une vaste applicabilité dans les diverses religions et cultures, la nature du cas présenté nécessite que l'intérêt soit spécifiquement porté sur les thèmes judéo-chrétiens.

Texte et sujet sous-jacent

Ce cas est présenté sous forme de résumé technique épuré des problèmes biomédicaux rencontrés dans la prise en charge du patient. Les extraits d'interview, en revanche, illustrent les préoccupations personnelles et spirituelles plus profondes de Monsieur W. Le docteur D., médecin traitant de Monsieur W., hésite à l'interroger sur ses besoins spirituels et religieux. Dans la culture médicale actuelle, même un clinicien profondément impliqué peut avoir tendance à « problématiser » les aspects spirituels des soins, en les classifiant comme des problèmes éthiques (« statut du code » et « inanité ») ou comme des problèmes psychosociaux (« déni » et « naturel »).1 Cependant, la spiritualité ne peut pas être réduite à ces catégories. Les aspects spirituels du cas présenté sont distincts, bien qu'inextricablement liés à ses aspects biomédical, psychosocial, et éthique. Le bien-être spirituel et existentiel sont des composantes majeures de la qualité de vie,2 particulièrement en fin de vie.3 La qualité de vie globale est fortement corrélée au bien-être spirituel chez les patients mourants4 et chez ceux vivant avec des cancers de pronostics variables.5 Les religions ont beaucoup à dire sur les soins aux mourants, et de nombreuses études ont démontré que la confession religieuse et la religiosité sont corrélées de manière complexe aux attitudes des patients face à divers aspects des soins de fin de vie. Ainsi, la religiosité (définie par la force de la croyance ou par la fréquence des pratiques religieuses) est inversement corrélée à la peur de la mort.6 La religiosité, indépendante de la confession, est également associée à l'opposition à une provocation délibérée de la mort.7-9 Les catholiques sont moins susceptibles que les chrétiens protestants de poursuivre un traitement de prolongation de vie.10 Chez les Juifs, une plus grande observance religieuse est associée à une préférence plus marquée pour l'utilisation de sondes d'alimentation.11 Les Afro-américains présentent généralement plus d'opposition aux limitations des thérapeutiques et aux directives avancées que d'autres groupes ethniques, et ces positions sont liées à des questions spirituelles et religieuses.12 Il est clair que si les médecins du 21ème siècle se sont engagés à traiter le patient dans sa globalité, la spiritualité et la religion ne peuvent être ignorées. Un modèle de soins bio-psycho-socio-spirituel serait nécessaire.13

Questions spirituelles dans l'accompagnement des personnes en fin de vie

La spiritualité se définit par le rapport d'une personne avec les questions de transcendance auxquelles chacun est confronté en tant qu'être humain, et par la nature de ce rapport. La religion, en revanche, est un ensemble de textes, de pratiques et de croyances relatifs à la transcendance, partagé par une communauté particulière. La spiritualité, sous ce rapport, est plus vaste que la religion.14 Alors que la religion n'est pas une pratique universelle, les questions spirituelles, dans ce sens plus large, se posent pour la grande majorité des personnes mourantes.

Malgré l'accumulation des données suggérant que les patients souhaiteraient l'intervention de leur médecin dans les questions spirituelles, elles sont rarement abordées par les praticiens occidentaux du 21ème siècle.15-18 Dans une étude menée en consultations externes, 52 % des patients estimaient qu'un médecin avait le droit de s'informer des croyances religieuses d'un patient, mais une majorité d'entre eux ne se rappelait pas avoir déjà été interrogé par un médecin sur ce point.15 Dans une étude effectuée en milieu hospitalier, 77 % des patient estimaient que les médecins devaient prendre en compte leurs besoins spirituels et 48 % souhaitaient que leur médecin prie avec eux, mais 68 % disaient qu'aucun médecin ne les avait jamais interrogés sur leurs besoins spirituels ou religieux.16 Dans une autre étude effectuée en consultation externe, 94 % des patients interrogés trouvaient approprié que les médecins s'intéressent à leurs croyances spirituelles s'ils devaient tomber gravement malades.17

Dans le cas présenté, la révérende S. a évoqué les 3 catégories primordiales de questions spirituelles soulevées en cas de maladie grave –questions de sens, de valeur et de relation (Encadré 1).19(pp197-212) Elles représentent les besoins spirituels les plus profonds des personnes mourantes, comme l'attestent des milliers d'années de sagesse cumulées par les grandes religions du monde; une étude qualitative a récemment réaffirmé ce constat, même chez des Occidentaux en grande partie laïcs.20


Encadré 1. Évaluation des questions spirituelles soulevées par la maladie grave, particulièrement en fin de vie

Tout d'abord, établir une relation empathique avec le patient (ou la famille du patient). Le plus souvent, cela suffira pour inciter le patient à un partage spirituel de grande portée. À ce moment-là seulement, envisager de passer à des questions plus spécifiques.

Introduction

  • "Ce doit être très difficile pour vous de vous voir (la personne que vous aimez) si malade. Comment surmontez-vous cela ?"

Questions de sens

  • Questions du patient/de la famille
    • "Quel est le sens de ma maladie ?"
    • "Quel est le sens de ma souffrance ?"
    • "Quel est le sens de ma mort"
    • "Persistera-t-il un sens au-delà de ma mort"

  • Questions du clinicien
    • "Avez-vous pensé au sens de tout cela"
    • "Y aurait-il une chose à laquelle vous aspireriez même si vous (la personne que vous aimez) ne guérissez pas ?"
    • "Attachez-vous une signification spirituelle au mot
      "espoir" ?"

Questions de valeur

  • Questions du patient/de la famille
    • "En quoi la valeur de ma personne est-elle liée à mon apparence ?"
    • "...mon utilité ?"
    • "...mon indépendance ?"
    • "Reste-t-il quelque chose de valable en moi quand ces éléments sont menacés ?"
    • "Reste-t-il quelque chose de valable en moi qui persistera au-delà de la mort ?"

  • Questions du clinicien
    • "Êtes-vous capable de vous raccrocher à un sens de votre propre dignité et de votre utilité ?"
    • "Avez-vous l'impression que les personnes de l'hôpital/votre famille/vos amis/votre congrégation se soucient vraiment de vous (de la personne que vous aimez) en tant qu'individu ?"
    • "Y a-t-il des ressources spirituelles ou religieuses sur lesquelles vous pouvez vous appuyer pour vous aider à gérer tout cela ?"

Questions de relation

  • Questions du patient/de la famille
    • "Suis-je brouillé avec des membres de ma famille ou des amis ?"

  • "À qui ai-je fait du tort? Qui m'a fait du tort ?"
  • "Suis-je aimé? Par qui ?"
  • "L'amour dure-t-il au-delà de la mort ?"

Questions du clinicien

  • "Comment vont les choses avec votre famille et vos amis ?"
  • "Y a-t-il des personnes desquelles vous devez vous faire pardonner ?"
  • "Y a-t-il des personnes auxquelles vous devez dire "je t'aime" ou
  • "je suis désolé" ?"
  • "Si vous êtes croyant, où en êtes-vous avec Dieu ?"

Remarques finales

  • "Je ne peux pas tout faire, c'est pourquoi nous travaillons en équipe. Je pense que nous venons d'évoquer des thèmes très importants, mais il y aurait encore beaucoup à dire. Si vous le voulez bien, je vous enverrai la révérende S. dans la journée. J'aimerais également lui parler un peu de ce que nous venons d'évoquer pour qu'elle soit mieux préparée. Êtes-vous d'accord ?"

D'après Sulmasy.19(pp97-212)


Les personnes mourantes veulent savoir s'il y a une signification quelconque dans leur souffrance ou dans leur agonie. Ces questions sont souvent formulées dans des termes ouvertement religieux, mais une recherche qualitative a suggéré qu'il s'agissait de questions pressantes pour la quasi totalité des patients en fin de vie.21 Le désespoir est typiquement défini par l'absence d'espoir, mais il pourrait être autrement qualifié par l'absence de sens. Monsieur W., lui, semble avoir trouvé un sens à sa maladie et à son agonie. Selon ses propres termes, « ce processus [l'a fait] incroyablement grandir. »

Dignité est le terme que nous employons pour décrire la valeur suprême de l'être humain. Dans son sens intrinsèque, la dignité se réfère à la valeur que possèdent les êtres humains en vertu du fait qu'ils sont ce qu'ils sont, des humains.22 Les mourants ont besoin d'être convaincus qu'ils ont cette valeur, à l'heure où leur utilité réduite, leur dépendance, et l'altération de leur apparence remettent en question leur valeur suprême en tant que personne, et peuvent même les avoir amenés à douter de leur valeur intrinsèque. La révérende S. a raconté avoir paraphrasé les Écritures chrétiennes, lors d'une visite à Monsieur W., en disant: « Rien ne peut nous soustraire à l'amour de Dieu, ni la hauteur ni la profondeur, la vie ou la mort. » La révérende S. a ensuite indiqué que Monsieur W. avait affirmé « qu'il croyait en cela ». Indépendamment de son appartenance religieuse, le besoin du mourant de comprendre qu'il est estimé – aiméest spirituellement prépondérant.23

Tandis que leur corps ploie et se brise, les patients agonisants sont en quelque sorte rappelés aux ruptures dans leurs relations et à leur profond besoin de réconciliation.

La révérende S. décrit sa rencontre avec Monsieur W.: « Le soutien de la communauté était sa préoccupation majeure et il comprenait la présence de Dieu essentiellement à travers ceux qui le soutenaient et qui le soignaient. Il parlait beaucoup des relations importantes, dans la famille et dans l'église, ou avec son voisin de chambre. » Dans les religions orientales, ce besoin de réconciliation s'étend au-delà des relations interpersonnelles pour prendre une dimension cosmique.24 Aux États-Unis, les experts en pastorale recommandent une relecture de la vie entière pour aider à la guérison spirituelle par la réconciliation, chez les patients en fin de vie.25

Il n'est pas dans les attributions de l'équipe soignante de répondre au questionnement des patients sur le sens, la valeur ou la réconciliation, mais de faciliter leur rencontre avec ces éléments qui sont déjà présents dans la situation existentielle de leur agonie. C'est dans ce sens que les cliniciens peuvent avoir laissé passer des occasions d'établir des connexions spirituelles avec Monsieur W., et peut-être de l'aider dans son voyage spirituel. Le docteur D. s'en est approché, mais a reculé. « Je n'ai pas expressément interrogé ce patient sur sa religion ou sa foi; je l'ai interrogé sur son niveau de paix et sur l'endroit où il allait, ce genre de choses. » Même si les médecins et les patients peuvent se mettre d'accord sur un projet de soin biomédical mutuellement acceptable sans approfondir la question de spiritualité, l'écoute des besoins spirituels des patients constitue un moyen pour les médecins de leur faire savoir qu'ils sont vraiment respectés dans la globalité de leur personne. Un sondage récent montre que 59 % de la population américaine considère la religion comme extrêmement ou très importante dans la vie quotidienne.26 Pour un grand nombre de patients, le fait que les cliniciens ignorent leurs préoccupations spirituelles revient en fait à leur demander de s'aliéner des croyances qui les définissent profondément, à des heures de grande vulnérabilité, comme le prix à payer pour les soins de leurs besoins physiques. La profession peut offrir davantage aux patients.

Interrogée après la sortie du patient, le docteur D. a déclaré: « À cause de cette conversation, je me demande pourquoi je ne lui ai pas posé ces questions. » Bien que 74 % des médecins en soins primaires s'accordent sur le fait que les médecins devraient interroger les patients mourants sur leurs croyances religieuses ou spirituelles,27 les données des études sur les patients susmentionnées suggèrent que leur pratique n'est pas conforme à cette position. Cette hésitation est peut-être propre aux médecins américains parce qu'ils sont moins susceptibles de croire en Dieu que la population générale (76 % vs 83 %); ils seraient en outre moins susceptibles de vouloir intégrer leurs convictions religieuses dans les moindres aspects de leur vie (58 % vs 73 %).28 Parfois, les cliniciens hésitent à s'informer des croyances spirituelles et religieuses des patients en raison de leurs propres combats spirituels et existentiels, pas seulement avec l'idée de la mort, mais aussi avec celle de l'ultime impuissance de la médecine dans la lutte contre la mort. Comme le décrit le docteur D., « c'est une chose terrible que de se retrouver face au patient avec un sac à malices vide. » Parfois, les cliniciens ont aussi peur de blesser le patient, comme le docteur D. qui avait peur d'être « indiscrète ».29 Cependant, dans une étude, même les 45 % de patients qui affirmaient n'avoir aucune croyance religieuse pensaient que les médecins devaient s'inquiéter de leurs besoins spirituels.17 Dans une autre étude, menée dans un hôpital de New York, l'analyse de régression a montré que l'expression des patients de leurs besoins spirituels était indépendante de la confession religieuse, y compris pour ceux qui rapportaient une absence d'appartenance religieuse.30

Certains praticiens hésitent parce qu'ils pensent manquer de temps ou ne pas avoir les compétences requises.31-33 La question posée par le docteur D., « Êtes-vous en paix avec tout cela? », pourrait constituer une bonne amorce.34 Cependant, comme le cas présent l'a démontré, une telle question peut être trop vague pour de nombreux patients. Des questions complémentaires plus inquisitrices pourraient inclure, « Cette paix provient-elle d'une source spirituelle ou religieuse? » ou « La spiritualité ou la religion pourraient-elles vous aider à trouver la paix? ». De multiples initiatives pédagogiques, utilisant des processus d'apprentissage didactique et expérientiel, sont en cours d'étude pour aider les cliniciens à mieux cerner l'évaluation des besoins spirituels des patients, indépendamment de leur confession religieuse ou de leur culture spirituelle.35-37

À qui cette mission incombe-t-elle?

Il est important de définir le rôle du clinicien face aux besoins spirituels des patients mourants. Les médecins ne doivent pas ignorer les besoins spirituels de leurs patients en fin de vie, pas plus qu'ils ne doivent surestimer leur aptitude à y répondre. Ils doivent être capable de recueillir une histoire spirituelle, en extraire les croyances et les préoccupations spirituelles et religieuses du patient, tenter de les comprendre, les associer aux décisions qui doivent être prises en matière de soins, essayer de tirer des conclusions préliminaires quant à la positivité ou à la négativité de l'approche religieuse du patient, et l'adresser à la pastorale ou à un représentant de sa propre communauté selon le cas.38-42 Comme dans toute autre spécialité médicale, la situation clinique dictera l'étendue de la mise en œuvre de ces compétences.

Les cliniciens sagaces savent recueillir des indices chez leurs patients. Une amulette hindoue, un exemplaire du Coran, un chapelet, ou des bougies du Shabbat posés sur la table de nuit sont autant d'aides spirituelles pour le patient que d'indices pour le personnel soignant. Ils représentent ce que le patient a de plus cher.43 Une simple question ouverte, comme « Est-ce la Bible que vous lisez, là? », peut suffire pour engager le patient sur un terrain spirituel. Montrer du respect pour ces éléments propres à la vie du patient peut constituer un acte curatif et faire partie intégrante de la prise en charge de la personne dans sa globalité.

Que peut faire le médecin?

Les données historiques fondamentales que les médecins peuvent obtenir du patient ont été résumées sous forme d'acronymes utiles destinés à recueillir l'histoire spirituelle. L'histoire spirituelle constitue une source d'informations relatives aux antécédents spirituels et religieux du patient. L'Encadré 2 présente 2 outils conçus pour la recueillir: « FICA », développé par Matthews, Puchalski, Sulmasy et Teno, et publié par Puchalski,44 et « SPIRIT » élaboré par Maugans.38 Il est vraisemblablement plus utile d'utiliser ces acronymes comme aidemémoire des informations importantes à recueillir plutôt que comme questions spécifiques d'une check-list. La plupart de ces informations découlent naturellement de questions ouvertes. « Quel rôle la spiritualité ou la religion occupe-t-elle dans votre vie? » pourrait constituer une question d'introduction utile. Si une patiente répond, par exemple, en disant simplement « Je suis une femme de foi », il pourrait être judicieux d'enchaîner par « Parlez-moi de votre foi. »

L'histoire spirituelle ne fournit qu'une toile de fond permettant de comprendre les questions spirituelles pressantes auxquelles les patients sont confrontés en fin de vie. Les médecins qui se sont engagés à prendre en charge les patients dans leur globalité ont l'obligation de veiller à ce qu'il soit répondu à leurs besoins spirituels, soit par eux-mêmes soit par un autre membre de l'équipe soignante.19(pp161-185),45 La meilleure façon de satisfaire ces besoins consiste à effectuer préalablement une évaluation spirituelle. Cette évaluation permet d'obtenir des informations relatives à l'état et aux besoins spirituels actuels du patient. La Joint Commission on Accreditation of Healthcare Organizations (JCAHO) demande que soit effectuée au moins une évaluation spirituelle très sommaire de tous les patients hospitalisés.46 Un simple interrogatoire peut exclure la nécessité d'effectuer une évaluation plus détaillée. L'encadré 1 rapporte les éléments pouvant être utilisés dans l'évaluation spirituelle détaillée d'un patient en fin de vie. Ces questions se chevauchent souvent, et les conversations spirituelles se déroulent généralement de manière organique plutôt que mécaniste. Ces questions ne sont donc que des suggestions permettant d'évaluer les préoccupations spirituelles des patients. L'acte spirituel fondamental réside dans l'expression d'un intérêt empathique. Il peut suffire s'il est sincère.

Les patients de diverses confessions ont souvent des besoins religieux très spécifiques qu'il n'est pas forcément facile de satisfaire dans l'environnement hospitalier contemporain. En invitant les patients à exprimer leurs besoins, les médecins pourraient être en mesure de trouver les ressources nécessaires pour les satisfaire ou de faciliter leurs propres efforts pour y répondre. Sans viser à constituer une liste exhaustive, plusieurs exemples sont donnés dans l'Encadré 3.

Les médecins doivent également disposer d'une « stratégie de sortie ». Les remarques finales proposées dans l'Encadré 1 peuvent être utilisées pour faciliter l"interruption de la conversation lorsqu'elle s'épuise ou si à un moment quelconque, le médecin se sent submergé par le contenu ou la durée de l'auto-confession du patient. L'orientation vers un aumônier ou un représentant de la communauté religieuse du patient, une assistante sociale, un psychiatre ou un ensemble de ces différents intervenants, sera ensuite envisagée en fonction du résultat de l'évaluation. Ainsi, un patient déprimé faisant parallèlement état d'une crise spirituelle, nécessitera une orientation vers un psychiatre et la pastorale.

Les croyances religieuses peuvent parfois induire une souffrance injustifiée et fausser la prise de décision en fin de vie. L'adaptation religieuse négative est associée à la culpabilité, à l'anxiété, à la peur et au déni (Encadré 4).47-49 Les médecins sont souvent les mieux placés pour découvrir ces problèmes. En demandant au patient qui a précédemment révélé ses croyances religieuses « Qu'en est-il de Dieu et de vous dans tout cela? », un médecin peut découvrir que le patient considère sa maladie comme une punition de Dieu pour un péché passé. L'adaptation religieuse négative justifie l'orientation vers la pastorale ou vers un représentant de la communauté religieuse du patient.

Tous les patients sont vulnérables, mais aucun ne peut l'être autant que celui qui approche de la mort. Il est fondamental qu'aucun médecin entreprenant une discussion sur des questions religieuses avec un patient mourant n'abuse de la supériorité de son pouvoir pour faire du prosélytisme.19(pp170-1;211-12),39,42 Les patients doivent toujours être parfaitement libres de refuser de participer à ce genre de discussion, et aucun aspect de leurs soins ne doit être rendu tributaire de réponses confessionnellement « correctes ».

Enfin et surtout, les cliniciens peuvent répondre aux besoins spirituels des patients en observant une attention respectueuse de leurs préoccupations ultimes, en étant présents à leurs côtés, en leur montrant qu'ils méritent du temps et de l'attention, et en écoutant ce que les mourants ont à dire sur la vie et son sens.19(pp197-212),50 Si le patient et le médecin sont de même confession, le langage, la tradition et le symbolisme partagés facilitent ces interactions. Mais les questions ultimes sur le sens, la valeur et les relations humaines sont des questions qui concernent tous les patients, que le patient ou le médecin souscrivent ou non à un credo spécifique. Ainsi, un médecin incroyant peut dire à un patient dévotement bouddhiste, « Je ne partage pas vos croyances, mais je comprends à quel point le bouddhisme est important pour vous, surtout à cette heure, tel une source d'espoir, de valeur et de force. Comment puis-je vous aider à bien vivre, en tant que bouddhiste, tout le temps qu'il vous reste? »


LA MÉDECINE ET LES MIRACLES

Monsieur W. soulève un problème spirituel très spécifique qui se pose parfois dans les soins de fin de vie: les prières des patients et de la famille pour l'accomplissement d'un miracle les amène soit à rejeter les recommandations médicales soit à réclamer des interventions inappropriées de l'avis de l'équipe soignante.51 Bien que l'incidence exacte de ce type de dilemme ne soit pas connue, les questions religieuses pourraient représenter globalement 6 % des motifs de consultations éthiques.52-54 L'expérience anecdotique suggère que les conflits concernant les prières pour les miracles sont rares.51 Néanmoins, ces situations sont frustrantes pour toutes les personnes concernées.51,55 Dans le cas de Monsieur W., ses prières pour un miracle ont amené l'équipe soignante à organiser sa prise en charge autour de sa candidature putative à la chimiothérapie, même si elle estimait extrêmement peu probable qu'il se remette suffisamment pour recevoir ce traitement; elles l'ont également amenée à ne pas le considérer comme un candidat aux soins palliatifs. Une écoute plus nuancée des aspects spirituels de sa prise en charge aurait-elle pu optimiser son projet de soin? Ses prières étaient-elles simplement une manifestation de déni?


Encadré 2. Recueil de l'histoire spirituelle

Les acronymes suivants constituent des outils efficaces pour mémoriser les informations historiques fondamentales utiles dans la prise en charge de tous les patients; ils peuvent cependant être plus particulièrement pertinents chez les patients en fin de vie.

"FICA"

  • F: foi ou croyances
  • I: importance de la spiritualité dans la vie du patient
  • C: communauté de soutien spirituel
  • A: comment le patient souhaite que soient abordées les questions spirituelles dans le cadre de ses soins

"SPIRIT"

  • S: système de croyance spirituelle
  • P: spiritualité personnelle
  • I: intégration dans une communauté spirituelle
  • R: pratiques et restrictions ritualisées
  • I: implications pour les soins médicaux
  • T: planification des événements ultimes

FICA de Puchalskii44 et SPIRIT de Maugans.38


Il n'existe pas de réponse simple dans ces situations. D'un côté, présumer que toutes les croyances religieuses sont finalement subjectives et indiscutables impliquerait qu'il n'y aurait aucun moyen de distinguer la croyance des illusions religieuses et autres utilisations psychopathologiques du langage religieux, ce qui impliquerait que la religion et la psychopathologie sont fonctionnellement équivalentes. Cette conclusion n'apparaît guère respectueuse. D'un autre côté, ceux qui inciteraient à une extrême prudence dans l'interrogation des croyances religieuses des patients ont entièrement raison. Les risques de faire une erreur ou d'être accusé d'irrévérence sont énormes. Cependant les convictions du patient ou de la famille peuvent sembler, du point de vue du médecin, nuisibles au patient. C'est là que le bât blesse. Ces situations induisent souvent la paralysie et la frustration du médecin.

Certains ont suggéré que le médecin devrait tenter de modérer les croyances des patients qui espèrent des miracles s'il s'avère, d'un point de vue biomédical, que le patient est en train de mourir.56 Cependant, excessivement peu de médecins sont formés en théologie, en spiritualité ou dans l'assistance pastorale aux malades. Il est présomptueux, au mieux, pour un médecin, de tenter de convaincre un patient que sa théologie du miracle manque de subtilité. La thèse du révérend Barry Black selon laquelle « Dieu...intervient...de manière surnaturelle...dans les affaires....de l'humanité » semble résumer la théologie de Monsieur W.57 Les médecins risquent de faire plus de mal que de bien en essayant de la remanier.

Ils peuvent cependant prêter une oreille attentive aux patients et effectuer les interventions appropriées, en se chargeant notamment des orientations. Les patients qui demandent la poursuite de soins inutiles dans l'attente d'un miracle pourraient réellement exprimer un sentiment d'impuissance, interprétant l'arrêt d'un traitement particulier comme un signe d'abandon, ou pourraient présenter de la culpabilité, un déni, voire une ambivalence pathologique.58-60 Certains pourraient exprimer une suspicion médiée culturellement, basée sur des injustices historiques, selon laquelle le traitement ne serait pas réellement inutile et que son arrêt serait basée sur des questions financières.61,62 Pour d'autres encore, le problème ne réside pas dans une croyance religieuse selon laquelle Dieu a besoin d'un médecin pour accomplir le miracle, mais plutôt dans une croyance suggérant que donner son assentiment à une demande d'arrêt de traitement revient à abandonner Dieu avant que Dieu les ait abandonnés.63 Les cliniciens sagaces peuvent discerner l'étendue du problème et parvenir à mieux l'appréhender dans toute sa complexité spirituelle et culturelle. Cette appréhension pourrait permettre d'aboutir à une solution. Cependant, les médecins ne devraient pas étendre leur action au-delà de leurs compétences. Il vaut mieux laisser aux experts les discussions relatives à l'exégèse scripturale, la théologie du miracle, ou l'assistance pastorale des patients qui traversent des crises spirituelles.64 En ce sens, les aumôniers peuvent jouer un rôle direct majeur en dispensant les soins adaptés en tant que membres de l'équipe soignante.


Encadré 3. Sélection de besoins spécifiques à différentes religions pour les patients en fin de vie

Bouddhisme : Possibilité de psalmodier ou d'écouter les autres psalmodier s'il est dans l'incapacité de le faire

Catholicisme : Sacrement de l'onction des malades (nécessite un prêtre); viatique (Communion).

Hindouisme : Utilisation de la mala (rosaire); préférence marquée pour une mort à domicile.

Islam : Possibilité de mourir face à la Mecque, entouré par les êtres aimés.

Judaïsme : Possibilité de réciter le Vidui (prière confessionnelle) et le Shema.


Les miracles et les soins palliatifs

Heureusement, dans ce cas, Monsieur W. ne semblait pas être dans le déni. Il priait pour qu'un miracle s'accomplisse, mais il acceptait la possibilité que la réponse de Dieu à ses prières ne soit pas le miracle attendu. Il n'exigeait pas que les médecins s'engagent en tant qu'agents de Dieu auprès de lui. Voici comment il décrit ses prières:

  • M. W.: Dans mes prières, je dis toujours « Mon Dieu, je ne l'ai pas voulu mais tu l'as voulu. » Je ne pense pas que ce soit une dérobade.
    Il a même accepté une décision de non-réanimation.
  • M. W.: Et d'ailleurs, maintenant que j'ai discuté avec les médecins, je pense que si je fais une crise cardiaque, ce sera parce que le cancer s'est propagé au-delà...vous savez.
  • Je ne regrette en rien cette décision. Grâce à la prière, aux discussions avec les médecins et avec ma famille, je pense que c'était la bonne décision.
  • C'est une décision qui a été prise grâce à la prière, et c'est entendu entre Dieu et moi.

Néanmoins, l'équipe soignante semble avoir conclu qu'un patient qui pense vivre au-delà de 6 mois est à exclure des soins palliatifs. Cette conclusion peut avoir été regrettable pour Monsieur W., dans la mesure où l'intégration des soins palliatifs permet souvent aux patients de bénéficier de ressources dont ils ne peuvent pas disposer par ailleurs. La raison pour laquelle l'équipe soignante entretenait cette conviction n'est pas clairement déterminée. Aucune explication n'est donnée dans la présentation du cas, et il semble que cette supposition indiscutée ait émané de tous les professionnels impliqués dans ses soins. Cependant, rien dans la réglementation fédérale ne stipule que les patients croyant aux miracles sont inéligibles aux soins palliatifs. Le médecin, et non le patient, a besoin de croire que le malade ne vivra pas plus de 6 mois. On pourrait penser que l'inscription dans une unité de soins palliatifs impliquerait un manque de foi dans le pouvoir miraculeux de Dieu, bien que cela ne soit pas une vérité logiquement nécessaire; il semble que cela ait été l'interprétation de l'équipe soignante, et non celle de Monsieur W. Cette interprétation a conduit l'équipe à informer ce patient qu'il n'était pas candidat aux soins palliatifs, plutôt que de le lui proposer comme option. Monsieur W. a rapporté les faits en ces termes:

  • M. W.: Alors elle m'a dit qu'elle avait recherché une unité de soins palliatifs, juste pour prendre soin de moi pendant les 6 derniers mois de ma vie. Elle a dit que puisque je projetais de vivre plus de 6 mois, elle devait me trouver autre chose.

L'équipe soignante aurait pu présenter les soins palliatifs à Monsieur W. comme la meilleure solution pour traiter ses symptômes actuels; il aurait pu y entrer dans cette intention spécifique, sans renoncer pour autant à croire en un miracle. De nombreux patients ne comprennent pas que les soins palliatifs ne sont pas un lieu de résidence permanente jusqu'à la mort. Si Monsieur W. avait dû vivre le revirement pour lequel il priait (et on ne peut logiquement exclure cette possibilité), il aurait pu simplement quitter l'unité de soins. En outre, depuis sa création, le mouvement des soins palliatifs est profondément imprégné des croyances religieuses, et Monsieur W. aurait pu y trouver un environnement plus favorable à ses convictions que dans sa maison de soins.65-67 Le mouvement des soins palliatifs accueille généralement tous les patients, quelles que soient leurs croyances religieuses, et travaille avec eux selon leur propre perspective.

Un autre élément important dans le projet de soins conçu pour Monsieur W. était l'obligation morale que s'était forgée l'équipe soignante de lui proposer une chimiothérapie si son état se stabilisait, en raison de sa croyance en une guérison. Les médecins sont enclins à interpréter à tort de vagues déclarations telles que « Je veux vivre » ou « Je crois aux miracles », alors qu'une écoute plus attentive est indiquée. Dans certaines structures de soins, il s'avère qu'un traitement actif par chimiothérapie, avec les dépenses y afférentes, peut exclure le recours aux soins palliatifs. De nombreuses données ont suggéré la nécessité de réformer la structure des soins palliatifs afin de bannir cette dichotomie erronée entre guérison et soins.68,69 Cependant, dans le cas présent, Monsieur W. n'exigeait pas de traitement inutile et se fiait à ses médecins. Les cliniciens auraient pu poser un jugement clinique indiquant que la chimiothérapie n'atteindrait pas l'objectif de guérison de Monsieur W.70,71 Avec une certitude médicale raisonnable (qui est le maximum possible), il était estimé que la chimiothérapie n'avait aucune chance de le guérir. Cette solution était en outre subordonnée à la perspective incertaine qu'il se stabilise suffisamment pour la supporter. Il n'y avait donc aucune obligation morale de le lui proposer.72 Si l'équipe soignante avait compris que Monsieur W. demandait un miracle à Dieu, et non aux médecins, et si elle avait évoqué ses croyances religieuses et spirituelles de manière plus approfondie, médecins et patient auraient pu conjointement parvenir à la conclusion qu'il était un bon candidat pour les soins palliatifs. Ainsi, ce cas démontre largement pourquoi les cliniciens doivent savoir parler ouvertement aux patients de leurs préoccupations spirituelles et religieuses.


CONCLUSIONS

De plus en plus souvent, l'accompagnement spirituel est reconnu comme un élément primordial dans une prise en charge de grande qualité. Si les questions spirituelles se posent dans le contexte de maladies aiguës et chroniques, elles supposent une attention plus particulière dans les soins de fin de vie. La prise en charge de Monsieur W. illustre l'étendue du lien inextricable entre les besoins spirituels des patients et les devoirs « traditionnels » des médecins. L'écoute de ces besoins fait partie intégrante d'une bonne pratique clinique.


Encadré 4. Éléments d'adaptation religieuse

Adaptation religieuse positive

  • "Je pense que ma vie fait partie d'une force spirituelle plus grande."
  • "Je travaille main dans la main avec Dieu pour traverser les moments difficiles."
  • "Je me tourne vers Dieu pour trouver la force, le soutien et les conseils dans la douleur."
  • "J'essaie d'apprendre par Dieu dans les crises."
  • "Je confesse mes péchés et demande le pardon de Dieu."

Adaptation religieuse négative

  • "J'ai le sentiment que les situations difficiles sont une punition de Dieu pour mes péchés ou mon manque de spiritualité."
  • "Je me demande si Dieu m'a abandonné."
  • "J'essaie de comprendre la situation et prends mes décisions sans compter sur Dieu."
  • "Je doute que Dieu existe vraiment."
  • "Je ressens de la colère contre Dieu pour les choses terribles qu'il laisse arriver."

D'après Pargament et coll.47



Informations sur les auteurs

Correspondance: Daniel P. Sulmasy, OFM, MD, PhD, The John J. Conley Department of Ethics, St Vincent's Hospital–Manhattan, 153W11th St, New York, NY 10011 (daniel_sulmasy{at}nymc.edu).

Perspectives des soins en fin de vie est produit et publié par l'Université de Californie, San Francisco, by Stephen J. McPhee, MD, Michael W. Rabow, MD, et Steven Z. Pantilat, MD; Amy J. Markowitz, JD, sont les rédacteurs exécutifs.

Le rédacteur en chef de Perspectives des soins en fin de vie est Margaret A. Winker, MD, Deputy Editor, JAMA.

Liens financiers: aucun déclaré.

Financement/Soutien: la section Perspectives de soins en fin de vie a été rendue possible grâce à une bourse de la California HealthCare Foundation. Rôle du sponsor: la source de financement n'a pas participé au recueil, à l'analyse, à l'interprétation des données ni dans la préparation, la revue ou l'approbation du manuscrit.

Autres sources: pour la liste des sites Internet ayant un rapport avec cette question, voir l'article sur le site Internet du JAMA à http://www.jama.com.

Affiliations des auteurs: St Vincent's Hospital–Manhattan and New York Medical College, New York.


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