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Héparine non fractionnée sous-cutanée versus héparine de bas poids moléculaire dans la maladie thromboembolique aiguëProblèmes d'efficacité et de coût
Jeffrey L. Carson, MD
Depuis 1960, lorsque BARRETT et JORDAN établirent que
l'anticoagulation diminuait le risque de décès chez les patients
ayant une embolie
pulmonaire,1
l'héparine est devenue le traitement de référence de la
maladie thromboembolique. L'héparine était initialement
administrée sous la forme d'une injection intraveineuse toutes les
quatre heures jusqu'à ce que les essais cliniques montrent qu'une
perfusion intraveineuse non fractionnée était associée
à la survenue de moins
d'hémorragies.2,3
L' héparine non fractionnée était administrée par
perfusion intraveineuse et le taux de prothrombine était
surveillé pour maintenir un niveau de 1,5 à 2,5 fois celui du
témoin. Il était commun en pratique de commencer le traitement
par une dose de charge de 5 000 unités et de continuer par 1 000
unités par heure en perfusion. L'expérience clinique a
montré que de nombreux patients avaient des taux de TP
infra-thérapeutique pendant plus de 24 heures et avaient plus de
probabilité de développer une récidive
thromboembolique.4,5
Aujourd'hui, le traitement de référence utilise un algorithme
ayant pour base le poids 6 ou d'autres protocoles héparinés 7
qui atteignent rapidement les cibles thérapeutiques du TP. Les
héparines de bas poids moléculaire (HBPM) ont remplacé
progressivement l'héparine non fractionnée en raison de leurs
propriétés pharmacologiques
avantageuses.8,9
Les HBPM ont une excellent biodisponibilité en administration
sous-cutanée et peuvent être administrées une ou deux fois
par jour. Leurs effets anticoagulants sont associés au poids corporel,
permettant ainsi un protocole adapté au poids, et rendant le suivi du
taux de prothrombine inutile. L'efficacité et la tolérance des
héparines de bas poids moléculaires ont été
directement comparées à celle de l'héparine non
fractionnée intraveineuse avec surveillance par taux de prothrombine
chez des patients ayant une maladie thromboembolique. Une méta-analyse
récente incluant 13 essais cliniques comparant ces deux traitements n'a
trouvé aucune différence du risque de récidive de
thrombose veineuse profonde, d'embolie pulmonaire, d'hémorragie
majeure, ou de saignement mineur, ou de
thrombopénie.10
Toutefois, les patients traités par HBPM avaient une mortalité
absolue plus faible mais significative (environ 1,6 %) comparés aux
patients traités par héparine intraveineuse non
fractionnée (risque relatif: 0,76 %; intervalle de confiance,
0,59-0,98). Un autre avantage important des HBPM est qu'elles peuvent
administrées en ambulatoire, chez des patients ayant eu une maladie
thromboembolique, cliniquement stables, qu'elles ont un faible risque de
saignement et pour lesquels une infirmière est disponible pour
administrer le traitement et le
surveiller.11 Une
métaanalyse de 8 essais cliniques a mis en évidence une
tolérance et une efficacité comparable de même que des
coûts plus faibles chez les patients ambulatoires par rapport aux
patients
hospitalisés.12
De nombreux assureurs privés aux Etats-Unis remboursent maintenant les
soins ambulatoires dans la maladie thromboembolique en raison des coûts
pharmaceutiques plus faibles, et les consultations infirmières
permettant d'administrer les traitements par rapport à une
hospitalisation du patient.
Comme les HBPM, l'héparine non fractionnée peut aussi
être administrée par injection sous-cutanée. Le protocole
thérapeutique qui a été testé dans les essais
cliniques comprenait 5 000 unités administrées en bolus
intraveineux suivies de 17 500 unités par voie sous-cutanée
toutes les 12 heures. Le taux de prothrombine est mesuré 6 heures
après l'injection et la dose est adaptée pour le maintenir 1,5
à 2,5 fois par rapport à celui du témoin. Une
méta-analyse 13 ayant porté sur 8 essais cliniques a
montré que l'héparine non fractionnée administrée
par voie sous-cutanée était plus efficace (définie par la
prévention de l'extension et de la récidive de la maladie
thromboembolique veineuse; risque relatif: 0,62; intervalle de confiance
0,39-0,98) et plus sûre (définie par la survenue d'une
hémorragie majeure; risque relatif, 0,79; intervalle de confiance
à 95 %, 0,42-1,48) que l'héparine non fractionnée
administrée par perfusion intraveineuse et surveillée par un
taux de prothrombine.
Dans ce numéro du JAMA, Kearon et
collaborateurs14
ont évalué l'hypothèse qu'une dose fixe (sans
surveillance par un taux de prothrombine), d'héparine non
fractionnée par voie sous-cutanée ajustée sur le poids
serait aussi efficace et sûre qu'une HBPM par voie sous-cutanée.
L'héparine non fractionnée était administrée par
voie sous-cutanée avec une dose de charge de 333 unités par
kilogramme suivie par une dose fixe de 250 unités par kilogramme toutes
les 12 heures. L'HBPM (la daltéparine ou l'énoxaparine)
était administrée par voie sous-cutanée à la dose
de 100 unités par kilogramme toutes les 12 heures. Tous les patients
recevaient 3 mois de traitement par warfarine. Le critère principal, la
récidive thromboembolique, est survenu chez 3,8 % des 345 patients dans
le groupe héparine non fractionnée et chez 3,4 % des 352
patients du groupe HBPM. Le taux d'hémorragie majeure a
été comparable dans les deux groupes, survenant chez 1,1 % des
patients du groupe héparine non fractionnée et chez 1,4 % des
patients du groupe HBPM. Environ 70 % des deux groupes de patients
étaient traités en ambulatoire. Ces résultats
suggèrent qu'une héparine non fractionnée
administrée par voie souscutanée à dose fixe est aussi
efficace et aussi sûre qu'une HBPM chez les patients atteints de maladie
thromboembolique.
La raison pour laquelle le protocole d'anticoagulation évalué
dans cet essai peut être un important progrès dans le traitement
de la maladie thromboembolique est que l'héparine non
fractionnée est beaucoup moins coûteuse que les HBPM. Dans cette
étude, l'héparine non fractionnée et les HBPM ont
été administrées de façon identique: voie
sous-cutanée toutes les 12 heures sans surveillance du taux de
prothrombine. La seule variable ayant pesé dans une analyse de
coût a été le prix des deux traitements. Kearon et
al14 ont
estimé que les coûts thérapeutiques pour un traitement de
6 jours d'une HBPM étaient de 172 dollars et de 37 dollars pour
l'héparine non fractionnée, en considérant un traitement
administré deux fois par jour à l'aide d'un flacon à dose
multiple pour un patient de 80 kg.
Les auteurs14
reconnaissent quelques limites à cet essai, dont la plupart ne doivent
pas diminuer la validité de ces observations. Le recrutement a
été long et la taille finale de l'échantillon
était plus faible que prévue. Toutefois, la différence
absolue du taux de récidive thromboembolique (critère principal)
a été faible et la limite supérieure de l'intervalle de
confiance a été de 3,3 %, ce qui demeure largement dans les
critères établis de non-infériorité à 5 %.
Toutefois, la différence importante entre les exclusions après
randomisation (10 vs 1) est trop importante pour être due au
seul hasard. Ceci peut provenir du fait de ne pas avoir réalisé
un essai en aveugle ou de certains médecins ayant été
gênés par le fait d'utiliser une héparine non
fractionnée. Les auteurs indiquent que seuls 2 des exclusions
après randomisation dans le groupe héparine non
fractionnée étaient dues au choix du médecin ou du
patient. Les autres raisons les plus fréquentes pour lesquelles les
patients ont été exclus dans le groupe héparine non
fractionnée ont été une infirmation du diagnostic de
maladie thromboembolique veineux (4 patients) et le fait que les patients
n'étaient pas éligibles pour cette étude après
avoir reçu de la warfarine au moment du diagnostic de maladie
thromboembolique (4 patients). Ces 8 patients ont été exclus par
le comité de surveillance, qui travaillait en aveugle par rapport
à la randomisation.
Cet essai montre que la perspective de réaliser un suivi par la
mesure du taux de prothromibine peut ne pas être nécessaire en
traitant les patients par héparine non fractionnée. Le taux
thérapeutique du taux de prothrombine était
déterminé en se basant sur la corrélation entre les taux
d'héparine et la réussite d'une inhibition de la thrombose dans
les modèles
animaux,15 et dans
une étude, un taux de prothrombine inférieur à 1,5
était associé à des taux plus élevés de
récidive de
thromboembolie.16
Les études ultérieures ont trouvé une inconstance de la
corrélation entre le taux de prothrombine, les récidives de
thromboembolie et les
saignements.4,17-19
Par ailleurs, une évaluation de 4 coagulomètres et de 6
réactifs commerciaux utilisés pour mesurer le taux de
prothrombine a trouvé des taux de réponse différents
à
l'héparine.20
Alors que Kearon et
al14 ont
observé que le suivi du taux de prothrombine n'était pas
nécessaire lors de l'administration de l'héparine non
fractionnée par voie souscutanée en utilisant un protocole
basé sur le poids, il est important de souligner que cette étude
ne devrait pas être interprétée comme la
démonstration qu'un taux de prothrombine n'a pas besoin d'un monitoring
lorsque l'héparine est administrée en perfusion intraveineuse
continue. Ceci demande d'être évalué par un essai
clinique.
La question que les médecins doivent maintenant se poser est si
cette preuve est suffisamment forte pour modifier la pratique. En particulier,
les patients atteints de maladie thromboembolique devraient-ils être
traités par de l'héparine non fractionnée
souscutanée à dose fixe selon le poids au lieu d'utiliser des
HBPM pour diminuer les coûts? Cette approche est intéressante car
les études antérieures ont montré que l'héparine
non fractionnée par voie souscutanée est au moins aussi efficace
et sûre par voie sous-cutanée que par voie
intraveineuse.13
L'étude de Kearon et
al14 étant
la première à démontrer que le suivi du taux de
prothrombine n'est pas nécessaire, les résultats doivent
être reproduits à l'aide d'un essai en doubleaveugle, ayant la
puissance nécessaire (dans lequel ni les médecins, ni les
patients ne connaissent quel anticoagulant le patient reçoit) avant que
cette approche puisse être adoptée largement en pratique
clinique. Si le patient peut être observé plus
étroitement, ce protocole thérapeutique pourrait être
utilisé avec précaution chez des patients soigneusement
sélectionnés préférant un traitement ambulatoire
de la maladie thromboembolique veineuse et ne pouvant se permettre le
coût d'une HBPM. Toutefois, il est nécessaire d'avoir plus d'une
étude qui démontre l'efficacité de ce nouveau protocole
de traitement avant de modifier la stratégie de prise en charge de
cette affection potentiellement
létale.21
Informations sur les auteurs
| | Correspondance: Jeffrey L. Carson, MD, Division of General Internal
Medicine, Department of Medicine, UMDNJ-Robert Wood Johnson Medical School,
New Brunswick, NJ 08903
(carson{at}umdnj.edu).
Liens financiers: aucun déclaré.
Affiliation de l'auteur: Division of General Internal Medicine,
Department of Medicine, UMDNJ-Robert Wood Johnson Medical School, New
Brunswick, NJ.
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ARTICLE EN RAPPORT
Comparaison héparine non fractionnée à dose fixe déterminée en fonction du poids et héparine de bas poids moléculaire pour le traitement aigu de la thromboembolie veineuse
Clive Kearon, Jeffrey S. Ginsberg, Jim A. Julian, James Douketis, Susan Solymoss, Paul Ockelford, Sharon Jackson, Alexander G. Turpie, Betsy MacKinnon, Jack Hirsh, Michael Gent, et for the Fixed-Dose Heparin (FIDO) Investigators
JAMA. 2006;296:935-942.
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