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Edvard Munch, La Danse de la vie, 1900. Huile sur toile © Musée Munch, Oslo
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Un visage expressif, un front bombé, le regard direct, un nez droit, une moustache fournie et tombante, le menton affirmé et les mâchoires volontaires, des volumes symétriques et proportionnés, voilà la description physique dEdvard Munch. Mais derrière ces paupières, que cachaient ces yeux et quelle était son âme ? Un œil un peu rêveur dun côté, lautre plus dépressif. Difficile de lire lénigme du maître norvégien, que certains considèrent pourtant comme un des précurseurs de lexpressionnisme.
Né à Loten en 1863, Edvard Munch a connu précocement dans la vie ce quétait le malheur.
Dune famille religieuse et austère, avec un père médecin militaire, strict, sans fortune, le jeune Edvard connaît dès son enfance la tragédie. Sa mère meurt alors quil na que 5 ans. Sa sœur disparaît à 15 ans, victime de ce fléau du siècle, la tuberculose. Sa sœur cadette est en proie à de profonds tourments dépressifs que les médecins jugeront de type mélancolique et en définitive, parmi les cinq enfants que compose sa famille, seul son frère Andreas arrivera à un âge suffisamment mature pour se marier. Il meurt en toute logique quelques mois après la cérémonie. Lenvironnement du jeune Edvard est donc fait de malheurs et de tristesse et son œuvre sen ressentira toujours.
Mais, né dans un milieu dintellectuels et dartistes, il possède « la fibre », celle qui va le mener à la composition, exutoire dune passion tragique et des êtres qui ont marqué sa vie et qui lont laissé poursuivre la sienne. Tous ces parents perdus, tous ces êtres chers qui lui ont dit un jour que lavenir nexistait pas pour eux.
Sa mère, la première, dont il relatera la fin dans son journal intime, sa sœur, ensuite, dont il retranscrira la disparition dans ses tableaux.
Il naurait pu devenir quun peintre morbide, il sera plus que cela.
Edvard décide brusquement le 8 décembre 1880, alors quil na que 17 ans de devenir peintre. Il lannonce et suit son destin sans faillir.
Premier peintre formé en Norvège, pays nordique, peu ouvert à cette époque vers lextérieur, Edvard décide de partir pour Paris où il arrive en 1885. Coïncidence ou pas ? Il y peint lenfant malade et se lance dans de nombreux tableaux naturalistes. Mais, Paris, en 1889, ce nest pas que lennuyeuse Troisième République, cest aussi G. Eiffel et sa tour, lexposition universelle, le roman populaire, la vie qui renaît, bref la création. Au cours des quelques années qui suivent, Edvard fera de nombreux voyages entre son pays et la capitale française. Il se familiarise avec Gauguin, Lautrec, et ce nouveau style que lon appelle limpressionnisme.
Son esprit est ouvert à la recherche, à la création. Il part pour Berlin où il peint, peint jour après jour, saisi de cette folie créatrice qui caractérise cette période allemande.
Edvard Munch devient célèbre dans son pays. En 1909, Il décore lUniversité dOslo et est reconnu comme le peintre norvégien. Limpressionnisme est loin, il est post-impressionniste et déjà expressionniste.
Edvard, marqué par le pessimisme radical de Schopenhauer et surtout de Nietzsche, est dépressif. Il traîne son passé et compense en buvant. Atteint de dépression alcoolique, il est soigné en Allemagne, mais sa seule thérapie reste la peinture.
Dès 1885, alors quil avait déjà mis en scène son malheur et projeté sur la toile sa sœur Sophie dans la « jeune fille malade », il exprimait son angoisse existentielle. Au fil des années, ses toiles vont devenir de plus en plus symboliques et illustrer dans un cycle toutes ses obsessions : lamour, mais aussi la mort et la douleur. Les titres de ses œuvres sont en eux-mêmes des résumés sans concession de son psychisme : le cri, lanxiété, la voix, cendres, danse de la vie.
Lhomme et la nature se rejoignent dans un cycle de vie et de mort.
Dans le cri (1893), le peintre nous signifie « je suis hanté, je fuis, le ciel sombre et je sombre avec lui ». Merveilleux dexpressionnisme, le « cri » aura un profond impact sur la vie intellectuelle européenne.
Face à son miroir, Edvard Munch est le seul à lire ce quil voit. Lanxiété le ronge et le brûle, lanxiété, cest lenfer, cest ce ciel rouge sanglant et flamboyant qui tournoie au-dessus de fantômes plongés dans lobscurité sans espoir de la vie. (Anxiété, 1894).
La religion ne lui a pas donné de salut et Munch dans son analyse personnelle recherche un salut. Car, la vie en elle-même napporte pas le salut. Les êtres ont une conscience qui se dilue, ne leur appartient pas. « Cendres » (1894) illustre bien son tourment. Le blanc des vêtements de la femme aux cheveux de méduse soppose au noir de la conscience de lhomme qui, affaissé, pleure sans doute sur son destin sans espoir. Cendres, tout partira en cendres. De poussières en poussières, lêtre nest plus le maître, le malheur seul le guide.
Les tableaux dEdvard Munch mettent en scène sa vie, les êtres qui lui sont ou qui lui ont été chers, ses inimitiés, ses espoirs, rarement ses rêves, car en a-t-il ou sont-ils des cauchemars ?
Dans le tableau « Danse de la vie » (1894), tous les personnages correspondent aux êtres qui lentourent, sa femme Tulla, avec laquelle il ne sentend pas et sur laquelle se vautre le gros Gunnar Heiberg qui les a présentés lun à lautre. Lui-même est cet homme efflanqué et pâle au centre de la toile, étroitement mêlé à sa cavalière, symbolisme dune relation sexuelle qui ne veut pas savouer.
Malaise, vous avez dit malaise ? Cest Edvard Much qui fait prendre conscience, au travers de son pessimisme, du « malaise social et spirituel » de cette fin de siècle, de ces empires qui, trop rigides, allaient seffondrer sous la tension des aspirations. Son œuvre, dinspiration violente, traduit plus que ses fortes émotions et explose dans des couleurs violentes, reflets du monde qui allait sécrouler dans la deuxième guerre mondiale.
Munch est au début du 20ème siècle connu dans le monde entier. Ses travaux quil mène parallèlement à de graves crises alcooliques influencent de nombreux peintres. Ce quil cherche, cest ce que tout être cherche : « les forces éternelles de la vie ». Que des sociétés rigides aient crié au scandale devant cet anarchisme de la pensée et du psychisme, devant ces êtres dont la souffrance ne reflétait que trop bien le malaise de son temps, est très compréhensible. En revanche, cest parce quil a si bien compris que la quête de lindividu nest souvent quune fuite devant langoisse existentielle, que Munch a été si bien perçu par ses contemporains et quil soit, aujourdhui plus que jamais, un peintre « moderne ».