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  Vol. 299 No. 24, 25 juin 2008 TABLE OF CONTENTS
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Le wagon de troisième classe


Figure 1
Honoré Daumier, 1808-1879, Le wagon de troisième classe, Français, 1864 © Metropolitan Museum of Art, New York

Honoré Daumier ou la montée des vertus contre le vice du monde. Le pot de terre contre le pot de fer. Les combats de cet homme ne peuvent laisser indifférent, car ils sont ceux de tous les défenseurs de la liberté de penser et de vivre. Ils sont aussi le témoin de la toute puissance de l’état et de la faiblesse de l’individu devant le rouleau-compresseur administratif.

Lorsqu’il naît à Marseille en février 1808, nous sommes encore à la grande époque de l’ère Napoléonienne. L’empereur parcourt l’Europe, qu’il pille et massacre en rêvant d’Alexandre le Grand.

Le petit Honoré voit le jour dans une famille modeste, dont le père, vitrier ou encadreur, cache au plus profond de son âme, ses rêves d’artiste. De talent, il n’en a malheureusement pas. Quelques vers griffonnés par ci, par là, ne font pas du père Daumier, un Molière. C’est pourtant cette soif de l’art qui va le pousser à « monter » à Paris. Mais, de Jean Baptiste Poquelin, le père Daumier n’en a que le prénom et sa pièce Philippe II ne rencontre que des hochements de tête, de ceux qui vous signifient de tenter ailleurs votre chance. Nous sommes en 1819, la vie est dure à Paris. Cinq ans ont passé depuis que les Daumier s’y sont installés. Il faut prendre une décision. A défaut du père défaillant, ce sera le fils qui travaillera.

Voilà Honoré déclaré « Saute ruisseau » des huissiers. Faut-il déjà voir là la future férocité du jeune Daumier contre le monde de la justice qu’il caricaturera si bien. Il est trop tôt, le gamin n’a que 12 ans, mais il observe tout ce monde qui grouille dans Paris. A 13 ans, il est promu commis dans une grande librairie. Cette position lui permet de continuer à courir les rues, à observer les bourgeois, à bâtir le film de ce peuple parisien dont il admirera le courage et la peine au travail et de ces nantis dont il dénoncera l’hypocrisie dans la deuxième partie de sa vie.

Nous sommes en pleine restauration et il n’est pas bon de trop ouvrir sa bouche et de lâcher son crayon sur le papier. Les Français avaient voulu la liberté, ils avaient récolté Napoléon et les Bourbons. Mais le petit Daumier prépare le grand caricaturiste qu’il deviendra.

Dans cette morne vie de labeur et de misère, enfin surgit une éclaircie. Son père, qui n’avait jamais renoncé à l’écriture, envoie au fondateur du musée des Monuments de France quelques vers. Touché, celui-ci intervient et le jeune Honoré va pouvoir bénéficier de ses premiers cours de dessins.

Comme toujours, le malheur engendre le malheur, la chance déclenche la chance. Avec Alexandre Lenoir, Daumier fils apprend à dessiner, avec Ramelet qu’il rencontre, il est initié à la lithographie. Sa première planche date de 1822. Voilà six années de bonheur, il est à l’Académie de dessin fondée par Suisse jusqu’en 1828. Il se lie d’amitié avec certains beaux esprits révolutionnaires (il y en avait encore) et son talent le propulse à travailler pour le journal La Silhouette où il rencontre un autre Honoré, de Balzac.

Nous sommes à l’aube des Trois Glorieuses. Louis Philippe, le roi des Français, le roi bourgeois arrive au pouvoir. Daumier s’enflamme avec quelques autres excités. Faut-il refaire le monde ? Oui et tout de suite.

Au tout début des années trente, Daumier entre au journal de Philippon « l’enragé », La Caricature. Tout un programme contenu dans ce seul titre auquel il livre deux lithographies en 1831 et 1832 mettant en scène Louis Philippe sous la forme de Gargantua. Le roi est un homme patient, mais il n’est pas tout à fait bonhomme.

Le jeune Daumier passe en procès, l’affaire est expédiée et lui aussi vers la prison de Sainte-Pélagie où il passe six mois puis à la Maison d’aliénés du Dr Pinel, ce qui était courant à cette époque où les opposants au régime était forcément aliénés. Une pratique reprise par beaucoup de régimes totalitaires, y compris de nos jours.

Mais ce séjour est une rupture.

Rien de tel pour briser la volonté d’un homme que de lui rafraîchir les idées dans un cachot sombre et lui faire côtoyer des aliénés pendant quelques mois.

C’est un autre homme qui ressort.

Sa vie et sa conscience politiques prennent fin ici.

Bien lui en prend, car, en 1835, la presse est muselée par la loi du 29 août.

Daumier reprend son crayon, mais ses cibles seront désormais moins dangereuses. Il illustre la vie de son époque. Toujours féroce, toujours sensible. Personne n’est épargné, et surtout pas le monde de la Justice.

Mais, inconsciemment, il « se range ».

S’il reste un caricaturiste de son temps, il est aussi reconnu comme un artiste de valeur par les organes officiels, on lui commande des tableaux, le voilà passé au statut de peintre.

Sa vie reste néanmoins difficile, ses revenus sont faibles. On lui commande, il ne finit que rarement. Delacroix reconnaît son génie, mais aussi cette faiblesse chronique. Daumier en est conscient : « Je recommence tout vingt-cinq fois; à la fin je fais tout en deux jours ».

Son trait pur, rapide, incisif est un trait moderne. Ses sujets aussi le sont. La vie quotidienne, le peuple, le monde bourgeois, la ville, autant de thèmes qui l’éloignent du style compassé des portraits, thèmes religieux ou mélodramatiques de son époque.

Le lithographe, le dessinateur et le peintre se mélangent en lui. Il passe d’un style à l’autre.

Tantôt ironique, tantôt plein de compassion, il est pleinement intégré à son siècle dont il livre un portrait sans concession.

Mais la vie est toujours difficile pour cet artiste en marge. En 1865, sous le règne de Napoléon le petit, Daumier, dont la vue se dégrade, se retire à Valmondois, où son ami Corot lui prête une maison dans laquelle il résidera désormais jusqu’à sa mort qui survient, comme sa naissance, en février, le 11 février 1879.

Quelques mois avant sa mort, Victor Hugo avait présidé à l’inauguration d’une grande rétrospective de son œuvre et l’avait ainsi adoubé comme l’un des grands peintres de son siècle.

Aujourd’hui que reste-t-il de Daumier ?

Des milliers de gravures, plus de 4000 lithographies, des dessins, des centaines de tableaux. Une œuvre prolifique en avance sur son temps, mais qui laissa le public indifférent. Trop moderne, Daumier ? Probablement.

Certains caricaturistes d’aujourd’hui lui doivent cependant tout.

Jean Gavaudan, MD







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