Peintre longtemps oublié, redécouvert avec la fin du
communisme et la chute du rideau de fer, Peter Johannes Brandl appartient au
baroque tardif. Transition entre le baroque et le style
rococco.
|
|
Peter Johannes Brandl, Saint Paul, vers 1725, Allemand ©Galerie
Nationale, Prague
|
|
|
Brandl était un peintre célèbre en Bohème.
Allemand, il est aujourd'hui classé avec les peintres tchèques.
Les frontières qui se déplacent font-elles varier l'appartenance
des artistes ? Probablement pas.
Brandl était bien allemand comme la majorité des
élites citadines en Bohème.
Né en 1668 au moment où Vermeer est à son
apogée dans les Provinces Unies, il semble qu'il soit arrivé
dans une famille d'artisans et que son père ait été
orfèvre.
Il fait son apprentissage entre 1683 et 1688 avec Kristián
Schröder (1655-1702), peintre et administrateur des collections de
peintures du Château de Prague, peintre à la Cour, qui formera de
nombreux peintres et sculpteurs bohémiens. Kristián
Schröder est aussi connu pour être devenu le beau-père de
Jan Blaej Santini-Aichel, en lui donnant sa fille,
Véronique-Elizabeth en mariage. Jan Blaej Santini-Aichel,
architecte et élève de son beau-père, sera l'inventeur du
baroque gothique.
Le baroque, du portugais barocco, désignait initialement une perle
irrégulière. Ce n'est que plus tard (au 19ème
siècle) que le terme fut accolé à un style par les
critiques d'art.
Ce style, qui a comporté des peintres célèbres comme
le Caravage ou Rubens, a connu ses prémices avec le grand Michel-Ange.
Faits d'empâtements souvent lourds, le style comporte une tension, une
exubérance et une grandeur qui tendent à le rendre pompeux.
Dramatique, chargé, il convient à l'église catholique qui
désire mettre en scène de manière spectaculaire, les
grandes épopées de la Bible. Se manifestant ainsi, il devient
l'expression de l'art catholique, un art de contre-réforme contre
lequel un art protestant verra le jour dans les régions du nord de
l'Europe. Mais le Baroque qui a sévi sur deux siècles a connu
trois périodes, l'une ancienne, l'une moyenne et enfin la
dernière tardive qui se prolongera par le rococco et le
néo-classicisme.
Brandl appartient à la dernière période du baroque.
Comme tout peintre baroque, Brandl utilise un clair-obscur accentué
avec des empâtements chargés et des compositions dramatiques.
Bien que les oeuvres de Brandl soient inspirées pour la plupart par des
thèmes religieux, il a également peint des motifs de la vie de
tous les jours ainsi que de nombreux portraits.
J.Q. Jahn écrivit de Brandl: « Il modelait dans la boue des
personnages et des groupes entiers de personnages, pour mieux y lire
réfraction de la lumière et le jeu des ombres. »
Aujourd'hui réhabilité et mieux connu grâce à la
chute du rideau de fer, il restera surtout célèbre pour ses
compositions religieuses ou ses portraits comme le « Buste d'un
apôtre » que l'on retrouve au Musée de Prague ou «
Saint Paul » également au Musée de Prague que nous
présentons en couverture.
Composition dramatique, chargée d'émotion et de tension.
Saint-Paul, vêtu de riches draperies, où le bleu rappelle le
ciel, pointe son doigt vers le haut. Il harangue probablement une foule,
peut-être les Corinthiens.
Paul ou Saül de Tarse était né en Cilicie, mais pour
d'autres il serait né en Judée et aurait migré avec ses
parents en Cilicie à Tarse, actuellement en Turquie, et s'était
converti après que Jésus lui soit apparu. Né juif, il
avait été envoyé par ses parents vers 12-13 ans à
Jérusalem. Défenseur ardent de la foi juive, il rejoignit les
rangs des persécuteurs des premiers disciples du Christ. Il participa
à cette période à la lapidation d'Étienne et se
rend à Damas vers 33 A.D. pour participer à la
persécution des premiers disciples du Christ, mais sur la route de
Damas, le Christ lui apparaît. Il reste aveugle pendant 3 jours, puis
guéri par Ananie, disciple du Christ, se convertit
définitivement au christianisme et part prêcher auprès de
ses coreligionnaires juifs l'arrivée du Messie, car son prêche
s'adresse d'abord aux Juifs, puis timidement aux non juifs, non circoncis,
alors considérés comme impurs.
En revenant à Jérusalem, après son troisième
voyage, qui l'avait mené de la Turquie à la Grèce, des
conflits éclatent avec ses compatriotes juifs et amènent son
arrestation, mais arguant de sa citoyenneté romaine, il est
déporté vers Rome pour y être jugé par l'Empereur.
Il y mourra décapité, en 63 ou 64 A.D, sous le règne de
Néron, après l'incendie de Rome.
En 50, lors de son deuxième voyage, il passe par Thessalonique,
alors cité libre. La ville est florissante, très cosmopolite.
Paul tentera de rallier dans ses épitres de nombreux païens,
prosélytes et juifs à la nouvelle foi chrétienne. Son
oeuvre est brutalement interrompue par la réaction de la colonie juive.
Certains provoquent des troubles et accusent les prédicateurs d'agir
contre les décrets impériaux, traînant certains
chrétiens devant les magistrats.
Paul décide de fuir vers Bérée et de
Bérée à Corinthe.
Il quitte une communauté à peine naissante ; ce
demi-échec explique peut-être son inquiétude et la
violence de son ton avec les Juifs.
On retrouve là encore dans le tableau de Brandl tous les
ingrédients nécessaires à la propagation de la foi
catholique, peut-être devrait-on dire à la propagande de la foi
catholique romaine. Un Paul exhortant, tonnant, montrant du doigt, puissant et
inquiétant. Il est Dieu. D'un balcon, il domine. Ce tableau est
extrêmement différent de celui peint par Rembrandt qui nous
montre un Paul, assis, devant un livre, calme et serein, très
intellectualisé dans la peinture de Rembrandt, très physique
dans celle de Brandl. Les compositions de Brandl dégageront toujours
cette force physique, synonyme de la toute puissante église catholique
romaine.
A 33 ans, Brandl épouse la fille d'un peintre avec laquelle il aura
trois enfants. Artiste connu, il vit aisément, mais mène un
train de vie élevé et une vie instable. Vers la fin de sa vie,
il s'établit dans les Kuttenberg, où il meurt, malgré son
succès, dans la pauvreté.