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  Vol. 300 No. 8, 27 août 2008 TABLE OF CONTENTS
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Bandit assassinant une femme


Figure 1
Francisco Goya, 1806, Bandit assassinant une femme, Espagnol, 1806. © Collection privée

Les secrets de la douleur et les puissances du désir ont pris la peinture pour demeure !

Goya achève le vieillissement de la vieille Europe, et ses fabuleux effets d’art ont conservé et ont gardé le même impact, suffocant !

Dans l’art pictural, après l’ère de la peinture religieuse, les classiques du 17ème ont créé des codes nouveaux, totalement inédits. Mais Goya est la modernité. Celle-ci invente la brûlure de la présence et saccage l’illustration : il montre la réalité. Il nous entraîne sur des rives entre l’affect profond et une vérité créatrice ; il peint ce qu’il voit, car il n’entend pas. Ce qu’il voit le choque et le conduit à peindre aux confins de brumes fatiguées et d’images fabriquées et tragiques.

Il peint et a peint toutes les guerres de tous les temps et toutes celles du dedans de l’être humain. Sa peinture est le lieu d’inventions, d’énigmes et de chaos. Ne peut-on dire qu’il a inventé l’image en trois dimensions ? L’art des batailles et des grandes fresques ont souvent fait l’œuvre d’un peintre, mais Goya, dans sa solitude sensorielle, s’écarte des chemins de l’art de son temps ; drame intime de la maladie et de la surdité !

Si Goya élargit un espace pictural, c’est d’abord parce qu’il élargit son espace mental. Il part des soubassements inexplorés du psychisme primordial. Nous voyons dans les voilements de son œuvre, dans les replis étouffés, une violence aiguë, la densité du métal aux allures infernales et des présences décapantes de sources convulsives venues soudainement du fond des âges. La surface des choses est balayée par le pinceau, le paysage évidé et l’espace tout entier est pris dans un étau, celui d’un temps arrêté fait d’horreurs, de désastres et de désolation.

Peindre, dessiner, graver sont des activités physiques et la plénitude inventive fait place au surgissement instantané de fantasmes majeurs.

Les dessins féroces et grotesques de Goya sont d’âpres et d’inquiétants gros plans sur l’origine de l’homme.

Dans le tableau que nous présentons aujourd’hui, des forces souterraines sont en action sur cette toile : les secrets de la douleur et les puissances du désir ont pris la peinture pour demeure. Ainsi naît la vie troublante et corrosive de cette œuvre, fut-elle née sur un fragile support de papier.

Goya creuse chez l’homme le côté obscur. Ses peintures reflètent durement l’opacité et ses sujets percent la nuit et les flaques de ténèbres bouleversant la normalité. Des démons s’éveillent et dévorent à vif l’innocence et l’inconscience des victimes. La nuit éloigne à l’infini le réel, et l’humain est déconnecté de son monde. Celui qui peint l’envers du décor, peint ici en réalité l’animalité refoulée de l’âme et les élans torturés sculptés par les racines de la vie.

Les toiles de Goya sont envoutées, obsessionnelles, débauchant la mondanité, et sont les formidables démonstrations d’une imagination saisissante, fouillant l’insondable et l’interdit. Le lieu de la scène est inévitablement le corps de la femme, sans défense. Il ne s’agit plus du corps idéal dédié aux illusions de la peinture italienne, mais d’un corps confronté à la souffrance et à la douleur. Le sanglant regard et la violence de l’homme en action au premier plan sur la toile annoncent l’inévitable désastre : l’assassinat de la jeune femme.

Si Goya sublime une peinture pourtant si terrifiante à la fin d’une époque qui ne sera plus, c’est parce qu’il n’appartient pas à ce monde !

Il n’entend pas les sons d’une nature, la douceur ou la violence de la musique ne lui parviennent pas. La peinture de Goya est d’abord une chair dépouillée de ses apparences, cherchant l’éternel drame. Il n’y a pas d’horizon, pas de fuite possible, et des regards éteints. Goya vit le conflit sans le nier, il impose la guerre comme création, à l’autre, aux autres.

Si Goya est surtout célèbre pour ses peintures retraçant l’Histoire, cette œuvre, « Bandit assassinant une femme », peinte en 1806-1808, n’est peut être pas le titre le plus approprié à cette toile.

Est-ce la main du peintre dans la sombre lumière, tenant son pinceau ou celui de l’assassin tenant son couteau ? L’extrême vitalité et passion de la scène dénonce sans le dissimuler le violent désir du peintre de vouloir sauver la vie et non d’engendrer la mort. Le conflit est terrible, c’est la vie contre la mort !

La surdité de Goya ne l’a pas éloigné de la vie, mais lui a donné d’être le peintre de la vie totale et réaliste. Goya, à son époque, a su exprimer qu’un handicap majeur n’est pas un manque de communication, peut-être nous a-t-il transmis ce message : l’homme a besoin de d’amour !

Emma Guerlain, MA







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