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Cancer du sein - La modélisation du risque génétique
Noah D. Kauff, MD;
Kenneth Offit, MD, MPH
Avant même l'identification des gènes BRCA1 et BRCA2,
les deux gènes de la prédisposition au cancer, plusieurs
modèles prédictifs du risque de cancer héréditaire
du sein1 ont
été développés.
Au cours de la dernière décennie, trois de ces modèles
ont été épurés afin de prédire non
seulement le risque de cancer du sein, mais aussi la probabilité qu'une
personne soit porteuse d'une mutation délétère d'un de
ces gènes. Ces modèles ont été utilisés
comme critères pour proposer des tests
génétiques2
ou pour déterminer l'éligibilité des patients lors
d'essais de dépistage et de
prévention3
ainsi que et de plus en plus, pour évaluer la participation à
des stratégies progressives de réduction des
risque4,5.
L'influence de la modélisation sur la pratique clinique va grandissante
comme l'attestent les recommandations récentes de l'American Cancer
Society concernant le recours à l'imagerie de résonance
magnétique (IRM) dans l'examen du sein. Entre autres critères,
les femmes présentant un risque à vie de cancer du sein << de
20 à 25 % ou plus, selon le modèle BRCAPRO ou d'autres
modèles largement basés sur l'hérédité
familiale >> devraient se voir proposer un dépistage IRM annuel
dès l'âge de 30
ans4.
Dans ce numéro du JAMA, le Dr Weizel et ses collaborateurs
6
présentent les résultats d'une étude qui détaille
une limitation importante de la modélisation du risque
génétique. Dans cette étude, les auteurs évaluent
la performance de 3 modèles largement utilisés pour
l'évaluation du risque chez 306 femmes ayant contracté un cancer
du sein avant l'âge de 50 ans. Ces femmes ne comptaient pas de parents
du premier ou second degré atteints d'un cancer du sein ou de l'ovaire.
Cette cohorte représente une fraction importante des personnes qui se
présentent aux consultations et aux tests génétiques.
Elle équivaut à 19,8 % des 1543 personnes qui, en 10 ans, ont
visité le centre où l'étude fut menée. Dans cette
cohorte de femmes chez qui la survenue du cancer a été,
apparemment, précoce et sporadique, on a découvert, par
dépistage au niveau germinal, que 9,5 % des participantes à
l'étude étaient porteuses d'une mutation
délétère du gène BRCA1 ou BRCA2.
Les auteurs ont émis l'hypothèse qu'étant donné
la pénétrance très limitée sexuellement des
mutations des gènes BRCA1 et BRCA2, il se peut que les modèles
dont on se sert actuellement pour évaluer le risque ne prédisent
pas de manière adéquate la probabilité des mutations dans
ces cas de survenue non héréditaire. Cette hypothèse
tient compte du fait que la rareté des parents du sexe féminin
dans la lignée maternelle ou paternelle peut obscurcir un trait
dominant de la prédisposition, trait que l'on observe dans les cancers
du sein liés aux gènes BRCA1 et BRCA2. Les auteurs ont
découvert une association étroite entre une structure familiale
limitée (une lignée ou plus avec moins de deux parents
féminins du premier ou second degré âgés de plus de
45 ans) comparée à une structure familiale adéquate (deux
parents féminins ou plus du premier ou second degré
âgés de plus de 45 ans tant dans la lignée maternelle que
paternelle) et la présence d'une mutation délétère
(ratio de probabilité de 2,8; avec intervalle de confiance à 95
% de 1,19 à 6,73; P = 0,02). Malgré cela, aucun des
modèles évalués
(Myriad,7
Couch,8 ou
BRCAPRO9) n'a
démontré de différence significative avant test dans les
moyennes des probabilités de mutation quand on a réparti les
familles en fonction de leur structure adéquate ou limitée.
Les auteurs ont alors évalué la performance de ces 3
modèles d'évaluation du risque ainsi qu'un autre modèle
qui testait les personnes à structure familiale limitée en
examinant les indices situés sous les courbes des
caractéristiques de fonctionnement du receveur. Cette évaluation
a démontré que, bien qu'assurant une meilleure performance que
le hasard, ni le modèle BRCAPRO ni celui de la structure familiale
limitée n'affichaient des performances remarquables. En se limitant aux
245 participantes juives non ashkénazes, le groupe pour lequel la
modélisation est la plus nécessaire, le modèle BRCAPRO
n'a identifié que chez 5 (soit 23,8 %) des 21 porteuses de mutations
dans la cohorte une probabilité de plus de 10 % d'une mutation BRCA1 ou
BRCA2. Plus sensible, le modèle utilisé pour la structure
familiale limitée a détecté 14 (soit 66,7 %) des 21
porteuses de mutations. Ce meilleur résultat a été obtenu
au détriment de la spécificité, car le modèle a
recommandé un test pour 48 % des participantes de la cohorte. Les
auteurs ont aussi créé un modèle permettant
d'intégrer aussi bien les probabilités BRCAPRO que les
informations concernant la structure familiale. Bien que la performance de ce
modèle soit apparue meilleure que celle de n'importe lequel des autres
modèles, une analyse de la courbe des caractéristiques de
fonctionnement du receveur montre qu'avec 90 % de sensibilité, on
obtient moins de 50 % de spécificité.
Étant donné ces limitations, quel rôle peuvent jouer
les modèles d'évaluation du risque chez des personnes
contractant, de manière isolée, un cancer précoce du
sein? Le Dr Weitzel et ses collaborateurs présentent des arguments
convaincants en faveur de la contre-indication probable des modèles
d'évaluation du risque quand les antécédents familiaux
figurent en nombre limité dans la lignée maternelle ou
paternelle. En plus de ces conclusions spécifiques, cette étude
contient des implications générales et ces dernières sont
peutêtre plus importantes encore pour l'utilisation et
l'interprétation des modèles d'évaluation du risque. Les
auteurs démontrent clairement que, dans cette cohorte et s'agissant
d'une structure familiale adéquate, plusieurs des modèles
d'évaluation du risque les plus utilisés surestiment la
probabilité des mutations et le risque de cancer à vie en
résultant. Dans le cadre d'une structure familiale moins riche en
informations, le risque est sous-estimé par ces mêmes
modèles. Du fait de ces limitations, les importantes questions
suivantes se posent: les modèles actuellement disponibles sont-ils
indiqués pour orienter les personnes vers les tests
génétiques et, en l'absence de tests génétiques,
ces modèles peuvent-ils fournir des prédictions et des
recommandations de soins?
Il est clair que les estimations basées sur des modèles
doivent faire partie du processus permettant de déterminer la
pertinence des tests génétiques pour un patient en particulier.
Ce processus décisionnel doit cependant prendre en compte des variables
que les modèles actuels d'évaluation du risque ne permettent pas
d'évaluer pleinement, notamment les << aspects informationnels >>
des antécédents familiaux (concernant
l'hérédité mendélienne), les
caractéristiques pathologiques et immuno-histochimiques des tumeurs qui
peuvent suggérer une prédisposition héréditaire et
prédire un résultat (p.ex. un phénotype triplement
négatif du cancer du
sein)10 et
la présence dans la parenté d'autres formes moins courantes de
cancer qui peuvent faire partie du spectre des mutations BCRA. Ce sont ces
raisons qui dissuadent de ne se fier qu'à une seule estimation
ponctuelle basée sur un algorithme d'évaluation du risque pour
déterminer le seuil de pertinence des tests génétiques.
Il faudrait probablement éviter ces seuils et, autant que possible,
prendre en considération les facteurs cliniques ainsi que le propose
l'American Society of Clinical Oncology qui, dans des directives mises
à
jour11,
recommande de proposer des tests génétiques dans les cas
suivants:1 si
la personne a des caractéristiques personnelles ou des
antécédents familiaux suggérant une prédisposition
génétique au
cancer,2 si
le test peut être correctement interprété
et3 si les
résultats du test peuvent influencer la gestion
médicale11.
Quand on a recours à des modèles quantitatifs
d'évaluation du risque pour déterminer la pertinence d'un
dépistage intensif du cancer ou d'une approche chirurgicale pour
réduire les risques, il convient d'être plus prudent encore.
Actuellement, la plupart des modèles quantitatifs d'évaluation
du risque déterminent le risque de cancer du sein en créant une
estimation pondérée qui intègre la probabilité
qu'une femme développe un cancer du sein si elle porte une mutation du
gène BRCA1 ou BRCA2 et la probabilité qu'une femme
développe un cancer du sein si elle ne porte pas de mutation de l'un de
ces gènes. Aucun des modèles évalués dans le
rapport présenté par le Dr Weitzel et ses collaborateurs
n'envisage la possibilité d'un gène de prédisposition non
encore identifié auquel serait rattaché un risque de cancer bien
que l'on ait abondamment prouvé que presque la moitié des
cancers héréditaires du sein sont causés par des
gènes non associés aux BRCA1 et
BRCA212. Un
modèle plus récent développé par le Dr Tyrer et
ses
collaborateurs13
prend en compte l'éventualité d'un unique gène de
prédisposition au cancer dont la pénétrance serait
faible. On s'inquiète cependant du fait que ce modèle surestime
peut-être les risques de cancer en incorporant des facteurs
épidémiologiques et hormonaux, lesquels peuvent influencer le
risque de cancer sporadique du sein, mais n'ont pas été
identifiés comme facteurs de risque du cancer héréditaire
du sein.
Plus préoccupant est le fait qu'aucun des modèles actuels
d'évaluation du risque de cancer du sein ne tient compte ni de
l'hétérogénéité génétique et
allélique ni de la diversité phénotypique du cancer
héréditaire du sein. Par exemple, les porteuses de la mutation
BRCA1 se trouvent exposées à un risque grandement accru tant
d'un cancer du sein à récepteur d'estrogène
négatif14,15
que d'un cancer ovarien en
pré-ménopause16,17
tandis que les porteuses de la mutation BRCA2 se trouvent principalement
exposées à un risque d'un cancer du sein à
récepteur d'estrogène
positif14,15
et d'un cancer ovarien en
post-ménopause14,18.
Des données préliminaires suggèrent également que,
chez des femmes dont les antécédents familiaux comprennent des
cancers héréditaires du sein sans mutation BRCA
identifiée, un risque accru de cancer ovarien peut ne pas
exister19.
Étant donné qu'à ces différents syndromes
correspondront sans doute diverses stratégies de dépistage et de
prévention primaire et qu'aucun des modèles d'évaluation
du risque actuellement disponible ne dispose des capacités
discriminatoires qui permettraient de différencier ces syndromes, il
n'est pas évident que l'on puisse, au lieu des tests
génétiques, utiliser les modèles actuels pour
évaluer le risque.
Dans presque toutes les spécialités médicales, on a
utilisé des modèles prédictifs dérivés des
données cliniques empiriques. Ces modèles ont bien sûr un
rôle à jouer dans l'évaluation du cancer du sein, la forme
de malignité la plus courante chez la
femme20.
Toutefois, ces modèles sont des instruments qu'il ne faut pas utiliser
isolément. De par leur conception même, ils comportent des
limitations. Des études comme celle qu'ont menée le Dr Weitzel
et ses collaborateurs soulignent les limitations de ces outils
prédictifs. Ces études sont essentielles pour comprendre comment
intégrer au mieux des modèles quantitatifs dans la pratique de
l'évaluation du risque et de la médecine préventive.
Informations sur les auteurs
| | Correspondance: Noah D. Kauff, MD, Clinical Genetics and Gynecology
Services, Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, 1275 York Ave, Box 192, New
York, NY 10021
(kauffn{at}mskcc.org).
Liens financiers: Aucun rapporté.
Affiliations des auteurs: Clinical Genetics Service, Department of
Medicine, and Gynecology Service, Department of Surgery, Memorial
Sloan-Kettering Cancer Center, New York, NY.
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ARTICLES EN RAPPORT
Cette semaine dans le JAMA
JAMA. 2007;297:2557.
Texte Complet
Structure familiale limitée et mutations des gènes BRCA dans les cas isolés de cancer du sein
Jeffrey N. Weitzel, Veronica I. Lagos, Carey A. Cullinane, Patricia J. Gambol, Julie O. Culver, Kathleen R. Blazer, Melanie R. Palomares, Katrina J. Lowstuter, et Deborah J. MacDonald
JAMA. 2007;297:2587-2595.
Résumé
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