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Les vitamines B et la prévention du risque cardio-vasculairePas de preuves suffisantes pour en justifier l'indication
Colin Baigent, BM BCh, FRCP;
Robert Clarke, MD, FRCP
Les personnes atteintes d'homocystinurie, une maladie
génétique rare associée à des niveaux
élevés d'homocystéine (soit 100-300 µmol/l [divisez
par 7,397 pour convertir en mg/ dl]—au moins dix fois plus que la
population générale), sont confrontées à une
athérosclérose et à des accidents de thrombose au
début de l'âge adulte. Cette observation a suscité «
l'hypothèse de l'homocystéine » consistant à se
demander si des niveaux modérément élevés
d'homocystéine pour-raient causer des désordres
cardiovasculaires dans la population
générale.1
De nombreuses études d'observation épidémiologiques
ont rapporté des cas de maladies coronariennes (MCV) ou d'accidents
cérébro-vasculaires présentant des taux
d'homocystéine plus élevés que ceux de groupes de
contrôle de mêmes âge et sexe. En 1995, une
méta-analyse de ces études d'observation a évalué
un total de 2 297 cas de MCV et indiqué qu'un niveau plus
élevé d'homocystéine de 5 µmol/l correspondait
à un risque accru d'environ 70 % de MCV.
2 Cependant,
du fait de leur schéma rétroprospectif, ces études n'ont
pas pu exclure la possibilité que le processus de maladie
arthérosclérotique ait lui-même provoqué la
montée des niveaux d'homocystéine (biais de causalité
inversée). En 1998, une méta-analyse mise à jour des
études rétroprospectives et prospectives (ou de
cas-témoins nichés) a relevé des associations moins
étroites dans les études prospectives par rapport aux
études rétroprospectives. Dans les premières, un niveau
d'homocystéine plus élevé de 5 µmol/l s'accompagnait
d'un risque accru de seulement 30 % de MCV.
3
Les niveaux d'homocystéine étant étroitement
reliés aux facteurs de risque établis des maladies
cardiovasculaires, les résultats publiés des
méta-analyses portant sur les études d'observation ne
parviennent pas à ajuster pleinement les effets d'une amalgamation de
ces facteurs de risque. En 2002, l' Homocysteine Studies Collaboration a
tenté de remédier à ce handicap en effectuant une
méta-analyse des données individuelles des participants aux
études d'observation. Les résultats de cette méta-analyse
indiquent qu'après ajustement des facteurs connus des risques
cardiovasculaires (âge, sexe, pression artérielle, tabagisme et
cholestérol) ainsi que des effets des erreurs d'évaluation,
chaque diminution de 25 % (ou environ 3) de l'homocystéine
s'accompagnait d'une réduction de risque de MCV de seulement 11 %
(rapport de cotes [RC] de 0,89 avec intervalle de confiance [IC] à 95
%, de 0,83 à 0,96) et d'une réduction de 19 % (RC de 0,81 avec
IC à 95 % de 0,69 à 0,95) du risque
cérébro-vasculaire.4
En plus des études prospectives évaluant la relation entre
les niveaux d'homocystéine et le risque vasculaire, un autre groupe
d'études épidémiologiques a examiné les effets
à vie des différences entre les niveaux d'homocystéine
résultant des variations génétiques de l'enzyme de la
5,10-méthylène-tétrahydrofolate
réductase (MTHFR). Les personnes présentant une substitution de
C vers T sur la base 677 du gène qui encode la MTHFR affiche une
activité enzymatique réduite ainsi que, dans les populations
sans supplémentation, des niveaux d'homocystéine
généralement 20 % plus élevés pour le
génotype TT que pour le génotype CC. Parce que les gènes
parentaux sont distribués de manière aléatoire pendant la
formation d'un gamète, la répartition entre génotype TT
et génotype CC chez les individus est aléatoire de sorte que les
études des risques cardio-vasculaires basées sur des
cas-témoins et comparant des individus de ces 2 génotypes ne
devraient pas être influencées par des amalgamations et d'autres
biais. Les méta-analyses des études de ce type indiquent qu'une
différence de 3 µmol/l du niveau d'homocystéine chez les
individus avec génotype TT et CC s'associe à une
différence d'environ 10 à 15 % pour le risque de MCV
5-7
et à une différence de 20 à 25 % pour le risque
cérébrovasculaire. 8 La concordance de ces résultats dans
les études prospectives et génétiques confirme avec force
la relation causale entre les niveaux élevés
d'homocystéine et le risque de maladie
vasculaire.9
L'hypothèse de l'homocystéine suscite un intérêt
considérable parce que l'acide folique et la vitamine B12 peuvent
réduire le taux d'homocystéine dans le plasma, ce qui conduit
à penser qu'une supplémentation alimentaire en vitamine B
pourrait réduire le risque de MCV et cérébro-vasculaire.
Un certain nombre d'essais à grande échelle (plus de 1 000
participants) portant sur la supplémentation en vitamine B ont
été lancés vers le milieu des années 90 pour
évaluer cette hypothèse. Les 4 études qui ont, à
ce jour, rapporté leurs résultats (Second Cambridge Heart
Antioxidant Study [CHAOS-2], 10 Vitamin Intervention for Stroke Prevention
[VISP], 11 Norwegian Vitamin Trial [NORVIT] 12 et Heart Outcomes Prevention
Evaluation-2 [HOPE-2] 13 ne sont, jusqu'à présent, pas parvenues
à démontrer des réductions significatives dans leurs
résultats préliminaires (bien que l'étude HOPE-2 ait
relevé une réduction significative des accidents
cérébro-vasculaires, un critère secondaire de
l'étude). C'est dans le contexte de ces conclusions
généralement décevantes que les résultats de
l'étude HOST (Homocysteinemia in Kidney and End Stage Renal Disease)
parrainée par le Veterans Affairs Cooperative Study Program sont
présentés par le Dr Jamison et ses
collègues14
dans ce numéro du JAMA.
Le schéma de l'essai HOST tentait d'évaluer les effets sur la
mortalité et les résultats vasculaires d'une réduction
des niveaux d'homocystéine chez 2 056 patients atteints d'une maladie
rénale. Les participants présentaient une maladie chronique
rénale au stade avancé (estimation de la clairance de la
créatinine égale/inférieure à 30 ml/min [0,50
ml/s]) ou d'une maladie rénale en phase terminale avec niveaux
d'homocystéine de 15 µmol/l ou plus. Ils ont reçu de
manière randomisée soit 40 mg d'acide folique, 2 mg de
cyanocobalamine (vitamine B12) et 100 mg de chlorhydrate de pyridoxine
(vitamine B6) par jour ou un placebo. Malgré une réduction de 26
% des niveaux d'homocystéine (obtenue grâce à une dose
d'acide folique qui dépasse largement celle requise pour une
réduction maximale d'homocystéine), l'étude HOST n'a pas
rapporté de réduction significative ni du critère
principal, la mortalité toute cause confondue, ni des critères
secondaires, notamment infarctus du myocarde, accidents
cérébro-vasculaires et amputations.
Avec la publication d'encore une étude aux résultats
apparemment négatifs, il est raisonnable de replacer les
résultats d'ensemble des essais randomisés
contrôlés dans le contexte des études prospectives et
génétiques portant sur le risque cardiovasculaire. Une
méta-analyse récente d'essais randomisés
contrôlés a évalué les 4 essais importants
mentionnés ci-dessus et 8 autres essais de moindre envergure. Cette
analyse relève, pour les MCV, un risque relatif (RR) de 1,04 (avec IC
à 95 % de 0,92 à 1,17) et, pour les accidents
cérébro-vasculaires un RR de 0,86 (avec IC à 95 % de 0,71
à 1,04). 15 Si, à ces résultats, on intègre les
résultats de l'essai HOST, alors, la variance inverse
pondérée pour chaque réduction de 3 µmol/l des niveaux
d'homocystéine sur une durée de traitement moyenne de 3,1
années est de 1,00 (IC à 95 % de 0,92 à 1,09) pour les
MCV (dans 12 essais) et de 0,88 (IC à 95 % de 0,78 à 1,00) pour
les accidents cérébro-vasculaires (dans 9 essais). Les
réductions des risques relatifs obtenus dans les essais sont
légèrement inférieures à celles prédites
par les études prospectives (0,89 [IC à 95 % de 0,83 à
0,96] pour les MCV et 0,81 [IC à 95 % de 0,69 à 0,95] pour les
accidents cérébro-vasculaires) 4 et par les études
génétiques (0,84 [IC à 95 % de 0,75 à 0,94] pour
les MCV et 0,74 [IC à 95 % de 0,43 à 1,28] pour les accidents
cérébro-vasculaires). 6-8 Mais les intervalles de confiance
à 95 % des résultats des essais restent compatibles avec les
associations observées dans les études
épidémiologiques.
Les raisons suivantes expliquent peut-être pourquoi les 5 essais
réalisés ne parviennent pas à démontrer
statistiquement des effets définis sur le risque vasculaire: nombre
inadéquat d'événements recensés ou durée
insuffisante du traitement, atténuation des avantages de la
supplémentation en Amérique du Nord où la plupart des
essais ont été menés à ce jour ou encore
échec véritable du traitement à réduire le risque
vasculaire.
Pour évaluer la pertinence, si elle existe, d'une
supplémentation en vitamine B en vue de prévenir les maladies
vasculaires, il est envisagé d'effectuer une méta-analyse qui
réunira les données individuelles de tous les participants aux
essais randomisés contrôlés portant sur cette
supplémentation. Cette analyse commencera dès que les essais en
cours seront achevés et publiés. 16 Douze des essais
randomisés portant sur la prévention des maladies vasculaires
par une réduction de l'homocystéine ont recruté plus de 1
000 participants et les données combinées des 52 000
participants de ces essais se répartissent comme suit : 32 000
participants présentent des maladies cardiovasculaires
antérieures dans des populations sans supplémentation, 14 000
présentent des maladies cardiovasculaires antérieures dans des
populations avec supplémentation et 6 000 présentent des
maladies rénales dans des populations avec supplémentation. La
méta-analyse devrait donc pouvoir détecter une réduction
de 10 % des taux des principaux accidents vasculaires, coronariens ou
cérébro-vasculaires.
Entre-temps, les données existantes, y compris les conclusions de
l'essai HOST mené par le Dr Jamison et ses collègues, n'offrent
pas de preuves suffisantes pour justifier l'indication habituelle d'une
supplémentation en vitamine afin de réduire
l'homocystéine et de prévenir les accidents vasculaires chez les
personnes présentant un risque aggravé de maladies
vasculaires.
Informations sur les auteurs
| | Correspondance: Colin Baigent, BM BCh, FRCP, Richard Doll Building, Old
Campus Road, Roosevelt Drive, Oxford OX3 7LF, England
(colin.baigent{at}ctsu.ox.ac.uk).
Liens financier. Aucun déclaré.
Affiliations des auteurs: Clinical Trial Service Unit and
Epidemiological Studies Unit, University of Oxford, Oxford, England.
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PUBMED
ARTICLES EN RAPPORT
Cette semaine dans le JAMA
JAMA. 2007;298:1129.
Texte Complet
Effet de l'abaissement de l'homocystéine sur la mortalité et les maladies vasculaires dans la néphropathie chronique grave et l'insuffisance rénale chronique terminale: Un essai randomisé.
Rex L. Jamison, Pamela Hartigan, James S. Kaufman, David S. Goldfarb, Stuart R. Warren, Peter D. Guarino, J. Michael Gaziano, et For the Veterans Affairs Site Investigators
JAMA. 2007;298:1163-1170.
Résumé
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