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Activité physique mesurée objectivement et mortalité chez les personnes âgées
Steven N. Blair, PED;
William L. Haskell, PhD
Selon des données concluantes, un mode de vie sédentaire et
inadapté augmente le risque de nombreuses maladies et affections
chroniques, tout en réduisant l'espérance de
vie.1,2
Jusqu'à présent, les évaluations d'exposition
à un mode de vie sédentaire ont inclus l'activité
physique
auto-rapportée,3-6
la classification
professionnelle,7 et
les mesures de l'aptitude
cardio-respiratoire.8-10
Toutes ces méthodes sont sujettes à des erreurs de
classification. En effet, les questionnaires auto-administrés peuvent
ne pas intégrer les questions se prêtant à
l'inclusion de toutes les activités pertinentes, et les individus
peuvent avoir un souvenir impropre ou imprécis. Les personnes
travaillant dans une même catégorie professionnelle peuvent
présenter des niveaux de dépense énergétique
largement variables selon leur efficacité dans la performance des
mêmes tâches, et les tâches peuvent requérir
différents besoins énergétiques. Quant aux
évaluations de l'aptitude cardio-respiratoire, qui sont des
mesures objectives effectuées en laboratoire, elles donnent
généralement une indication précise de
l'activité physique pendant les semaines et les mois
précédant les tests, mais peuvent être influencées
par d'autres facteurs environnementaux et génétiques.
Les études observationnelles prospectives intégrant
l'état de santé en variable d'exposition montrent
généralement de plus fortes associations avec la
morbidité ou la mortalité que les études similaires
intégrant l'activité physique. Ainsi, dans
l'étude ACLS (Aerobics Center Longitudinal
Study),11 le
risque de mortalité toutes causes confondues était
évalué dans 5 catégories de condition physique, chez 7
080 femmes et 25 341 hommes. Comparé aux participants en moins bonne
condition (catégorie de référence), le risque relatif
ajusté (sur l'âge, l'année d'examen, le
statut tabagique, et les maladies chroniques) de décès chez les
participants en meilleure condition était de 0,37 pour les femmes et de
0,49 pour les hommes (p < 0,001 pour les deux tendances). La
valeur de p pour la tendance sur toutes les catégories
d'activité physique était significative pour les hommes
(p = 0,01), bien que les risques relatifs aient été
variables sur les 5 catégories d'activité, seule la
deuxième catégorie ayant un intervalle de confiance à 95
% inférieur à 1,00. Chez les femmes, la tendance pour la
mortalité toutes causes confondues n'était significative
dans aucune catégorie d'activité physique (p =
0,22). Ainsi, à la différence de la forte relation inverse
observée entre la condition physique et la mortalité, chez les
hommes comme chez les femmes, les données des mêmes participants
montrent des tendances beaucoup plus faibles ou non significatives avec les
catégories d'activité.
Ces données corroborent l'hypothèse suggérant
qu'il existe des erreurs de classification substantielles dans les
autodéclarations d'activité physique, et que
l'évaluation objective de l'aptitude cardio-respiratoire
montre une relation plus forte avec l'évolution de la
santé. L'un des problèmes posés par
l'utilisation de la condition physique en variable d'exposition
réside dans l'existence d'une influence
génétique sur l'adaptation de la condition physique en
réponse à un programme d'activité
standard.12,13
Cela signifie que même si la condition physique est fortement
corrélée à l'activité, il y a
inévitablement des erreurs de classification lorsque la condition
physique est utilisée en variable de substitution des modèles
d'activité habituels. En conséquence, la variable
d'exposition idéale pour évaluer le rôle de
l'activité physique en tant que facteur prédictif de
l'évolution de la santé associerait
l'objectivité à l'absence d'erreurs de
classification. Il existe au moins 2 techniques potentielles permettant
d'évaluer objectivement l'activité physique:
l'accélérométrie et la technique de l'eau
doublement marquée. À ce jour, aucune étude prospective
n'a rapporté de données sur l'association entre
l'activité physique mesurée objectivement et la
mortalité.
L'étude de Manini et
collaborateurs,14
publiée dans ce numéro du JAMA, constitue l'amorce
d'une réponse à cette absence. Les investigateurs ont
mesuré la dépense énergétique totale chez 302
adultes âgés, en utilisant la technique de l'eau doublement
marquée, avec un suivi moyen pour la mortalité de 6,15 ans. Ils
ont mesuré le taux métabolique au repos au moyen de techniques
standards, et estimé l'effet thermique des aliments
représentant 10 % de la dépense énergétique
totale; ils ont ensuite utilisé ces données pour calculer la
dépense énergétique liée à
l'activité, qui était la variable d'exposition
primaire utilisée dans les analyses. La dépense
énergétique totale variait de 1 766 kcal/j pour le tertile 1
à 2 611 kcal/j pour le tertile 3, pour une différence de 845
kcal/j.
L'étude rapporte que 242 kcal/j de cette différence
étaient dus à un taux métabolique au repos plus
élevé dans le tertile 3 (différence de 158 kcal/j) et
à l'effet thermique des aliments (différence de 84 kcal/j).
La différence dans le taux métabolique au repos s'explique
par la supériorité du poids corporel, qui était de 82,1
kg dans le tertile 3 versus 70,5 kg dans le tertile 1, et par
l'effet thermique supérieur dû à la dépense
énergétique totale plus élevée dans le tertile 3
(les participants sont supposés en équilibre
énergétique). L'activité physique rapportée
sur le questionnaire était de 65 kcal/j pour le tertile 1 et de 321
kcal/j pour le tertile 3, soit une différence de 256 kcal/j. Ainsi, sur
une différence de dépense énergétique liée
à l'activité de 603 kcal/j, environ 256 kcal/j peuvent
être expliqués par l'activité physique
auto-rapportée, les 347 kcal/j restants étant attribués
aux simples déplacements, aux allées et venues, ou à la
« thermogenèse liée à l'activité hors
exercice » selon les termes de Levine et
coll.15
Les résultats globaux de l'étude sont étonnants,
avec l'écart-type de la dépense énergétique
liée à l'activité (287 kcal/j) associé
à une différence de 30 % du risque de mortalité,
après ajustement sur plusieurs variables de confusion potentielles. En
outre, le risque de mortalité ajusté était de 0,33 pour
les individus du tertile le plus haut de dépense
énergétique liée à l'activité
comparé au tertile le plus bas, indiquant une infériorité
du risque de 67 % pour les individus plus actifs.
Les investigateurs ont recueilli l'activité physique
auto-rapportée sur les 7 jours précédant le début
de l'évaluation à l'eau doublement marquée. Les
données obtenues avec les questions sur l'activité physique
sont un peu surprenantes. Il n'est pas observé de tendances
significatives sur les 3 tertiles de dépense énergétique
liée à l'activité pour l'exercice de forte
intensité, la marche à titre d'exercice, ou la marche hors
exercice. Du fait que la marche est typiquement rapportée comme
l'activité la plus courante dans de nombreuses études, et
que l'exercice de plus forte intensité serait supposé
contribuer substantiellement à la dépense
énergétique liée à l'activité,
l'absence d'association observée pour ces variables est
inattendue. Peut-être reflète-t-elle simplement l'ampleur de
l'erreur de classification liée à l'utilisation de
l'activité physique auto-rapportée, qui peut
également être accentuée chez les personnes
âgées.
L'un des points méthodologiques susceptibles d'avoir
contribué à l'absence d'association entre
l'activité physique auto-rapportée et le niveau de
dépense énergétique liée à
l'activité réside dans le fait que les questions sur
l'activité physique portaient sur l'activité
pratiquée la semaine précédant la période
d'évaluation de 2 semaines. Il est possible que pendant ces 2
semaines, le niveau d'activité de certains participants ait
été supérieur, notamment en matière de marche,
à celui rapporté pour la semaine précédente. Cela
pourrait constituer une réaction prévisible de la part de
certaines personnes, après avoir accepté de participer à
une étude sur l'activité physique; cela pourrait en outre
contribuer à expliquer partiellement la différence de 603 kcal/j
dans la dépense énergétique liée à
l'activité observée entre les groupes les moins actifs et
les plus actifs, dont la plus grande partie n'est pas justifiée
par les données de l'activité physique
auto-rapportée.
Du fait que les niveaux plus élevés de dépense
énergétique liée à l'activité
révèlent un caractère protecteur, il est pertinent
d'étudier la quantité et le type d'activité
physique nécessaires pour en bénéficier. Les experts en
santé publique devraient considérer la manière de
traduire ces observations dans leurs recommandations à la population.
Le groupe le plus actif avait une dépense énergétique
liée à l'activité de 994 kcal/j et un niveau
d'activité physique de 1,94. Selon les données du
questionnaire d'activité physique (Tableau 3 de
l'article de Manini et
coll.14), le groupe
le plus actif atteignait une moyenne de 1,3 heures par jour et
dépensait 321 kcal/j en activité physique. Si cette
représentation est exacte, ils ont alors dépensé 673
kcal/j en thermogenèse liée à l'activité hors
exercice. Les individus du groupe le plus actif pesaient environ 82 kg, ce qui
produit une thermogenèse liée à l'activité
hors exercice d'environ 8,2 kcal par kilogramme par jour. Ce
résultat est légèrement inférieur à celui
trouvé dans un échantillon plus jeune d'individus maigres
(environ 13 kcal) et obèses (9 kcal), rapporté par Levine et
coll.15 Ainsi, la
dépense énergétique liée à
l'activité de 994 kcal/j pour le groupe le plus actif peut
s'expliquer par les 321 kcal/j de l'activité physique
auto-rapportée et par les 673 kcal/j de la thermogenèse
liée à l'activité hors exercice, ces derniers
kilocalories étant dus à la station debout, aux allées et
venues dans une pièce, aux divers déplacements, et aux autres
activités de l'échantillon de l'étude libre de
ses mouvements.
Les investigateurs ont effectué plusieurs analyses de
sensibilité, dans lesquelles ils ont exclu les décès
prématurés, les individus ayant une dépense
énergétique liée à l'activité
très faible ou très élevée, ainsi que ceux
présentant moins de 2 comorbidités à l'inclusion.
Les résultats de ces analyses de sensibilité s'accordent
avec le gradient inverse élevé globalement observé pour
la mortalité sur les 3 tertiles de dépense
énergétique au cours de l'activité, et soutiennent
la conclusion suggérant que la dépense énergétique
liée à l'activité est un facteur déterminant
de mortalité dans la population des personnes âgées.
Les autres explications possibles de l'association entre la
dépense énergétique liée à
l'activité et la mortalité pourraient inclure des facteurs
génétiques, ainsi qu'une éventuelle diminution de
cette dépense énergétique due à une maladie
chronique. Levine et
coll.15 et Zurlo et
coll.16
suggèrent une composante génétique ou familiale à
la thermogenèse induite par l'activité hors exercice, ce
qui pourrait théoriquement relier la dépense
énergétique liée à l'activité, via la
thermogenèse de l'activité hors exercice (et avec
exercice), à l'obésité ou à d'autres
désordres médicaux. Il semble improbable que la présence
d'une maladie chronique puisse expliquer l'association entre la
dépense énergétique liée à
l'activité et la mortalité, dans la mesure où il
n'a pas été observé de différence
significative dans la prévalence d'affections médicales
majeures entre les différents groupes d'activité.
La contribution majeure de cette étude à la
littérature réside dans son utilisation d'une mesure
quantitative de la dépense énergétique pendant
l'exercice, en tant que facteur prédictif de mortalité
toutes causes confondues chez les femmes et les hommes âgés. Il
est démontré qu'une différence de 603 kcal/j dans la
dépense énergétique liée à
l'activité (dont 256 kcal/j dus à l'exercice et 347
kcal/j à la thermogenèse de l'activité hors
exercice) est associée à un risque relatif de 0,33
comparé au tertile le moins actif, et qu'il existe une relation
dose réponse inverse entre la dépense énergétique
liée à l'activité et la mortalité. En raison
des méthodes utilisées dans cette étude, les
données sont beaucoup moins claires quant à la relation
dose-réponse concernant l'intensité de cette dépense
énergétique. La technique de l'eau doublement
marquée n'apporte pas d'information sur le profil
d'intensité de la dépense énergétique, tandis
que la nature et le délai du questionnaire d'activité
physique excluent toute conclusion définitive quant à
l'intensité de l'activité effectuée pendant
l'évaluation de la dépense énergétique
liée à l'activité. En conséquence, la
conclusion de Manini et coll., suggérant que « le simple fait de
dépenser de l'énergie, quelle que soit
l'activité effectuée, pourrait avoir une influence sur la
survie chez les adultes âgés », donne matière
à réflexion et, si elle est étayée par de futures
études, aurait des implications majeures sur les recommandations en
matière d'activité physique. Cependant, cette conclusion
doit être confirmée dans des études qui combineraient la
dépense énergétique liée à
l'activité évaluée par la technique de l'eau
doublement marquée et le profil d'intensité
déterminé par la méthode des
accéléromètres développés
récemment.
Les études futures devront envisager d'inclure ces deux
méthodes quantitatives pour permettre de déterminer plus
précisément les quantités et l'intensité de
l'activité physique spécifiquement liées aux
questions de santé. Une étude complémentaire sur la
composante génétique de la thermogenèse liée
à l'activité hors exercice et sur la nature de sa relation
avec la mortalité sera également nécessaire.
Informations sur les auteurs
| | Correspondance : Steven N. Blair, PED, Cooper Institute, 12330 Preston
Rd, Dallas, TX 75230
(sblair{at}cooperinst.org).
Liens financiers: aucun déclaré.
Affiliations des auteurs : Cooper Institute, Dallas, Tex (Dr Blair); and Stanford University School of Medicine, Stanford, Calif (Dr Haskell).
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ARTICLE EN RAPPORT
Dépense énergétique liée à l'activité quotidienne et mortalité chez les personnes âgées
Todd M. Manini, James E. Everhart, Kushang V. Patel, Dale A. Schoeller, Lisa H. Colbert, Marjolein Visser, Frances Tylavsky, Douglas C. Bauer, Bret H. Goodpaster, et Tamara B. Harris
JAMA. 2006;296:171-179.
Résumé
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