PRÉSENTATION DU CAS
Mme A., âgée de 86 ans, grabataire et souffrant d'une
invalidité chronique, est admise à l'hôpital avec un
changement brutal de son état mental. Initialement, la patiente
était consciente et orientée, mais requérait une aide
pour toutes les activités de la vie quotidienne, sauf pour
s'alimenter. Ses antécédents médicaux incluent une
sténose aortique grave (0,53 cm2), une fibrillation
auriculaire, de l'hypertension, une dépression, et une fracture de
la hanche gauche survenue 18 mois avant la présente admission. La
patiente avait refusé la chirurgie pour la sténose aortique
comme pour la fracture de hanche.
La patiente, devenue veuve dans les années 70, n'avait pas
d'enfants et vivait seule. Pendant 18 mois avant son hospitalisation,
elle avait bénéficié d'une aide à domicile
vingt-quatre heures sur vingt-quatre, qu'elle avait réduit
à 6 heures par jour (de 9 h à 15 h) au cours des derniers mois,
pour des raisons financières. Le soir et la nuit durant, Mme A. restait
seule. Pour payer ses soins, la patiente avait souscrit un emprunt
hypothécaire inversé sur sa maison, vendu la plus grande partie
de ses biens, et épuisé ses cartes de crédit. Ses soins
médicaux étaient assurés par le biais du programme EHCP
(Elder House Call Program) de l'hôpital John Hopkins, un
système de visites de médecins à domicile permettant aux
patients d'être examinés et soignés dans leur
environnement quotidien. Elle disposait également d'un dispositif
de téléalarme (Lifeline Systems, Framingham,
Massachussetts).
Son neveu, un retraité de 71 ans, était sa personne de
confiance et le principal membre de sa famille à s'occuper
d'elle. Il allait la voir régulièrement, mais ses visites
et sa capacité à fournir une aide étaient limitées
par ses voyages fréquents.
Environ 8 mois avant l'admission de la patiente, une réunion
avait été organisée en sa présence pour lui
exposer les préoccupations relatives à sa
sécurité. Les participants incluaient une assistante sociale des
APS (Adult Protective Services), son neveu, son médecin EHCP
(qui était également son médecin de soins primaires), et
un ergothérapeute. L'assistante sociale des APS s'occupait de
ce cas depuis 2 ans et avait tenté, en collaboration avec le neveu de
Mme A., d'organiser son transfert dans un établissement de
résidence assistée (qui aurait été financé
par l'assurance maladie), mais la patiente avait refusé. Les
ergothérapeutes avaient travaillé avec elle pendant plus
d'un mois pour voir si elle pouvait regagner une certaine autonomie,
espérant ainsi améliorer la sécurité de sa
situation à domicile, mais elle était restée largement
impotente. L'équipe multidisciplinaire de professionnels avait
informé la patiente que sa situation actuelle était
précaire et qu'elle l'exposait à un risque plus
élevé de présenter diverses complications
médicales et à terme, une dégradation clinique. Selon son
médecin EHCP, la patiente comprenait clairement les enjeux, son score
MMSE (Mini-Mental State Examination) étant de 28, voire 30, et
– plus important encore – avait la capacité à
apprécier les risques. Après sa confrontation avec les
professionnels, la patiente leur avait répondu: « Vous devrez me
traîner de force hors de la maison si vous voulez me placer en maison de
santé. » Le médecin EHCP et son neveu ont confirmé
que cette position était conforme à l'opinion qu'elle
avait toujours soutenue sur le sujet.
Le neveu de Mme A. et son médecin EHCP pensaient que sa situation se
dégraderait et qu'elle serait hospitalisée sous peu.
Cependant, elle réussit à se maintenir pendant près de 8
mois: elle était en mesure de rester seule chez elle et n'a pas
développé de lésion cutanée jusqu'avant son
hospitalisation; elle restait très soignée et était de
bonne humeur. Dans les mois précédant son hospitalisation, elle
ne sortait pourtant plus de son lit qu'environ une heure par jour.
Lors de son admission aux urgences, ses signes vitaux incluaient une
pression artérielle de 90/30 mm Hg, un rythme cardiaque de 122/min, et
une température de 37,9° C. Affublée d'une blouse
d'hôpital, elle n'était orientée que par rapport
aux personnes et était considérée comme délirante.
Elle était négligée, présentait d'importantes
caries dentaires et une escarre sacrée de stade 2, et macérait
dans ses selles et ses urines. Elle avait un taux de leucocytes de 13 X
103/µL et d'acide lactique de 3 mg/dL, et ses examens
d'urines montraient une quantité anormale de globules blancs
associée à une charge bactérienne. Admise en
médecine interne avec un diagnostic de septicémie à point
de départ urinaire, elle a reçu des antibiotiques et une
réhydratation par voie intraveineuse. Au deuxième jour
d'hospitalisation, son état s'était
considérablement amélioré, avec un état mental
considéré comme de retour au niveau initial, et son plan de
sortie a été préparé. L'équipe de
kinésithérapeutes et d'ergothérapeutes a
recommandé un placement de courte durée en service subaigu dans
un centre de réadaptation.
Mme A. ne voulait pas entendre parler de réadaptation et voulait
regagner directement son domicile: rentrer chez elle et y rester était
sa seule priorité. Connaissant sa situation à domicile, les
membres de l'équipe multidisciplinaire de soins, incluant
assistantes sociales, kinésithérapeutes et
ergothérapeutes, médecins et infirmières, étaient
inquiets pour sa sécurité en cas de retour dans son état
actuel. La patiente a été informée que son état de
santé était susceptible de se dégrader, qu'elle
allait développer une aggravation des escarres et souffrir d'une
plus mauvaise hygiène. Elle a également été
prévenue que ses risques de retourner rapidement à
l'hôpital, ou même de mourir seule chez elle étaient
élevés. Elle a en outre été informée que sa
capacité à s'assurer des services de soins à
domicile s'éteindrait lorsqu'elle serait à court
d'argent. En dépit de l'évocation de tous ces
problèmes avec la patiente, cette dernière est restée
catégorique sur son intention de rentrer, affirmant qu'elle
était consciente des risques potentiels et qu'elle n'irait
nulle part ailleurs. L'équipe médicale pensait qu'elle
était apte à prendre cette décision, mais compte tenu de
la gravité de la situation, a consulté le service de psychiatrie
pour avoir un deuxième avis. La psychiatre consultée a conclu
à la compétence de la patiente, mais en notant « la
possibilité qu'elle ne réalise pas entièrement
l'étendue de la détérioration de son état de
santé ni son besoin croissant de soins. » La psychiatre a par
ailleurs indiqué que la dépression de la patiente était
bien traitée.
Une assistante sociale de l'hôpital a contacté son
homologue des APS qui a estimé que dans un souci de
sécurité, la patiente ne devait pas rester seule chez elle dans
son état actuel.
L'équipe médicale a saisi le comité
d'éthique pour traiter la question de savoir si « cette
patiente au terrain débilité, dépendante, bien que
compétente, avait le droit de rentrer chez elle où sa situation
était précaire ».
DISCUSSION
L'une des difficultés majeures de ce cas réside dans la
conciliation de deux obligations éthiques fondamentales qui se
révèlent en conflit direct: (1) le devoir de promouvoir le
bien-être du patient et de le protéger du mal et (2) le devoir de
respecter les désirs d'un patient compétent. Toutes les
personnes impliquées dans les soins de cette patiente étaient
préoccupées par le fait que la réintégration de
son domicile directement après son hospitalisation constituerait une
menace à son bien-être et un risque élevé de
préjudice. Dans le même temps, elles étaient toutes
gênées par la perspective d'outrepasser ses
désirs.
Statut du patient dans la relation médicale: perspective historique
Il a, de tout temps, été accordé un poids insuffisant
aux patients dans le processus de prise de décision médicale. En
1847, le premier Code d'éthique de l'AMA (American
Medical Association) énonçait que «
l'obéissance du patient à la prescription du médecin
doit être prompte et implicite. Il ne doit jamais permettre que son
jugement grossier de son état de santé, quelle que soit sa
pertinence, n'influence l'attention qu'il leur porte.
»1 Cette
déclaration ne laissait aucun doute quant au lieu
d'autorité voulu dans la relation médecin-patient. Le
rôle du patient était d'être obéissant et
respectueux. Les médecins ne devaient pas être contredits, et les
patients ne devaient pas soumettre leur « jugement grossier ».
Plus d'un siècle plus tard, le patient était toujours
relégué à l'arrière-plan dans la relation
médecin-patient, ce qui était illustré par sa
participation limitée dans la prise de décision et son
accès restreint aux informations essentielles. Selon un article
publié en 1953 dans le JAMA, 69 % des médecins ne
disaient jamais ou généralement pas à leurs patients
qu'ils avaient un cancer. L'un des médecins participant
à l'étude justifiait cette pratique par cet argument
couramment invoqué: « Je ne dis jamais au patient qu'il ou
elle a un cancer, quelle que soit sa résistance ou sa stabilité
émotionnelle, car très peu sont de taille à supporter la
vérité.
»2 Une
étude similaire publiée en 1961 démontrait que 90 % des
médecins n'informaient pas leurs patients de leur diagnostic de
cancer.3
Les 50 dernières années ont heureusement connu une profonde
évolution au regard du rôle du patient dans la prise de
décision et de son statut dans la relation médecin-patient. Dans
le cadre du bouleversement des normes sociales survenu dans les années
1960 et 1970,4
l'autonomie du patient s'est imposée comme un principe
dominant de la
bioéthique.5
Une étude revisitant la question de la divulgation du diagnostic de
cancer, publiée en 1979 dans le JAMA, concluait que 97 % des
médecins préféraient désormais
révéler le diagnostic de cancer à leurs
patients.6
Parallèlement à cette nouvelle prise de position des
médecins s'est amorcé un changement du statut des patients
dans la relation médecin-patient et dans leur implication dans la prise
de décision médicale.
Selon les Principes d'éthique médicale établis
par l'AMA en 1980 (revus plus récemment en 2001), « le
médecin doit respecter les droits des patientsÉ
».7 Entre
autres droits, il était reconnu aux patients le droit à
l'autodétermination. Cependant, le droit du patient à
décider pour lui-même recouvre-t-il celui de prendre la mauvaise
décision?
Entre droits et bien-être du patient
Les patients ont le droit de définir les valeurs et les objectifs
qui détermineront leurs soins médicaux. Ces valeurs et objectifs
documentent la prise de décision relative à des interventions
médicales spécifiques, comme lorsqu'il s'agit de
choisir entre différentes approches thérapeutiques. Afin de
favoriser ce droit à l'autodétermination, les
médecins doivent adopter une démarche axée sur le
patient, en prenant soin de déterminer ses valeurs et ses objectifs en
matière de soins, tout en tentant de mettre au jour son point de vue
sur sa maladie.
Il est souvent difficile pour les médecins et autres membres de
l'équipe soignante d'accepter les décisions du patient
lorsqu'elles divergent de la prise en charge recommandée par un
professionnel, dont l'objectif est de servir les intérêts du
patient. Même si ces décisions excluent tout
bénéfice au sens biomédical, elles peuvent profiter aux
patients en d'autres façons si elles sont conformes à leurs
valeurs et à leurs
objectifs.8 Les
choix des patients qui menacent leur bien-être et se
révèlent contradictoires avec les valeurs et les objectifs
qu'ils ont euxmêmes définis sont particulièrement
difficiles à accepter parce qu'ils s'avèrent non
seulement « mauvais » d'un point de vue médical, mais
également irrationnels. Il est important que les médecins
identifient la cause sous-jacente d'une prise de décision
irrationnelle et la traitent de manière
appropriée.9
Mme A. tenait, apparemment par-dessus tout, à vivre chez elle.
Cependant, l'accession à cette demande permettait plus
difficilement de promouvoir ses intérêts au sens médical
du terme, tout en introduisant une forte probabilité de
préjudice. De nombreux auteurs ont exprimé leur
préoccupation quant au fait qu'une adhésion trop stricte au
principe d'autonomie du patient risquait, entre autres, de laisser une
place insuffisante à d'autres principes majeurs (tels que le
devoir de faire le bien et de protéger les patients). Ce
déséquilibre pourrait induire un rôle indûment
restreint des médecins dans la prise de décisions
médicales importantes. L'objectif, est-il argué, devrait
consister à trouver un bon équilibre entre l'autonomie et
la bienfaisance, qui impliquerait un respect légitime de
l'autodétermination du patient sans renoncer au devoir de servir
au mieux ses
intérêts.10
Cette approche accorderait aux médecins un rôle significatif dans
la relation médecin-patient et dans la prise de décision
médicale, dans le cadre duquel ils tiendraient compte du
bien-être des patients tout en évitant de retomber dans le
paternalisme.
Néanmoins, les décisions du patient sont le plus souvent
respectées, et cela même si elles sont perçues par leur
médecin comme étant « mauvaises » ou «
irrationnelles », sauf en présence d'un risque de
préjudice pour un tiers, d'un trouble psychiatrique mal
traité, ou d'un doute relatif à la compétence du
patient.11 Bien que
les questions relatives à la capacité du patient ne doivent pas
se limiter aux cas où les médecins considèrent leur choix
comme étant « mauvais » ou « irrationnel », il
est tout à fait logique qu'elles soient soulevées dans ces
circonstances.
Évaluation de la compétence
Les méthodes d'évaluation de la capacité
décisionnelle portent généralement sur plusieurs
capacités fonctionnelles
fondamentales,12 et
diffèrent en cela des outils d'évaluations de
l'état mental comme le MMSE (Mini-Mental State
Examination). Dans certaines formulations, ces capacités sont
présentées hiérarchiquement, avec une progression
s'échelonnant des tâches les plus simples aux plus
complexes.13 Les
critères évalués incluent la capacité à
définir et à exprimer ses choix; la capacité à
comprendre l'information relative à sa situation médicale;
la capacité à apprécier le fait que l'information
s'applique à soi dans la situation présente, et
éventuellement future; et enfin, la capacité à engager
une réflexion rationnelle sur les options thérapeutiques et
à expliquer les raisons d'un choix au détriment d'un
autre, en se basant sur ses propres valeurs. Il existe un outil, qui a
été testé empiriquement, destiné à
évaluer individuellement la capacité des malades à
prendre des décisions thérapeutiques; cependant des
considérations temporelles peuvent limiter la
généralisation de son utilisation en pratique
clinique.14,15
Certains auteurs se sont déclarés en faveur d'une norme
flexible concernant la capacité décisionnelle, dans laquelle
l'augmentation du risque de préjudice impliquerait
parallèlement l'application de critères de
compétence plus
rigoureux.16 Dans
notre cas, les risques étaient relativement élevés. Si
Mme A. était renvoyée chez elle, elle était
exposée à un risque de morbidité sévère,
voire de décès. Dans ce contexte, certains experts appelleraient
à l'application d'une norme plus stricte pour
déterminer la compétence de la patiente.
Dans le cas présenté ici, le consultant psychiatre a conclu
que Mme A. était compétente, mais a par ailleurs émis des
réserves sur son degré d'appréciation de certains
facteurs relatifs à son choix. Une évaluation effectuée
indépendamment par le médecin membre du comité
consultatif d'éthique (J.A.C.) a soulevé des
problèmes similaires: il y avait des incertitudes quant à la
rigueur avec laquelle la patiente avait étudié les implications
de son retour à domicile. Lors de l'entretien, la patiente avait
semblé peu disposée ou incapable d'engager une conversation
sérieuse (et pertinente) sur les risques associés à la
ligne de conduite qu'elle proposait.
Cependant, le désir qu'elle exprimait de rentrer chez elle sans
passer par un centre de réadaptation était conforme à ce
qu'elle avait clairement exprimé de longue date. Il convient
d'accorder une attention particulière à une
préférence exprimée de manière cohérente.
Dans le même temps, les préférences du patient peuvent
changer parallèlement à l'évolution de sa situation.
Les données de la littérature relatives à la
stabilité des préférences des patients au fil du temps,
ou en fonction du changement de leur état de santé, sont
contrastées, certaines études indiquant une stabilité des
préférences,17,18
et d'autres
non.19,20
Violation des valeurs du médecin
Au regard des croyances et des valeurs personnelles des médecins, le
code d'éthique de l'American College of Physicians
stipule que « les médecins et les patients peuvent avoir des
conceptions différentes de la signification et de la résolution
des problèmes médicaux [É]. Si le médecin se doit
de traiter les problèmes des patients, il ne lui est pas demandé
de violer des valeurs personnelles fondamentales, des règles de
pratique scientifique ou éthique, ni la loiÉ
».21 On
pourrait dire que ce point est pertinent dans le cas présent.
D'aucuns pourraient cependant arguer que la contribution d'un
médecin au renvoi de cette patiente à son domicile, dans une
situation précaire, contreviendrait à son devoir professionnel
de protection.
Les médecins ne sont pas obligés de violer leurs valeurs
personnelles ou les règles de bonne pratique dans le respect du droit
à l'autodétermination des patients. Cependant, ils ne
doivent pas non plus abandonner les patients. En cas de désaccord
irréversible entre le patient et le médecin, ce dernier doit
prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre une bonne
transmission de la prise en charge à un
confrère.22
Par ailleurs, les médecins doivent soigneusement déterminer
s'il y a réellement conflit avec leurs valeurs personnelles ou
professionnelles. Même en cas de désaccord sur l'option
retenue, les médecins doivent examiner le bien-fondé du refus
des patients afin de les aider à suivre les préférences
qu'ils ont
exprimées.23
Répondre au refus de soins
Il existe de nombreuses réponses possibles au patient qui refuse les
soins recommandés. Dans des cas particulièrement frustrants,
certains médecins sont tentés de se dégager et
d'accepter la décision du patient par résignation ou
parfois même par dépit. Même si cette approche peut sembler
plus simple pour les médecins, elle peut ne pas servir au mieux les
intérêts du patient. Comme alternative, les médecins
peuvent s'opposer au refus et tenter d'imposer le traitement par
tous les moyens possibles, notamment par le biais d'actions
légales auprès des tribunaux. Dans un cas comme celui de cette
patiente, en l'absence de maladie mentale associée à une
dangerosité pour elle-même ou pour autrui, les efforts entrepris
pour imposer un placement ou un traitement contre la volonté de la
malade n'auraient pu être poursuivis que si un tribunal
l'avait déclarée incompétente. Une autre
possibilité de réponse à un refus de traitement consiste
à expliquer le point de vue du médecin au patient, en tentant de
le persuader de changer d'avis sans recourir à la manipulation ou
à des moyens de coercition.
Encadré. Refus de soins du patient: suggestion d'approche et
recommandations
Considérer le refus de traitement comme une opportunité
d'initier (ou de continuer) un dialogue avec le patient.
Rechercher et analyser les raisons du refus du patient
Identifier les facteurs inhérents au patient susceptibles de
contribuer à son refus (croyances religieuses, milieu socioculturel,
facteurs psychosociaux, précédentes interactions avec le
système de santé, expériences personnelles
déterminantes, préférences des membres de la famille ou
des amis)
Déterminer si le refus de soin est conforme aux objectifs
exprimés par le patient
Évaluer la capacité du patient à prendre une
décision
Déterminer si l'autonomie du patient (refus de soin) et son
bien-être peuvent être conciliés
Lorsque les valeurs personnelles ou professionnelles du médecin sont
violées, il n'est pas obligé de s'engager, mais doit
soigneusement réfléchir à sa décision et aider
à la continuité de la prise en charge
|
|
Une suggestion d'approche et des recommandations pour aborder le refus
de soins sont présentés dans l'Encadré. En
présence d'un refus de traitement, les médecins doivent
considérer l'opposition comme une occasion d'initier (ou de
continuer) un dialogue permettant de comprendre le point de vue du patient.
Quels facteurs contribuent à la position du patient et influencent sa
prise de décision? Les membres de l'équipe soignante
ont-ils considéré et exploré ses croyances religieuses,
son milieu socioculturel, les divers facteurs psychosociaux, les
précédentes interactions du patient avec le système de
santé, ses expériences personnelles déterminantes, ou les
préférences des membres de sa famille ou des amis? Le
médecin doit en outre déterminer la cohérence du choix du
patient vis-à-vis de ses valeurs et de ses objectifs. Le choix
proposé est-il compatible avec la réalisation des objectifs
exprimés? Est-ce la meilleure option pour atteindre ces objectifs? Une
étude approfondie de ces questions pourrait se traduire par une
meilleure communication avec le patient et, dans le meilleur des cas, par une
prise de décision et une issue plus
favorables.24
Dans le cas de Mme A., les soignants ont tenté de mieux comprendre
les préférences qu'elle avait exprimées et son refus
de suivre les soins recommandés. Après analyse approfondie, il
n'est pas apparu que son désir de rentrer chez elle était
expliqué par une dénégation des faits essentiels de son
état de santé ou par sa situation sociale et financière.
Les entretiens avec son neveu ont révélé que
l'attitude de Mme A. vis-à-vis des institutions s'expliquait
par une période de sa vie où elle était
bénévole dans un établissement pour personnes
âgées. À cette époque, les diverses visites
qu'elle avait dû effectuer dans des maisons de santé avaient
fait naître en elle une aversion qui lui avait fait
décréter qu'elle ne voudrait jamais y vivre. De l'avis
de son neveu, les efforts précédemment réalisés
pour lui faire considérer les options de résidence
assistée avaient ainsi échoué parce que la patiente
pensait que quitter sa maison reviendrait à être placée
dans une de ces institutions.
CONCLUSION
Les médecins et le personnel soignant se sont
considérablement débattus pour déterminer la bonne ligne
de conduite à adopter dans le cas de Mme A. Les médecins
hospitaliers, le médecin de soins primaires, les infirmières,
les assistantes sociales de l'hôpital et des APS, ainsi que son
neveu, étaient tous gravement préoccupés par sa
sécurité et son bien-être dans
l'éventualité de son retour à domicile, même
s'ils souhaitaient tous satisfaire ses désirs. Comme
évoqué précédemment, le principal problème
résidait dans le fait que son bien-être et ses désirs se
révélaient être en conflit direct. Lorsque des valeurs
fondamentales sont en contradiction, il peut ne pas y avoir une seule bonne
réponse précise. Il arrive même, au contraire, que deux
solutions apparaissent (et soient) diamétralement opposées, avec
chacune des avantages et des inconvénients d'un point de vue
éthique. Dans les cas suscitant des incertitudes quant à la
bonne ligne de conduite à suivre, les décisions peuvent
s'accompagner de doute et de détresse.
Le comité consultatif d'éthique s'est
également débattu pour déterminer la meilleure ligne de
conduite à adopter dans ce cas. Le comité multidisciplinaire de
4 membres, avec des représentants du personnel soignant, de
l'assistance sociale, de l'administration et du personnel
médical, s'est longuement concerté sur ce cas à
l'occasion de deux rencontres. Le comité d'éthique
qui, au John Hopkins Bayview Medical Center, intervient à
titre consultatif, a conclu que si l'équipe médicale
pensait la patiente apte à prendre des décisions sur cette
question, elle avait alors le droit de décider de rentrer chez elle. Il
notait que si en revanche, il existait un doute raisonnable quant à sa
capacité de prendre une telle décision, l'équipe
médicale aurait alors raison de prendre des mesures pour passer outre
son projet de regagner son domicile.
Le comité d'éthique a également
suggéré des moyens de concilier le droit à
l'autodétermination de la patiente et les problèmes
relatifs à son bien-être. Il a proposé un moyen
détourné de lui présenter l'information, qui se
conformait à son objectif de rentrer chez elle et d'y rester. Ils
ont ainsi suggéré de lui dire que ses soins
n'étaient pas terminés et qu'elle devait les
poursuivre dans un établissement dispensant des programmes de
réadaptation et des soins cutanés, afin qu'elle soit dans
les meilleures conditions pour regagner ensuite son domicile. Rentrer
directement chez elle à sa sortie de l'hôpital risquait de
ne pas être le meilleur choix pour réaliser son objectif à
long terme, et pouvait même le compromettre.
En outre, au cours de ses entretiens avec les diverses parties
concernées par les soins de la patiente, notamment l'assistante
sociale des APS, le comité d'éthique a appris la
stratégie de l'organisme consistant à demander la
couverture maladie au nom de la patiente et a pu transmettre
l'information à l'équipe médicale.
L'espoir était qu'après avoir passé 30 jours
dans un établissement spécialisé, Mme A. aurait droit
à l'assurance maladie et pourrait prétendre à 12
heures par jour d'aide à domicile.
Vers la fin de la période d'hospitalisation de Mme A., une
réunion a été organisée en présence
notamment de la patiente, de membres de l'équipe médicale,
d'une assistante sociale, d'un membre du comité
d'éthique, et d'un responsable du programme d'assurance
maladie Medicaid. La discussion portait sur le statut médical
de la patiente, sur la nécessité de poursuivre un traitement
dans un autre établissement, et sur la situation financière
actuelle de la patiente, dans la mesure où elle était
liée à sa capacité à financer une aide à
domicile. Les protagonistes des soins se sont efforcés de lui
présenter la réadaptation à court terme comme une simple
alternative à un placement à long terme dans une maison de
santé ou à un transfert direct à domicile. Les personnes
réunies ont en outre expliqué à la patiente qu'une
demande de couverture maladie serait faite en son nom pour qu'elle puisse
payer une aide à domicile lorsqu'elle serait en état de
rentrer. Ainsi, le plan de sortie final tentait de respecter son désir
de rentrer chez elle, bien que dans un délai différé,
mais avec l'espoir qu'elle pourrait y rester plus longtemps que si
elle rentrait directement après l'hôpital, confinée
au lit et dépourvue d'aide adéquate. C'est à
l'issue de cette réunion que la patiente a consenti à
être transférée dans un établissement
spécialisé pour recevoir des soins cutanés et un
programme de réadaptation. Se référant à la
patiente, le médecin soignant avait conclu « qu'ils avaient
su préserver son autonomie tout en ayant fait leur possible pour une
prise en charge optimale. »
ÉPILOGUE
Deux jours après son transfert au centre spécialisé,
Mme A. a développé une hémorragie gastro-intestinale
aiguë et est devenue hémodynamiquement instable. Elle a
été transférée dans un autre établissement
de soins de courte durée où elle a été admise en
soins intensifs. Elle est décédée quelques jours plus
tard.