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Monothérapie à la thyroxine à la suite dune thyroïdectomieRetour à la case départ
David S. Cooper, MD
RÉSUMÉ
Notre expérience est peut-être semblable à celle de nombreux autres cliniciens : chez un très petit nombre de patients atteints dhypothyroïdie, un traitement substitutif à la thyroxine seule ne semble pas améliorer totalement leur état général.1
Le concept dhormonothérapie substitutive est couramment attribué à Brown-Sequard qui, en 1889 et à lâge de 72 ans a observé une vitalité et une acuité mentale accrues après sêtre injecté un extrait de testicules de chien.2 Le concept de « sécrétion interne » est issu de ces expériences et peu après, Murray réussissait à traiter le myxœdème au moyen dun « jus » dextrait de thyroïde de mouton.3 Depuis le milieu du 20e siècle, il est possible de substituer par une thérapie presque toutes les hormones pertinentes du point de vue clinique. Le défi consiste toutefois à administrer ces hormones à des patients en état de carence dune manière qui reproduise exactement la complexité de la sécrétion endogène. Le traitement substitutif à linsuline chez les patients atteints de diabète de type 1 est un exemple frappant de cette difficulté. Même un patient utilisant un dispositif sophistiqué, comme une pompe à insuline externe, et dont la glycémie fait lobjet dune étroite surveillance médicale reste susceptible de développer une hypoglycémie dangereuse, car on arrive toujours difficilement à imiter la sécrétion dinsuline normale.
Par contraste avec les difficultés que représente la substitution dhormones protéiques (comme linsuline) qui ont un mécanisme sécrétoire complexe, le traitement substitutif avec de petites molécules, comme les hormones stéroïdiennes et la thyroxine (T4), passe pour être relativement simple. Mais en réalité, tel nest pas le cas, étant donné les effets indésirables dun excès ou dune insuffisance dhormone couramment observés chez les patients, notamment lorsque les cliniciens tentent de traiter lhypogonadisme avec des stéroïdes sexuels, une insuffisance surrénale avec des glucocorticostéroïdes et lhypothyroïdie avec de la thyroxine (T4). Lon peut croire que la reproduction de la physiologie thyroïdienne normale au moyen dune thérapie substitutive à la thyroxine est simple puisque les taux sériques de T4 et de triiodothyronine (T3) ne présentent pas de pulsatilité et nont pas de rythme cicardien.4 Alors pour quelle raison le traitement de lhypothyroïdie continue-t-il de faire lobjet de tant de recherches cliniques et de générer tant de débats?
La controverse entourant lhormonothérapie thyroïdienne tire partiellement ses racines daspects importants de la physiologie normale de la glande thyroïde. Cest la T3 plutôt que la T4 qui facilite laction hormonale thyroïdienne en se liant aux récepteurs nucléaires de lhormone thyroïdienne présents dans presque tous les tissus. La T3 sérique a deux sources : environ 20 % de la sécrétion quotidienne de T3 proviennent directement de la thyroïde tandis que 80 % dérivent de la monodésiodination de la T4 pour activer la T3 dans les tissus périphériques.5 Ainsi, la T4 sert de prohormone pour la T3, nayant essentiellement aucune activité biologique intrinsèque propre. Des désiodinases de sélénoprotéines particuliers catalysent le processus de désiodination, les variations de leur activité pouvant déterminer en partie les taux sériques de T4, T3 et de thyréostimuline (TSH) de chaque individu.6,7 La source majeure de T3 dans les tissus périphériques provient du fonds T3 qui circule dans lorganisme, bien quune portion variable provienne de la désiodination locale de la T4 dans chaque tissu.8 Chez les adultes, les taux sériques de T3 sont également régulés par les changements de lactivité des déiodinases causés par un état de famine, une suralimentation, une maladie grave et chronique, et certains médicaments.5
Compte tenu de la régulation complexe de la conversion de la T4 en T3, il est possible, en théorie, quune thérapie substitutive à la T4 pure ne puisse pas reproduire exactement un milieu hormonal thyroïdien impliquant deux hormones plutôt quune seule. Bien que des études menées il y a plusieurs décennies aient clairement montré que des taux sériques de T3 pouvaient être atteints par une thérapie substitutive à la T49 pure, des doutes subsistent toujours quant à latteinte réelle de taux sériques normaux dhormone T3 chez un patient individuel suivant une thérapie substitutive à la T4. Cette incertitude a entraîné la tenue détudes explorant une thérapie combinant les hormones T4 et T3.1,10,11 Des expériences faites sur des rats thyroïdectomisés et montrant quune thérapie substitutive à la T4 seule ne restaurait pas complètement les taux de T3 normaux dans les tissus ont continué à nourrir les doutes quant à la capacité dune thérapie à la T4 dimiter une physiologie normale.12 Cependant, à lexception de deux études menées par le même groupe de chercheurs,10,11 aucune des nombreuses études comparatives randomisées comparant une thérapie à la T4 à une thérapie combinée de T4/T3 na montré un avantage quelconque dans lamélioration des symptômes de lhypothyroïdie ou de la sensation de bien-être (résumées dans une méta-analyse13). Certains patients, en particulier les patients présentant désormais une légère hyperthyroïdie causée par une thérapie à la T3,14 ont préféré une thérapie combinée de T4/T3 à une thérapie à la T4 pure. Mais en général, les patients nont eu aucune préférence pour lun ou lautre traitement.13,15 Il a également été suggéré que les patients ayant subi une thyroïdectomie puissent tirer plus de bienfaits dun traitement combiné deT4/T3 que les patients atteints dune hypothyroïdie spontanée qui conservent habituellement une certaine fonction thyroïdienne endogène.16 Mais il a été impossible de confirmer cette hypothèse.13
Léchec de presque toutes les études à montrer lavantage dune thérapie combinée de T4/T3 a été attribué notamment au manque de sensibilité des instruments utilisés pour évaluer létat de bien-être, à un dosage incorrect de T3 ou à la demi-vie relativement courte de la T3 entraînant une fluctuation anormale des taux sériques de T3. Pour répondre à cette dernière objection, une préparation à libération retardée de T3 a été développée, mais celle-ci nest pas encore disponible dans le commerce. Cette notion a également entraîné la disponibilité de préparations de T3 à « action prolongée » à partir de composés pharmaceutiques, mais ces préparations nont pas été approuvées par la Food and Drug Administration américaine et elles ont été associées à une thyréotoxicose iatrogène grave causée par des erreurs dans le processus de composition.18
Cest contre cette toile de fond que Jonklaas et ses collaborateurs19 ont mené une étude de principe simple mais importante, publiée dans ce numéro de JAMA. Ces investigateurs ont cherché à savoir si une thérapie à lhormone T4 seule pouvait restaurer des valeurs sériques de T3 normales.
Toutefois, par contraste avec les études antérieures ayant montré quune thérapie à la T4 pure restaurait les taux sériques de T3 à une valeur se situant dans une large plage de référence normale,9 Jonklaas et ses collaborateurs19 ont cherché à savoir si les taux sériques de T3 pouvaient revenir au niveau normal antérieur au développement de lhypothyroïdie chez une personne individuelle. Dans cette étude, on a mesuré à deux occasions, à une semaine dintervalle avant la chirurgie, la fonction thyroïdienne de patients sur le point de subir une thyroïdectomie en raison dun goitre ou dun nodule thyroïdien suspect ou malin. Les taux dhormone thyroïdienne ont été de nouveau mesurés 16 semaines après la chirurgie alors que les patients recevaient une thérapie à la T4. Les participants ont reçu une dose qui normalisait le taux sérique de thyréostimuline sil était prouvé quils étaient atteints dune maladie bénigne, ou qui le supprimait sils étaient atteints dun cancer de la thyroïde.20
Les auteurs ont découvert que les taux sériques de T3 postopératoires, à quelques exceptions près, étaient similaires à la moyenne des deux valeurs préopératoires, pour autant que le taux sérique de TSH se trouvait sous ou dans la plage normale. Comme la montré une autre étude,9 les taux sériques de T4 libre étaient beaucoup plus élevés après la chirurgie quils ne létaient avant la chirurgie, cette augmentation étant sans doute attribuable à la nécessité, par lorganisme des patients thyroïdectomisés, de générer une quantité suffisante de T3 pour remplacer les 20 % de T3 produits quotidiennement par la glande elle-même. Cependant, Jonklaas et ses collaborateurs19 nont pas évalué lhumeur postopératoire et préopératoire des participants de létude, leur fonction cognitive, leur état de bien-être ou leurs symptômes dhypothyroïdie. Cela aurait pu être possible par lutilisation de groupes témoin ayant subi une chirurgie non thyroïdienne similaire (p. ex., une parathyroïdectomie), ainsi que dautres groupes témoin présentant un diagnostic récent dune forme de cancer ne mettant pas la vie en danger.
Bien quil ait été prouvé quil était possible datteindre des taux sériques de T3 normaux par une thérapie à la T4 pure,19 et en dépit des résultats dune petite étude de cohortes démontrant le caractère normal de la qualité de vie des patients suivant une thérapie à la T4,21 des articles récents ont indiqué que certains patients atteints dhypothyroïdie traités à la T4 présentaient un état physique et psychologique,22-24 une fonction cognitive,23,24 et une humeur pires24 que la population témoin. Comment expliquer que les participants dans ces études, ayant atteint une euthyroïdie biochimique, comme lindiquaient leurs taux sériques normaux de TSH, de T4 libre et de T3, ont continué de présenter une morbidité importante liée à leur maladie? Il existe deux possibilités principales : la thérapie substitutive à la T4 remplace de manière imparfaite le milieu hormonal thyroïdien normal ou les patients atteints dhypothyroïdie obtiennent une note moins élevée sur les échelles de qualité de vie, car ils se perçoivent comme atteints dune maladie chronique. Une troisième hypothèse, moins probable, est que les patients atteints de thyroïdite dHashimoto, la principale cause de lhypothyroïdie, se plaignent de leur humeur et dautres maux somatiques en raison dune diathèse auto-immunitaire sous-jacente nétant pas associée à leur fonction thyroïdienne.25
On ignore pourquoi certains patients ne sentent pas bien même lorsque leur fonction thyroïdienne est normale. Parmi les 50 patients étudiés par Jonklaas et ses collaborateurs,19 6 patients présentaient, pour une raison quelconque, des taux sériques de T3 postopératoires beaucoup plus faibles quavant la chirurgie. On peut supposer que certains patients, possiblement 10 % dentre eux, pourraient bénéficier dune supplémentation de T3 après une thyroïdectomie. Il serait toutefois intéressant de répéter létude menée par Jonklaas et ses collaborateurs19 afin didentifier les quelques patients dont les taux postopératoires de T3 sont beaucoup plus faibles que leurs taux préopératoires. Ces patients seraient alors randomisés pour recevoir une thérapie combinée de T4/T3 , une dose plus élevée de leur monothérapie à la T4 , ou aucun changement à leur dose actuelle de T4 . Ils seraient ensuite testés pour vérifier si le changement à leur régime sest traduit par une amélioration de leur humeur, de leurs symptômes, de leur fonction cognitive ou de leur qualité de vie. Environ 75 000 patients aux États-Unis subissent chaque année une thyroïdectomie,26 il serait donc très facile de mener cette étude. Toutefois, les données produites par Jonklaas et ses collaborateurs19 semblent reléguer aux oubliettes une fois pour toutes la notion quune thérapie à la T4 seule restaure de manière inadéquate les taux sériques de T3 normaux chez la grande majorité des patients.
Informations sur les auteurs
Correspondance : David S. Cooper, MD, Division of Endocrinology, Sinai Hospital of Baltimore, 2401 W Belvedere Ave, Baltimore, MD 21215 dcooper{at}lifebridgehealth.org
Liens financiers : Aucun déclaré.
Les éditoriaux représentent lopinion des auteurs et de JAMA, mais non pas celle de lAmerican Medical Association.
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ARTICLES EN RAPPORT
Cette semaine dans le JAMA-Français
JAMA. 2008;299:727.
Texte Complet
Taux de triiodothyronine chez des patients athyroïdiens au cours dun traitement par lévothyroxine
Jacqueline Jonklaas, Bruce Davidson, Supna Bhagat, et Steven J. Soldin
JAMA. 2008;299:769-777.
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