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  Vol. 298 No. 5, 1 août 2007 TABLE OF CONTENTS
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Exposition aux crimes de guerre et implications pour le processus de paix dans le nord de l'Ouganda

Patrick Vinck, PhD; Phuong N. Pham, MPH, PhD; Eric Stover, BA; Harvey M. Weinstein, MD, MPH


RÉSUMÉ

Contexte Depuis les dernières années de la décennie 80, l'armée de la résistance du Seigneur est en guerre contre l'armée démocratique du peuple ougandais et les populations du nord de l'Ouganda. Mettre fin à ce conflit et parvenir à la paix se sont révélées des tâches difficiles. Dans ce contexte, il est important d'examiner les données démographiques sur l'exposition aux crimes de guerre afin de comprendre comment les survivants perçoivent les mécanismes visant à parvenir à une paix durable.

Objectifs Évaluer le degré d'exposition à la violence guerrière ainsi que la prévalence des symptômes d'ESPT et de dépression dans le nord de l'Ouganda et déterminer comment ces variables s'associent aux opinions des répondants concernant la paix.

Schéma, sites et participants Enquête multiphase à grappes et indicateurs stratifiés et randomisés portant sur 2585 adultes âgés de 18 ans et plus vivant dans des villages et des camps pour personnes intérieurement déplacées dans 4 districts du nord de l'Ouganda en avril et mai 2005.

Principaux résultats Taux et modèles d'exposition aux traumatismes: Critères des symptômes d'ESPT évalués via la version civile de la liste ESPT avec indice de sévérité globale de 44. Symptômes de dépression évalués via la liste de contrôle des symptômes de dépression de John Hopkins avec indice minimal de 42. Les opinions et attitudes concernant la paix.

Résultats Parmi les répondants, 1774 sur 2389 (74,3 %) répondent aux critères des symptômes d'ESPT et 1151 sur 2585 (44,5 %) répondent aux critères des symptômes de dépression. On a distingué quatre modèles d'exposition aux traumatismes: ceux qui ont été peu exposés (groupe 1; 21,4 %), les témoins des violences guerrières (groupe 2; 17,8 %), ceux qui ont été menacés de mort et/ou qui ont été blessés corporellement (groupe 3; 16,4 %) et ceux qui ont été enlevés (groupe 4; 44,3 %). La probabilité d'afficher des symptômes d'état de stress post-traumatique (ESPT) était plus grande chez les répondants des groupes 3 et 4 qui ont été exposés aux événements les plus traumatisants comparé au groupe 1 (groupe 3 contre groupe 1: RC de 7,04 [IC à 95 % de 5,02 à 9,87]; groupe 4 contre groupe 1: RC de 6,07 [IC à 95 % de 4,77 à 7,71]). La probabilité de répondre aux critères des symptômes de dépression était également plus grande dans les groupes 3 et 4 (groupe 3 contre groupe 1: RC de 5,76 [IC à 95 % de 4,34 à 7,65]; groupe 4 contre groupe 1: RC de 4,00 [IC à 95 % de 3,16 à 5,06]). La probabilité d'identifier la violence pour parvenir à la paix est plus élevée chez les répondants qui répondent aux critères des symptômes d'ESPT (RC de 1,31 avec IC à 95 % de 1,05 à 1,65). Chez les répondants qui répondent aux critères des symptômes de dépression, la probabilité d'identifier la non-violence pour parvenir à la paix est moins élevée (RC de 0,77 avec IC à 95 % de 0,65 à 0,93).

Conclusions Notre étude a trouvé de hauts niveaux de prévalence pour les symptômes d'ESPT et de dépression dans une zone de conflit. Les répondants répondant aux critères des symptômes d'ESPT et de dépression ont une plus grande probabilité de favoriser des moyens violents plutôt que non violents pour mettre fin au conflit.

JAMA. 2007;298(5):543-554


Depuis les dernières années de la décennie 80, l'armée de la résistance du Seigneur (LRA, Lord's Resistance Army), un groupe rebelle d'inspiration spiritualiste sans agenda politique clair, est en guerre contre l'armée démocratique du peuple ougandais et la population du nord de l'Ouganda. Connue pour son extrême brutalité, la LRA a tué et mutilé d'innombrables civils. Elle a aussi enlevé des dizaines de milliers d'adultes et d'enfants qui ont été livrés aux officiers pour servir de soldats, de porteurs et de partenaires sexuels. Jusqu'à un million et demi de personnes a été déplacée vers des camps où elles vivent dans la pauvreté et le désespoir.

Mettre fin à ce conflit et parvenir à la paix dans le nord de l'Ouganda se sont révélées des tâches difficiles. Successivement et parfois simultanément, le gouvernement de l'Ouganda a misé sur l'action militaire, les négociations de paix et l'amnistie accordée aux rebelles. En 2003, le président ougandais Yoweri Museveni a transféré le problème du nord de l'Ouganda à la Cour de justice internationale (CJI), laquelle a, en octobre 2005, émis des mandats d'arrêt et d'accusations contre le chef de la LRA Joseph Kony et 4 de ses commandants rebelles.

Des études récentes ont examiné la prévalence des séquelles psychologiques des conflits et suggèrent que le fait d'être exposé à des événements traumatisants peut modifier la perception par les individus des mécanismes visant à promouvoir la justice et la réconciliation. Ces études suggèrent également qu'à la suite de conflits, les symptômes de stress post-traumatique (ESPT) et de dépression influencent la perception de mécanismes tels qu'amnisties, tribunaux pénaux et commissions d'enquête.4-10

Mais peu d'études ont examiné comment les exactions guerrières affectent les attitudes envers les mécanismes de reconstruction de la paix. Or, cette information a d'importantes implications pour le rétablissement des sociétés à l'issue d'un conflit de masse. Si le traumatisme psychologique affecte le soutien apporté aux initiatives de paix et si aucun service ne tente de traiter ceux qui sont affectés par ce traumatisme, alors les efforts de reconstruction sociale risquent d'être compromis.


Figure 1
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Figure 1.. Echantillons des districts du Nord de l'Ouganda—Gulu, Kitgum, Lira, et Soroti


L'objectif de la présente étude est d'évaluer le degré d'exposition à la violence guerrière ainsi que la prévalence des symptômes d'ESPT et de dépression chez les participants à l'étude recrutés dans 4 districts du nord de l'Ouganda et de déterminer si ces facteurs peuvent être associés aux opinions des répondants concernant le recours à des moyens violents ou non-violents pour mettre fin au conflit armé dans le nord de l'Ouganda.


METHODS

Sites choisis pour l'enquête et sélection des échantillons.

Cette recherche est basée sur une étude transversale menée en avril et mai 2005 dans le nord de l'Ouganda. La collecte des données a été réalisée à l'aide d'un questionnaire standard par trois équipes de 20 enquêteurs formés pratiquant les langues régionales et représentant une diversité d'âge et de sexe. Comme le montre le TABLEAU 1, l'étude s'est déroulée dans quatre districts du nord de l'Ouganda composés d'ethnies différentes (Acholi, Langi et Teso) et diversement exposés à la guerre. Pour la sous-région des Acholi: les districts de Gulu (634 474 habitants) et de Kitgum (286 122 habitants). Pour la sous-région des Langi: le district de Lira (724 531 habitants) et pour la sous-région des Teso: le district de Soroti (486 109 habitants). Les Acholi, qui habitent dans les districts de Gulu, Kitgum et Pader, ont été les plus affectés par le conflit. Les populations avoisinantes ont également été touchées, notamment les Langi (dans les districts de Lira et d'Apac) et les Teso (dans les districts de Kabermaido, Soroti, Katakwi et Kumi).


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Tableau 1.. Profil socio-démographique des répondants, Avril-Mai 2005a


L'échantillon universel comprenait des adultes (âgés de 18 ans ou plus) habitant les 4 districts choisis du nord de l'Ouganda. Les données démographiques relatives aux populations des camps s'appuient sur les registres de distribution de nourriture établie en mars 2005 par le programme alimentaire mondial ainsi que sur le recensement effectué en 2002 par le bureau ougandais des statistiques, recensement ajusté sur l'indice de croissance annuelle de la population des sous-comtés, une sous-division administrative des districts.

Le TABLEAU 2 montre la stratégie d'échantillonnage en plusieurs phases qui a été utilisée pour sélectionner les répondants. Dans les sous-comtés des districts de Gulu et de Kitgum et dans les portions des districts de Lira et de Soroti où il y a eu des déportations de population, on a choisi environ 25 % (fourchette de 21 à 33 %) des personnes intérieurement déplacées. Cet échantillonnage a été effectué à partir de la liste des camps et proportionnellement à la taille des populations. Dans le district de Gulu, trois des camps choisis étaient inaccessibles pour des raisons sécuritaires. Ils ont été remplacés par des camps alternatifs choisis proportionnellement à la taille des populations. Dans ces sous-comtés, 2 paroisses et, ensuite, 2 villages dans chaque paroisse ont été choisis au hasard dans la liste complète des paroisses. Comme il n'existe pas de liste exhaustive des villages du nord de l'Ouganda, une liste des villages a été établie avec les autorités locales après sélection des plus hautes unités administratives. Chacun des 4 districts comprenait une municipalité et ces dernières ont été incluses dans l'échantillon.


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Tableau 2.. Exposition aux violences guerrières, symptômes d'ESPT et de dépression et opinions concernant la paixa


Les familles ont été sélectionnées à partir de la répartition des camps et des villages en « zones » prédéterminées. (Les autorités locales divisent les camps et les villages en zones pour faciliter les questions logistiques et administratives). Les zones ont été attribuées de manière aléatoire aux enquêteurs. Ces derniers, arrivés dans une zone, se rendaient au centre de celle-ci et, de là, choisissait au hasard la direction à suivre en faisant pivoter un stylo. Cette direction une fois empruntée, ils choisissaient une famille sur deux dans cette direction jusqu'à la limite de la zone. Cette limite atteinte, ils répétaient la procédure. Par famille, on entendait un groupe de personnes dormant sous le même toit et mangeant ensemble. Dans chaque famille, les intervieweurs choisissaient au hasard un adulte (âgé de 18 ans ou plus) dans la liste de tous les adultes éligibles. Après 3 tentatives dans la même journée, si un individu ou une famille choisis ne pouvaient pas répondre ou refusaient de participer, la famille suivante ou un autre individu dans le ménage étaient sélectionnés en fonction de la même procédure d'échantillonnage. À cause de la nature délicate de certaines questions, les enquêteurs se sont adressés à des répondants de leur sexe.

Pour chacun des 4 districts, un minimun de 500 familles a été sélectionné dans les camps et les villages. Dans la famille choisie, on a interviewé l'adulte (de 18 ans ou plus) dont le nom se trouvait parmi les premiers de l'ordre alphabétique. Les interviews se sont déroulées en tête-à-tête, dans l'anonymat et dans un lieu propice à l'intimité et aux confidences, en général à l'intérieur du ménage. Aucun autre individu ne pouvait assister à l'interview. À cause du haut degré d'analphabétisme, on a obtenu des répondants un consentement oral plutôt qu'écrit. Quand ils posaient des questions, on a fourni aux répondants des renseignements pour des contacts. Si un participant avait besoin de références pour un désarroi émotionnel, on lui proposait un rendez-vous avec une des organisations non gouvernementales présentes dans la région, mais la violence et l'insécurité environnantes rendaient ces rendez-vous improbables. Les comités pour la protection des sujets humains de l'Université Tulane de la Nouvelle Orléans en Louisianne et de l'Université Makerere de Kampala en Ouganda ainsi que des représentants officiels du gouvernement ougandais ont approuvé les protocoles de la recherche.


Figure 2
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Figure 2.. Sélection de l'échantillon


Pour déterminer la taille de l'échantillon, on a utilisé une formule d'évaluation des pourcentages en prenant un niveau de précision de 10 % pour une puissance de 80 %. On a ajusté la taille minimum d'échantillon sur l'effet dû au schéma en raison de l'échantillonnage par groupe en utilisant un facteur de 2, augmenté de 20 % minimum pour prendre en compte le taux de non réponse. Pour les régressions logistiques, la puissance rétrospective, qui a été analysée au moyen du logiciel PASS (NCSS, Kaysville, Utah),11 s'est inscrite dans une marge allant de 71 à 87 %.

Instruments et envergure de la collecte de données

Le questionnaire structuré utilisé pour les interviews abordait 8 sujets: renseignements socio-économiques, priorités et paix, droits humains et responsabilisation, amnistie, justice, réconciliation, sécurité et exposition aux traumatismes, réponse psychologique face aux traumatismes. L'instrument de l'enquête a été développé et mis au point par une équipe de spécialistes des disciplines suivantes: droits humains, législation, justice transitionnelle, épidémiologie, psychiatrie, anthropologie, sondage d'opinion et le conflit secouant le nord de l'Ouganda. D'abord rédigé en anglais, l'instrument a ensuite été traduit en Acholi, en Lango et en Ateso par des licenciés du département de linguistique de l'Université de Makerere et des traducteurs locaux. Pour assurer la qualité de la traduction, l'instrument a été retraduit en anglais. De longues discussions entre traducteurs, retraducteurs et concepteurs de l'enquête ont tenté de résoudre les désaccords. Un expert était consulté sur le contenu quand on ne tombait pas d'accord sur le sens d'un mot ou d'une phrase. À Gulu et Kitgum, on a utilisé la version en Acholi, à Lira, la version en Lango et, à Soroti, la version en Ateso. On a procédé à un essai pilote de l'instrument tout au long de son développement et pendant la formation des intervieweurs. Des modifications ont été apportées chaque fois que nécessaire. Des choix de réponses ont été fournis aux intervieweurs. Sauf indication contraire, ces choix n'étaient pas présentés aux répondants. Une catégorie « autre » était à disposition pour enregistrer des réponses si nécessaire ou quand l'intervieweur n'était pas sûr de la réponse appropriée. Cette catégorie « autre » a été recodée lors de l'analyse.

Les enquêteurs étaient des étudiants universitaires ou des professionnels expérimentés en collecte de données travaillant pour diverses agences internationales telles que le programme alimentaire mondial. Trois groupes d'enquêteurs ont été constitués: un pour les districts Acholi de Gulu et de Kitgum, un pour le district (Lango) de Lira et un pour le district (Teso) de Soroti. Les enquêteurs étaient originaires de la région où était menée l'enquête et faisaient, donc, partie des groupes ethniques et linguistiques étudiés. Les enquêteurs ont suivi, pendant une semaine, une formation qui comprenait les éléments suivants: techniques d'interview (respect de la vie privée et de la confidentialité et recours à un formulaire de consentement), techniques de sélection des répondants, historique des objectifs de l'enquête et du sujet étudié, contenu du questionnaire. En outre, un psychologue bien informé sur le conflit du nord de l'Ouganda leur a exposé les symptômes d'ESPT et de dépression. Les enquêteurs ont d'abord analysé le questionnaire en groupes de discussion. Ils l'ont ensuite mis en pratique en organisant entre eux des interviews fictives.

Après avoir consulté les experts régionaux et après avoir interrogé les survivants du conflit réfugiés dans les camps et les villages du nord de l'Ouganda, on a établi une liste de 11 actes de violence guerrière afin d'évaluer l'exposition aux traumatismes. Cette liste ne représente pas tous les traumatismes possibles, mais elle se concentre sur les incidents les plus souvent rapportés.

Après avoir consulté plusieurs psychologues et psychiatres travaillant pour des organisations et des agences humanitaires non gouvernementales dans le nord de l'Ouganda, nous avons choisi la version civile de la liste comprenant 17 articles que l'on utilise pour évaluer les symptômes d'ESPT (PCL-C, PTSD Checklist-Civilian Version).12 Les enquêteurs de la présente étude avaient utilisé cette liste PCL-C pour évaluer les symptômes d'ESPT au Rwanda.7 Dans la présente étude, nous avons accumulé toutes les cotes des 17 articles pour obtenir un indice de sévérité globale et nous avons utilisé une valeur minimale de 44 pour identifier les individus répondant aux critères des symptômes d'ESPT. Pour les trois groupes des symptômes PCL-C, cette étude utilise les estimations Cronbach alpha (une mesure de la fiabilité interne) suivantes: alpha=0,85 pour la réexpérience, alpha=0,84 pour l'évitement et alpha=0,81 pour l'hypervigilance.

Pour évaluer la dépression, nous avons utilisé la section dépression de la liste établie par John Hopkins qui comprend 15 articles. La valeur minimale de cette liste était de 42.13 L'estimation Cronbach alpha de l'échelle de la dépression était de 0,90 dans la présente étude. L'élément angoisse de cette liste d'évaluation de la dépression n'a pas été utilisé puisque les symptômes d'ESPT étaient évalués à l'aide de la liste PCL-C. En outre, certains énoncés de la liste d'évaluation de la dépression ont été modifiés pour correspondre aux différences culturelles et linguistiques. Par exemple, l'énoncé « perte d'intérêt ou de plaisir sexuel » était culturellement sensible. L'énoncé utilisé dans la version locale du questionnaire pourrait se traduire en anglais par « perte d'intérêt pour la relation intime avec un époux ou un partenaire ». Selon les experts consultés, cette expression a la même signification que l'énoncé original. Autre exemple: nous avons traduit « avoir le cafard » (feeling blue) par « se sentir triste » (feeling sad). Les modifications n'étaient pas importantes. Il s'agissait surtout d'expressions susceptibles d'être mieux comprises par les populations locales.

Concernant la paix, deux indices ont permis de conceptualiser et mesurer les opinions des répondants: cette paix, comment la définissent-ils et comment pourrait-on, selon eux, la rétablir? On a demandé aux répondants comment ils définissent la paix. Lors de la phase d'analyse, les réponses ont été recodées en fonction de trois variables qui reflétaient leur portée: absence de violence (oui ou non); unité—c.-à-d. se retrouver et vivre ensemble (oui ou non) et développement humain/social—c.-à-d. éducation et développement économique (oui ou non). On leur a ensuite demandé comment, selon eux, on pourrait parvenir à cette paix. Lors de la phase d'analyse, les réponses ont été recodées en fonction de deux variables: les mécanismes de non-violence identifiés, tels que pourparlers de paix et amnisties (oui ou non) et les mécanismes de violence identifiés tels que le meurtre des combattants ennemis et de leurs chefs (oui ou non). Aux deux questions, les répondants pouvaient apporter plus d'une réponse. Certains répondants ont proposé des définitions de la paix qui comprenaient diverses combinaisons d'absence de violence, d'unité et de développement humain/social. Parmi les mécanismes pour parvenir à la paix, certains répondants ont identifié des moyens violents et non violents. Les variables correspondant à ces réponses étaient alors traitées comme des résultats séparés.

Analyse statistique

Pour calculer les mesures de fiabilité interne de la liste PCL-C et de la liste des symptômes de dépression, on a utilisé la version 13.0 du logiciel SPSS (SPSS Inc, Chicago, Illinois). Grâce à la version 6.0 du logiciel Epi Info (un logiciel de saisie et d'analyse des données mis au point par le centre de prévention et de contrôle des maladies de l'OMS), on a mis en place une double saisie des données et cette saisie a été vérifiée par la fonction « validate duplicate entry ». La version 6.0 du logiciel Epi Info C-Sample Analysis, qui corrige l'effet de sondage, a été utilisée pour calculer les fréquences, les moyennes et l'erreur d'échantillonnage proportionnel. La version 13.0 du logiciel SPSS a permis de calculer les rapports de cotes (RC), les intervalles de confiance (IC) de 95 % et toutes les autres analyses statistiques. L'échantillonnage était proportionnel à la taille de la population. On n'a donc pas utilisé de pondération.

Concernant les événements traumatisants, l'analyse de classe latente a été réalisée à l'aide du programme CDAS/MLLSA (Categorical Data Analysis System/Maximum Likelihood Latent Structure Analysis).14 À partir d'un certain nombre de cas, l'analyse de classe latente explore une série de variables et détermine les quelques groupes qui vont permettre de classifier ces cas.15 Quatre classes ont été identifiées. Répartir entre ces 4 classes la prévalence des 11 événements traumatisants nous a permis d'identifier les 3 caractéristiques essentielles de chacun des groupes: vivre un enlèvement, recevoir une menace de mort et être témoin d'actes violents.

Sur la base de ces 3 variables essentielles, on a défini 4 groupes de survivants et réparti manuellement les individus entre ces 4 groupes: 1. Être confronté de manière limitée à la violence guerrière (premier groupe); 2. Être témoin d'actes de violence guerrière (deuxième groupe); 3. Recevoir des menaces de mort et/ou de blessures physiques (troisième groupe) et vivre un enlèvement (quatrième groupe). On a détecté, entre les groupes, une progression: ceux qui ont été enlevés (groupe 4) ont, en général, aussi été menacés de mort (groupe 3). Ceux qui ont été menacés de mort (groupe 3) ont, souvent, aussi été témoins d'actes violents (groupe 2). Cette méthode a permis de réduire le nombre des variables et de répartir les 11 événements traumatisants entre les 4 groupes de survivants. Les groupes reflètent des modèles d'exposition plutôt qu'une exposition globale, ce que permettrait d'établir une échelle sommative. De manière séparée et sur la base de plusieurs variables, cinq régressions séquentielles ont été réalisées pour examiner les relations entre les événements violents, les symptômes d'ESPT et de dépression et les opinions concernant la paix. Parce que les catégories répertoriant les définitions de la paix et les mécanismes de construction de la paix étaient des catégories non exclusives (les répondants pouvant soumettre plus d'une réponse), une régression logistique a été réalisée pour chaque résultat séparément. Pour les 5 modèles, les variables dépendantes (basées sur les résultats) ont été les 3 définitions de la paix et les 2 mécanismes identifiés pour parvenir à la paix. Les variables indépendantes (prédictives) ont été l'âge, le sexe, l'état civil, l'éducation, la tranche de revenus, les modèles d'exposition par groupe, les symptômes d'ESPT et de dépression et le district de résidence. (On a utilisé le district de résidence plutôt que l'ethnicité parce que les divisions administratives respectent de près la répartition en groupes ethniques et parce qu'ainsi, on a pu distinguer les Acholi du district de Gulu des Acholi du district de Kitgum.) Les valeurs prédictives les plus intéressantes ont été les modèles d'exposition aux traumatismes, les symptômes d'ESPT et les symptômes de dépression. Pour chacun de ces modèles de régression logistique, des analyses univariées ont été réalisées pour chaque combinaison de variables dépendantes et indépendantes afin d'examiner l'importance de l'association. On a réalisé des régressions logistiques séquentielles dans les deux sens (en avant comme en arrière) en testant l'ajustement de chacun des modèles prédictifs. Seules les valeurs prédictives statistiquement significatives ont été retenues dans les modèles finaux.


RÉSULTATS

Dans chaque district, la taille de l'échantillon cible était de 500 interviews. Un total de 3546 ménages ont été approchés et 2585 adultes de 18 ans ou plus ont été interviewés dans les 4 districts sélectionnés situés dans le nord de l'Ouganda: Gulu (n=628), Kitgum (n=649), Lira (n=658) et Soroti (n=650), comme le montre le tableau 2. Dans les camps et les villages, 27 % des ménages sélectionnés ont été remplacés parce que personne n'était à la maison (18 %), suite à un refus (4 %) ou parce que personne n'était éligible (5 %). Parmi les ménages choisis, 246 individus (9,5 %) ont été remplacés par une autre personne du même ménage par manque de disponibilité ou suite à un refus de participer.

Caractéristiques générales des répondants

L'échantillon (n=2585) était composé d'un nombre environ égal d'hommes (49,8 %) et de femmes (50,2 %) puisqu'il y avait un nombre égal d'intervieweurs hommes et femmes et que ceux-ci se sont adressés à des répondants de leur sexe. Soixante et un pour cent des personnes sondées vivaient dans des camps, 21 % dans des villages et 18 % dans des municipalités (les capitales des districts). Comme le montre le TABLEAU 1, l'âge moyen des répondants était de 37 ans (SD, 13,8 ans) et de 34 ans parmi la tranche d'âge allant de 23 à 45 ans qui regroupait 95 % des répondants. Une majorité des répondants vivaient en couple soit étant mariés (72,8 %) ou vivant avec un partenaire (3,6 %). La composition ethnique de l'échantillon reflétait la stratification des 4 districts, le groupe ethnique principal étant les Acholi à Gulu et à Kitgum (96,5 % et 99,4 %, respectivement), les Langi à Lira (96,3 %) et les Teso à Soroti ((2,9 %). Si bien que les Acholi représentaient 48,6 % de l'échantillon, les Langi 25,0 % et les Teso 23,6 %. Une majorité des répondants (58,2 %) se sont identifiés comme catholiques romains et 30,8 % comme appartenant à l'Église anglicane.

Modèles d'exposition aux traumatismes

Une évaluation complète de l'exposition aux 11 événements traumatisants (TABLEAU 2) a pu être réalisée auprès de 2569 répondants (99,4 % du total des 2585 répondants). Un pourcentage important (78,5 %) d'entre eux rapporte que, pour fuir le conflit, ils ont dû se déplacer. La stratégie de la LRA consistait à agresser les populations civiles. C'est pourquoi l'exposition aux exactions guerrières de la LRA est très fréquemment auto-rapportée: 1018 répondants (39,6 %) signalent avoir été enlevés, 585 (22,8 %) avoir été blessés, 834 (32,5 %) avoir été forcés de porter de lourdes charges et 186 (7,2 %) avoir subi des violences sexuelles. À Gulu et à Kitgum, plus de 50 % des répondants rapportent des enlèvements diversement prolongés. Certaines des personnes enlevées sont restées aux mains de la LRA pendant des années, d'autres pendant seulement quelques jours ou quelques heures. L'exposition à des crimes de guerre en tant que témoin figure parmi les exactions le plus fréquemment rapportées: 1498 répondants (58,3 %) ont été confrontés à l'enlèvement d'un enfant; 1229 (47,8 %) au meurtre d'un ami; 1144 (44,5 %) à l'assassinat d'un parent et 639 (24,9 %) à des violences sexuelles. Quarante-neuf pour cent des répondants (n=1259) rapportent avoir été menacés de mort et 31,1 % (n=799) avoir eu un enfant enlevé.

Le TABLEAU 3 présente les 4 modèles d'exposition basés sur les groupes de survivants: 21,4 % rapportent une faible exposition à la violence guerrière (groupe 1); 17,8 % rapportent avoir assisté à des exactions guerrières, mais sans menaces de mort ni de blessures corporelles (groupe 2); 16,4 % rapportent avoir été menacés de mort et/ou de blessures corporelles (groupe 3) et 44,3 % rapportent avoir été enlevés (groupe 4). Dans le groupe 1, seule la déportation est fréquemment rapportée (43,7 %) et 9,3 % rapportent avoir eu un enfant enlevé. La probabilité de déportation est 7 fois plus élevée dans le groupe 2 par rapport au groupe 1 (RC de 7,78 avec IC à 95 % de 5,69 à 10,62). Dans le groupe 2, 66,6 % rapportent avoir été confrontés à l'enlèvement d'un enfant, 54,1 % au meurtre d'un ami et 50,9 % à l'assassinat d'un parent. En moyenne, l'exposition du groupe 3 a été similaire à celle du groupe 2. En outre, 84,3 % des répondants du groupe 3 rapportent des menaces de mort, 32,3 % des blessures et 6,2 % des agressions sexuelles. La probabilité d'être témoin du viol d'une autre personne est deux fois plus élevée dans le groupe 3 par rapport au groupe 2 (RC de 2,18 avec IC à 95 % de 1,55 à 3,06).


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Tableau 3.. Exposition aux violences guerrières par groupes de survivants, symptômes d'ESPT et de dépression et opinions concernant la paixa


Les enlèvements perpétrés par la LRA sont la caractéristique du groupe 4. Quatre-vingt-dix pour cent des répondants rapportent avoir été enlevés et 73,2 % avoir dû porter des charges. Certains répondants de ce groupe ne rapportent pas un enlèvement par la LRA, mais avoir été forcé de porter des charges, une activité associée aux enlèvements. Par rapport au groupe 3, la probabilité d'être témoin d'une agression sexuelle est 1,7 fois plus élevée dans le groupe 4 (RC de 1,75 avec IC à 95 % de 1,35 à 2,27) et la probabilité d'être victime d'une agression sexuelle plus de trois fois plus élevée (RC de 3,25 avec IC à 95 % de 1,94 à 5,44), une exposition rapportée par 14 % des répondants du groupe 4.

Enfin, 39,4 % des répondants du groupe 4 rapportent avoir été blessés par la LRA. La probabilité d'avoir été blessé par la LRA est dans ce groupe deux fois plus élevée que dans le groupe 3 (RC de 2,35 avec IC à 95 % de 1,78 à 3,11).

L'exposition globale va en augmentant d'un groupe à l'autre. Le groupe 1 rapporte un indice d'exposition moyen de moins de un (moyenne, 0,5 [SD, 0,63]). Les moyennes sont de 3,0 (SD, 1,13) pour le groupe 2 et de 4,4 (SD, 1,58) pour le groupe 3. Pour le groupe 4, le nombre total moyen d'expositions rapportées est de 6,8 (SD, 2,11). Le nombre total moyen d'événements rapportés diffère significativement d'un groupe à l'autre (F3=1906,4; P 0,01) ainsi qu'entre chaque paire de groupes combinés (P 0,05).

Prévalence des symptômes d'ESPT et de dépression

Parmi les répondants ayant réagi à tous les articles de la liste PCL-C (n=2389, 92,4 % de tous les répondants), 74,3 % répondent aux critères des symptômes d'ESPT. Parmi ceux ayant réagi à tous les articles de la liste de symptômes établie par John Hopkins (n=2585, 100 % de tous les répondants), 44,5 % répondent aux critères des symptômes de dépression. Le tableau 2 affiche, pour l'ensemble des districts, la prévalence des symptômes d'ESPT et de dépression. Le tableau 3 montre la prévalence des mêmes symptômes pour chaque groupe de survivants. Concernant ces symptômes, les différences entre groupes de survivants sont significatives au niveau P<0,01, sauf entre le groupe 3 (menace/blessure) et le groupe 4 (enlèvement). Entre ces deux groupes, on ne relève pas de différence significative pour les symptômes d'ESPT et une différence au niveau P<0,05 pour les symptômes de dépression. Parmi les groupes de survivants, les répondants du groupe 1 affichent le plus faible niveau de symptômes d'ESPT (47 %) ainsi que de dépression (21 %). Dans le groupe 2, la fréquence des symptômes d'ESPT est de 71 % et la fréquence des symptômes de dépression de 42 %. Dans le groupe 3, les fréquences des symptômes d'ESPT et de dépression sont de 86 et 61 %, respectivement. Dans le groupe 4, les fréquences des symptômes d'ESPT et de dépression sont de 84 et 52 %, respectivement. Par rapport au groupe 1, la probabilité des symptômes d'ESPT est plus de six fois plus élevée dans les groupes 3 et 4 (groupe 3 contre groupe 1: RC de 7,04 [IC à 95 % de 5,02 à 9,87]; groupe 4 contre groupe 1: RC de 6,07 [IC à 95 % de 4,77 à 7,71]). Pour ces mêmes groupes, la probabilité des symptômes de dépression est plus de 4 fois plus élevée (groupe 3 contre groupe 1: RC de 5,76 [IC à 95 % de 4,34 à 7,65]; groupe 4 contre groupe 1: RC de 4,00 [IC à 95 % de 3,16 à 5,06]).

Définitions de la paix et moyens de parvenir à la paix

Les tableaux 2 et 3 montrent la fréquence des 3 définitions de la paix et des 2 catégories de mécanismes proposés par les répondants pour parvenir à la paix. Les répondants ont pu proposer de multiples définitions de la paix et des moyens d'y parvenir. Sur les 2581 répondants ayant proposé une définition de la paix (99,8 % de tous les répondants), la majorité (61 %) inclut l'absence de violence, 16 % la notion d'unité et 45 % utilisent des termes reliés au développement humain, tels que le développement économique et l'éducation. En examinant la combinaison des définitions, 39 % des répondants utilisent seulement l'absence de violence et 25 % seulement le développement humain. Seize pour cent des répondants définissent la paix comme étant la combinaison du développement humain et de l'absence de violence. Trois pour cent combinent l'absence de violence, l'unité et le développement humain dans leur définition.

Quand on leur demande comment on peut parvenir à la paix, 66,0 % (1684/2551) croient qu'on pourrait parvenir à la paix par des moyens non violents. Vingt-sept pour cent (686/2551) disent que l'on pourrait parvenir à la paix par des moyens violents. Parmi ces derniers, 7 % sont d'avis que des moyens violents et non violents pourraient permettre la paix. Trente pour cent des répondants n'identifient pas de moyens que l'on pourrait classifier comme violents ou non violents. Cela parce que ces répondants ne croient pas que l'on puisse parvenir à la paix, ne savent pas comment on pourrait parvenir à la paix ou encore proposent des moyens que l'on ne peut catégoriser en termes de politiques violentes ou non-violentes, des moyens comme « une intervention divine » (Tableasu 2 et tableau 3). Faute de cas suffisants, ces réponses n'ont pas été analysées séparément.

Après l'examen d'autres variables significatives dans le modèle final de régression logistique, le TABLEAU 4 montre que les moyens proposés par les répondants pour parvenir à la paix s'associent significativement avec les symptômes d'ESPT et de dépression, mais pas avec les modèles d'exposition. La probabilité d'utiliser des moyens violents pour parvenir à la paix est plus élevée chez les répondants qui répondent aux critères des symptômes d'ESPT (RC de 1,31 avec IC à 95 % de 1,05 à 1,65). Chez les répondants qui répondent aux critères des symptômes de dépression, la probabilité d'utiliser des moyens non violents pour parvenir à la paix est moins élevée (RC de 0,77 avec IC à 95 % de 0,65 à 0,93). En tenant compte d'autres variables significatives, le lieu de résidence des répondants s'associe significativement aux mécanismes pour parvenir à la paix.


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Tableau 4.. Variables associées aux moyens identifiés pour parvenir à la paix


Par rapport aux répondants de Gulu, la probabilité d'identifier des mécanismes violents pour parvenir à la paix est 4 fois plus élevée chez les habitants de Kitgum (RC de 4,06 avec IC à 95 % de 2,88 à 5,74). Cette même probabilité est plus de 8 fois plus élevée chez les habitants de Lira (RC de 8,52 avec IC à 95 % de 6,09 à 11,93). Et environ 4 fois plus élevée chez ceux de Soroti (RC de 3,84 avec IC à 95 % de 2,71 à 5,45).

Comparé à Gulu, la probabilité d'identifier des mécanismes non violents pour parvenir à la paix est 3 fois moins élevée chez les répondants de Kitgum (RC de 0,36 avec IC à 95 % de 0,27 à 0,48). Cette même probabilité est plus de 5 fois moins élevée chez les habitants de Lira (RC de 0,18 avec IC à 95 % de 0,13 à 0,24). Et 4 fois moins élevée chez ceux de Soroti (RC de 0,25 avec IC à 95 % de 0,19 à 0,33). Entre niveaux d'éducation et mécanismes identifiés pour parvenir à la paix, l'association est significative et nous l'avons étudiée. Mais nous n'avons pas trouvé d'association entre ces mécanismes et le sexe, l'âge ou le revenu.

Dans le modèle final de régression logistique, il s'est avéré que les 3 définitions de la paix s'associent significativement au district de résidence (TABLEAU 5). Chez les répondants de Kitgum, la probabilité d'inclure l'unité dans leur définition est moins élevée que chez ceux de Gulu (RC de 0,50 avec IC à 95 % de 0,36 à 0,70). Comparé à Gulu, la probabilité d'inclure l'absence de violence et les facteurs de développement socio-économique dans leur définition est plus élevée chez les habitants de Lira et de Soroti. Comparé à Gulu, la probabilité d'inclure l'unité est moins élevée chez les répondants de Lira (RC de 0,64 avec IC à 95 % de 0,47 à 0,88) et plus élevée chez ceux de Soroti (RC de 1,76 avec IC à 95 % de 1,34 à 2,31). Le niveau d'éducation des répondants s'associe à la définition de la paix. Comparé à ceux qui n'ont pas fait d'études, la probabilité d'inclure la fin de la violence dans leur définition de la paix est plus élevée chez ceux qui ont terminé le niveau primaire (RC de 1,63 avec IC à 95 % de 1,21 à 2,19). Nous n'avons pas trouvé d'association significative entre la définition de la paix et les symptômes d'ESPT et de dépression, l'âge, le sexe, le revenu ou les groupes de survivants.


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Tableau 5.. Variables associées aux définitions de la paix



COMMENTAIRES

La prévalence des symptômes d'ESPT et de dépression affichée par les résidents du nord de l'Ouganda correspond aux taux élevés de prévalence des mêmes symptômes relevés par des rapports antérieurs dans des populations touchées par la guerr4-10. Concernant la population du nord de l'Ouganda, nous ne disposons pas des taux de prévalence de départ pour ces symptômes, mais les variations détectées dans l'ensemble des sites suggèrent que la violence guerrière a eu un impact majeur sur le bien-être psychologique. Environ trois quarts des répondants (74,3 %) répondent aux critères des symptômes d'ESPT et presque la moitié (44,5 %) aux critères des symptômes de dépression. À titre de comparaison, le Dr de Jong et ses collègues16 ont, à l'aide d'enquêtes conçues pour étudier les symptômes d'ESPT dans des pays ravagés par des conflits, relevé des taux de prévalence des symptômes d'ESPT de 37,4 % en Algérie, 28,4 % au Cambodge, 15,8 % en Éthiopie et 17,8 % à Gaza. Dans une étude menée 6 ans après le génocide de 1994 dans les camps de réfugiés du Ruanda et du Burundi17, le Dr de Jong et ses collègues ont relevé des taux de prévalence d'ESPT de 50 % en utilisant le questionnaire de l'état de santé général.

En Afghanistan, le Dr Cardozo et ses collègues9 ont trouvé une prévalence des symptômes d'ESPT de 32 % chez les hommes et de 48 % chez les femmes. Ils ont aussi trouvé des taux de symptômes de dépression de 73 % chez les femmes et de 59 % chez les hommes. Il faut préciser que les mesures de la prévalence d'ESPT rapportées par ces études peuvent refléter des écarts méthodologiques, des différences d'adaptation aux traumatismes et des facteurs culturels particuliers18. La prévalence élevée des symptômes d'ESPT et de dépression relevée par la présente étude dans le nord de l'Ouganda peut s'expliquer par la durée de l'exposition (plus de 19 années de conflit), la nature terrifiante de l'exposition (p. ex. enlèvement, mutilation, personnes enlevées obligées de commettre des crimes) et par les déportations de masse. Le fait que le conflit n'était pas terminé et que la population pouvait se voir exposée à la violence au moment de l'enquête peut avoir contribué au taux élevé de la prévalence.

Dans chacun des groupes de survivants, l'événement le plus fréquemment rapporté a été la déportation, causée souvent par l'insécurité et/ou les politiques adoptées par le gouvernement. Quarante pour cent des répondants disent qu'ils ont été enlevés par la LRA pendant des périodes de diverses longueurs (allant de quelques heures à plusieurs années). La grande majorité a été témoin du meurtre d'un ami ou d'un parent. Le haut degré d'exposition aux traumatismes met en évidence les tactiques de la LRA: utiliser les enlèvements pour recruter de nouvelles troupes et attaquer les civils pour semer la terreur parmi la population. Il est possible par ailleurs que les répondants aient été confrontés à d'autres violences guerrières non rapportées dans la présente étude.

Nous avons trouvé une association significative entre les groupes de survivants et les traumatismes psychologiques. Ceux qui ont été peu exposés à la violence affichent des symptômes d'ESPT et de dépression moins fréquents que ceux qui ont été menacés de mort, ceux qui ont directement subi des violences guerrières et/ou ceux qui ont été enlevés. Ceci soutient l'observation qu'une exposition plus forte à la violence peut induire des symptômes psychologiques nettement plus importants (doses-effet)5, 19, 20. Cela dit, le niveau des symptômes d'ESPT ne diffère pas significativement entre, d'une part, ceux qui ont été menacés de mort et/ou ceux qui ont été blessés corporellement (groupe 3) et, d'autre part, ceux qui ont été enlevés (groupe 4). Les symptômes de dépression sont statistiquement plus prononcés chez ceux ont été menacés de mort et/ou corporellement blessés comparé à ceux qui ont été enlevés. Ceci suggère que les symptômes d'ESPT et de dépression varient avec le type d'exposition, comme nous l'avons proposé dans des études antérieures7. Finalement, bien que le conflit se soit déroulé principalement dans la sous-région des Acholi, les symptômes d'ESPT et de dépression sont plus prévalents dans les districts Teso et Lango, ce qui suggère que la culture peut jouer un rôle dans la manière de vivre et de rapporter des effets traumatisants.

Ayant procédé à des ajustements en fonction des variables étudiées, les symptômes d'ESPT et de dépression ont été associés aux opinions concernant la paix. On trouve, chez les répondants affichant des symptômes d'ESPT et de dépression, une robabilité moins élevée d'identifier des moyens non violents et une probabilité plus élevée d'identifier des moyens violents pour parvenir à la paix. Dans cette population, on peut associer les symptômes psychologiques reliés aux traumatismes avec un désir de rétribution plutôt qu'avec des démarches réparatrices visant à résoudre les violences passées. Cependant, les définitions de la paix fournies par un répondant en fonction de la fin de la violence, de l'unité et du développement humain s'associent plus étroitement avec les facteurs démographiques et socioculturels qu'avec l'exposition à la violence et la fréquence des symptômes d'ESPT et de dépression. De manière très significative, le district d'origine influence tant la définition de la paix que les mécanismes identifiés pour y parvenir. Les districts s'associent étroitement à l'ethnicité puisque pratiquement tous les résidents de Gulu et Kitgum sont Acholi et ceux de Lira et Soroti sont, respectivement, Langi et Teso. Chez les Acholi, habitants à Gulu et à Kitgum et considérés comme ayant été les plus exposés au conflit, on trouve le moins de probabilité d'identifier des moyens violents pour parvenir à la paix. On relève cependant des différences significatives entre les Acholi de Gulu et ceux de Kitgum. Ceci suggère que les cultures locales, les croyances et les facteurs sociaux peuvent jouer un rôle dans la formation des opinions concernant la paix. Et ceci souligne qu'il faut prendre en considération ces facteurs quand on élabore des politiques.

Cette étude présente plusieurs limitations. Les données rassemblées ont été recueillies dans 4 districts du nord de l'Ouganda. Elles n'ont par conséquent pas de portée nationale. Les 4 districts ont été sélectionnés pour représenter une diversité de cultures et d'exposition au conflit. L'insécurité ambiante au moment de la collecte des données a limité l'accès aux sites étudiés et 3 des camps sélectionnés n'ont pas pu être visités. Ils ont été remplacés par un autre camp choisi sur base de la même procédure que la sélection initiale. L'insécurité a par ailleurs limité le temps disponible passé dans chacun des sites étudiés. Parmi les ménages visités, 18 % étaient vides et 4 % ont refusé d'être interviewés. On ne sait pas si les opinions de ces personnes auraient été significativement différentes de celles des répondants. Au moment de la collecte des données (avril-mai 2005), il n'y avait pas de processus de paix clairement engagé. Les opinions et les attitudes auraient peut-être été différentes si un processus de paix concret avait été en cours. L'exposition aux traumatismes et les symptômes d'ESPT et de dépression étaient auto-rapportés, les répondants réagissant par « oui » ou « « non » à la lecture des événements traumatisants repris dans les listes standardisées de contrôle. Un souvenir imprécis et la convenance sociale peuvent avoir biaisé la validité des réponses. On a largement débattu du recours à des échelles standard pour mesurer des désordres psychologiques comme l'ESPT et la dépression. En général, les analystes soulignent le peu de validité de ces mesures quand on les applique à des environnements culturels divers et à des situations de conflit21,23. Ces mesures sont néanmoins incluses dans notre analyse parce qu'il s'agit de mesures validées24,25 portant sur des traumatismes psychologiques en dehors des interviews de diagnostics cliniques et qu'elles ont été appliquées dans des pays ravagés par la guerre, comme l'ancienne Yougoslavie, le Ruanda, l'Algérie, le Cambodge et l'Éthiopie ainsi que d'autres pays7-9,16. On aurait pu parer aux critiques concernant la validité des conclusions en utilisant un formulaire de consentement. Ce dernier aurait pu souligner qu'aucun avantage direct n'était à espérer d'une participation à l'enquête, que celle-ci était tout à fait anonyme, que les intervieweurs ont reçu une formation exhaustive et que l'enquête était administrée dans les langues régionales.


CONCLUSIONS

Nous avons trouvé que les symptômes d'ESPT et de dépression sont très prévalents dans 4 districts du nord de l'Ouganda où ils affectent, respectivement, les trois quarts et environ la moitié des répondants à notre enquête. Cette prévalence des symptômes d'ESPT et de dépression varie significativement entre les groupes de survivants exposés à divers niveaux de traumatismes et s'associe aux opinions concernant la paix. Ceux qui répondent aux critères des symptômes d'ESPT ont une plus grande probabilité de préférer des moyens violents pour mettre fin au conflit. Ceux qui répondent aux critères des symptômes de dépression ont une moins grande probabilité d'identifier des moyens non violents pour parvenir à la paix. Les conclusions de l'enquête ont d'importantes implications pour les professionnels des soins de santé, les assistants, les diplomates et les politiciens, et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, comme le suggèrent les conclusions, il est important de maintenir la sécurité et de protéger la population civile en temps de guerre. C'est l'une des principales dispositions de la Convention de Genève de 1949 qui réglemente l'utilisation de la force dans les conflits armés. La sécurité en temps de guerre domine tout : c'est le socle qui soutient tout le reste. Sans un certain niveau de sécurité, la distribution de l'aide alimentaire, des soins de santé et des programmes sociaux est sérieusement compromise.

Ensuite, les programmes visant à prendre en charge les traumatismes psychologiques devraient être une priorité lors des conflits et dans les arrangements d'après conflit. Trop souvent, les organisations humanitaires négligent les besoins des communautés ravagées par la guerre à cause de leurs ressources limitées ou parce qu'elles estiment que ces programmes dépassent leurs compétences. Notre recherche suggère que le traumatisme psychologique est un indicateur clé de la santé des populations exposées à des niveaux élevés de violence personnelle lors de conflits armés prolongés. Notre enquête suggère qu'il faut peutêtre mener une recherche collaborative approfondie impliquant des cliniciens, des anthropologues et d'autres experts afin de déterminer quels sont les programmes psychosociaux qui réussissent et pour quels groupes de population.

Troisièmement, les politiques nationales et internationales en faveur du processus de paix doivent prendre en considération le bien-être psychologique de ceux que la violence guerrière affecte le plus. Le traumatisme psychologique peut influencer le regard optimiste ou pas que portent les individus sur leur avenir, comment ils voient les mesures visant à changer leur situation et si ces mesures identifient et reconnaissent la nature et la profondeur de leurs souffrances pendant la guerre. Quand les politiciens proposent des politiques visant à construire une paix durable, ils devraient garder à l'esprit la possibilité qu'une partie importante de la population ne soutienne pas les mesures préconisées. Par exemple, quand des responsables de crimes de guerre sont amnistiés, certaines personnes souffrant de traumatismes psychologiques peuvent considérer que les autorités ne tiennent pas compte de leurs désirs d'obtenir réparation ou de voir les responsables de ces crimes punis ou obligés de s'excuser publiquement pour leurs actions. En conséquence, ces personnes peuvent rejeter les programmes visant à mettre en place la réconciliation d'après conflit. Elles peuvent même chercher à se venger à l'encontre de ceux à qui on a pardonné leurs exactions passées. Finalement, les cultures locales, les croyances et les facteurs sociaux jouent un rôle déterminant dans l'évolution des attitudes et des opinions concernant la paix. Les efforts pour établir la paix et mettre en place des mécanismes de responsabilisation doivent être inspirés par le vécu des populations et des données reflétant les opinions, les attitudes et les besoins de tous les secteurs d'une société. Une telle recherche se doit d'identifier comment, dans un contexte de guerre, des modèles d'exposition à la violence, aux traumatismes psychologiques et aux facteurs politiques et culturels influencent les processus de la reconstruction sociale et du maintien de la paix une fois apaisées les violences de masse.


Informations sur les auteurs

Correspondance: Patrick Vinck, PhD, Human Rights Center, University of California, Berkeley, 460 Stephens Hall #2300, Berkeley, CA 94702-2300 (pvinck{at}berkeley.edu).

Contributions des auteurs: Les Drs Vinck et Pham, qui avaient pleinement accès à toutes les données de l'étude, assument toute la responsabilité de l'intégrité des données ainsi que de l'exactitude des analyses de données.

Concept et schéma de l'étude: Vinck, Pham, Stover, Weinstein. Acquisition des données: Vinck, Pham.

Analyse et interprétation des données: Vinck, Pham, Stover, Weinstein. Rédaction du manuscrit: Vinck, Pham, Stover, Weinstein.

Relecture critique du manuscrit pour examen du contenu intellectuel important: Vinck, Pham, Stover, Weinstein.

Analyse statistique: Vinck, Pham. Obtention des fonds: Stover.

Soutien administratif, technique ou matériel: Vinck, Pham.

Supervision de l'étude: Vinck, Pham, Stover, Weinstein.

Liens financiers: aucun rapporté.

Ce travail a été financé par des subventions allouées par la John D. and Catherine T. MacArthur Foundation de Chicago en Illinois et par la Sandler Family Supporting Foundation de San Francisco en Californie.

Rôle des sponsors: Les organisations de soutien ne sont pas intervenues dans la conception et la conduite de l'étude, ni dans la collecte, l'analyse et l'interprêtation des données ni dans la préparation, la révision ou l'approbation du manuscrit. Les auteurs sont tous affiliés avec le Human Rights Center de l'Université de Californie à Berkeley et le Payson Center for International Development de l'Université Tulane de La Nouvelle Orléans en Louisianne.

Contributions additionnelles: Cette étude faisait partie d'un projet mené conjointement par le Human Rights Center de l'Université de Californie à Berkeley; l'International Center for Transitional Justice de New York, État de New York et le Payson Center for International Development de l'Université Tulane. Nous remercions tous nos collègues de l'Institute of Public Health de l'Université Makerere de Kampala en Ouganda et de l'International Center for Transitional Justice.Nous remercions Janet Rice, PhD, Stanley Samarasinghe, PhD et Eamon Kelly, PhD, de l'Université Tulane ainsi qu'Andrea Talentino, PhD, de Drew University à Madison dans le Wisconsin pour l'aide apportée à notre recherche. Aucune de ces personnes n'a reçu de dédommagement pour sa contribution.

Affiliations des auteurs: Payson Center for International Development, Tulane University, New Orleans, Louisiana; and Human Rights Center, School of Public Health, and Boalt Hall School of Law, University of California, Berkeley. Dr Vinck is now with the Human Rights Center, University of California, Berkeley.


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