Depuis les dernières années de la décennie 80,
l'armée de la résistance du Seigneur (LRA, Lord's Resistance
Army), un groupe rebelle d'inspiration spiritualiste sans agenda politique
clair, est en guerre contre l'armée démocratique du peuple
ougandais et la population du nord de l'Ouganda. Connue pour son extrême
brutalité, la LRA a tué et mutilé d'innombrables civils.
Elle a aussi enlevé des dizaines de milliers d'adultes et d'enfants qui
ont été livrés aux officiers pour servir de soldats, de
porteurs et de partenaires sexuels. Jusqu'à un million et demi de
personnes a été déplacée vers des camps où
elles vivent dans la pauvreté et le désespoir.
Mettre fin à ce conflit et parvenir à la paix dans le nord de
l'Ouganda se sont révélées des tâches difficiles.
Successivement et parfois simultanément, le gouvernement de l'Ouganda a
misé sur l'action militaire, les négociations de paix et
l'amnistie accordée aux rebelles. En 2003, le président
ougandais Yoweri Museveni a transféré le problème du nord
de l'Ouganda à la Cour de justice internationale (CJI), laquelle a, en
octobre 2005, émis des mandats d'arrêt et d'accusations contre le
chef de la LRA Joseph Kony et 4 de ses commandants rebelles.
Des études récentes ont examiné la prévalence
des séquelles psychologiques des conflits et suggèrent que le
fait d'être exposé à des événements
traumatisants peut modifier la perception par les individus des
mécanismes visant à promouvoir la justice et la
réconciliation. Ces études suggèrent également
qu'à la suite de conflits, les symptômes de stress
post-traumatique (ESPT) et de dépression influencent la perception de
mécanismes tels qu'amnisties, tribunaux pénaux et commissions
d'enquête.4-10
Mais peu d'études ont examiné comment les exactions
guerrières affectent les attitudes envers les mécanismes de
reconstruction de la paix. Or, cette information a d'importantes implications
pour le rétablissement des sociétés à l'issue d'un
conflit de masse. Si le traumatisme psychologique affecte le soutien
apporté aux initiatives de paix et si aucun service ne tente de traiter
ceux qui sont affectés par ce traumatisme, alors les efforts de
reconstruction sociale risquent d'être
compromis.
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Figure 1.. Echantillons des districts du Nord de l'Ouganda—Gulu, Kitgum, Lira,
et Soroti
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L'objectif de la présente étude est d'évaluer le
degré d'exposition à la violence guerrière ainsi que la
prévalence des symptômes d'ESPT et de dépression chez les
participants à l'étude recrutés dans 4 districts du nord
de l'Ouganda et de déterminer si ces facteurs peuvent être
associés aux opinions des répondants concernant le recours
à des moyens violents ou non-violents pour mettre fin au conflit
armé dans le nord de l'Ouganda.
METHODS
Sites choisis pour l'enquête et sélection des échantillons.
Cette recherche est basée sur une étude transversale
menée en avril et mai 2005 dans le nord de l'Ouganda. La collecte des
données a été réalisée à l'aide d'un
questionnaire standard par trois équipes de 20 enquêteurs
formés pratiquant les langues régionales et représentant
une diversité d'âge et de sexe. Comme le montre le
TABLEAU 1, l'étude s'est
déroulée dans quatre districts du nord de l'Ouganda
composés d'ethnies différentes (Acholi, Langi et Teso) et
diversement exposés à la guerre. Pour la sous-région des
Acholi: les districts de Gulu (634 474 habitants) et de Kitgum (286 122
habitants). Pour la sous-région des Langi: le district de Lira (724 531
habitants) et pour la sous-région des Teso: le district de Soroti (486
109 habitants). Les Acholi, qui habitent dans les districts de Gulu, Kitgum et
Pader, ont été les plus affectés par le conflit. Les
populations avoisinantes ont également été
touchées, notamment les Langi (dans les districts de Lira et d'Apac) et
les Teso (dans les districts de Kabermaido, Soroti, Katakwi et Kumi).
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Tableau 1.. Profil socio-démographique des répondants, Avril-Mai
2005a
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L'échantillon universel comprenait des adultes (âgés de
18 ans ou plus) habitant les 4 districts choisis du nord de l'Ouganda. Les
données démographiques relatives aux populations des camps
s'appuient sur les registres de distribution de nourriture établie en
mars 2005 par le programme alimentaire mondial ainsi que sur le recensement
effectué en 2002 par le bureau ougandais des statistiques, recensement
ajusté sur l'indice de croissance annuelle de la population des
sous-comtés, une sous-division administrative des districts.
Le TABLEAU 2 montre la
stratégie d'échantillonnage en plusieurs phases qui a
été utilisée pour sélectionner les
répondants. Dans les sous-comtés des districts de Gulu et de
Kitgum et dans les portions des districts de Lira et de Soroti où il y
a eu des déportations de population, on a choisi environ 25 %
(fourchette de 21 à 33 %) des personnes intérieurement
déplacées. Cet échantillonnage a été
effectué à partir de la liste des camps et proportionnellement
à la taille des populations. Dans le district de Gulu, trois des camps
choisis étaient inaccessibles pour des raisons sécuritaires. Ils
ont été remplacés par des camps alternatifs choisis
proportionnellement à la taille des populations. Dans ces
sous-comtés, 2 paroisses et, ensuite, 2 villages dans chaque paroisse
ont été choisis au hasard dans la liste complète des
paroisses. Comme il n'existe pas de liste exhaustive des villages du nord de
l'Ouganda, une liste des villages a été établie avec les
autorités locales après sélection des plus hautes
unités administratives. Chacun des 4 districts comprenait une
municipalité et ces dernières ont été incluses
dans l'échantillon.
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Tableau 2.. Exposition aux violences guerrières, symptômes d'ESPT et de
dépression et opinions concernant la paixa
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Les familles ont été sélectionnées à
partir de la répartition des camps et des villages en « zones
» prédéterminées. (Les autorités locales
divisent les camps et les villages en zones pour faciliter les questions
logistiques et administratives). Les zones ont été
attribuées de manière aléatoire aux enquêteurs. Ces
derniers, arrivés dans une zone, se rendaient au centre de celle-ci et,
de là, choisissait au hasard la direction à suivre en faisant
pivoter un stylo. Cette direction une fois empruntée, ils choisissaient
une famille sur deux dans cette direction jusqu'à la limite de la zone.
Cette limite atteinte, ils répétaient la procédure. Par
famille, on entendait un groupe de personnes dormant sous le même toit
et mangeant ensemble. Dans chaque famille, les intervieweurs choisissaient au
hasard un adulte (âgé de 18 ans ou plus) dans la liste de tous
les adultes éligibles. Après 3 tentatives dans la même
journée, si un individu ou une famille choisis ne pouvaient pas
répondre ou refusaient de participer, la famille suivante ou un autre
individu dans le ménage étaient sélectionnés en
fonction de la même procédure d'échantillonnage. À
cause de la nature délicate de certaines questions, les
enquêteurs se sont adressés à des répondants de
leur sexe.
Pour chacun des 4 districts, un minimun de 500 familles a été
sélectionné dans les camps et les villages. Dans la famille
choisie, on a interviewé l'adulte (de 18 ans ou plus) dont le nom se
trouvait parmi les premiers de l'ordre alphabétique. Les interviews se
sont déroulées en tête-à-tête, dans
l'anonymat et dans un lieu propice à l'intimité et aux
confidences, en général à l'intérieur du
ménage. Aucun autre individu ne pouvait assister à l'interview.
À cause du haut degré d'analphabétisme, on a obtenu des
répondants un consentement oral plutôt qu'écrit. Quand ils
posaient des questions, on a fourni aux répondants des renseignements
pour des contacts. Si un participant avait besoin de références
pour un désarroi émotionnel, on lui proposait un rendez-vous
avec une des organisations non gouvernementales présentes dans la
région, mais la violence et l'insécurité environnantes
rendaient ces rendez-vous improbables. Les comités pour la protection
des sujets humains de l'Université Tulane de la Nouvelle Orléans
en Louisianne et de l'Université Makerere de Kampala en Ouganda ainsi
que des représentants officiels du gouvernement ougandais ont
approuvé les protocoles de la
recherche.
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Figure 2.. Sélection de l'échantillon
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Pour déterminer la taille de l'échantillon, on a
utilisé une formule d'évaluation des pourcentages en prenant un
niveau de précision de 10 % pour une puissance de 80 %. On a
ajusté la taille minimum d'échantillon sur l'effet dû au
schéma en raison de l'échantillonnage par groupe en utilisant un
facteur de 2, augmenté de 20 % minimum pour prendre en compte le taux
de non réponse. Pour les régressions logistiques, la puissance
rétrospective, qui a été analysée au moyen du
logiciel PASS (NCSS, Kaysville,
Utah),11
s'est inscrite dans une marge allant de 71 à 87 %.
Instruments et envergure de la collecte de données
Le questionnaire structuré utilisé pour les interviews
abordait 8 sujets: renseignements socio-économiques, priorités
et paix, droits humains et responsabilisation, amnistie, justice,
réconciliation, sécurité et exposition aux traumatismes,
réponse psychologique face aux traumatismes. L'instrument de
l'enquête a été développé et mis au point
par une équipe de spécialistes des disciplines suivantes: droits
humains, législation, justice transitionnelle,
épidémiologie, psychiatrie, anthropologie, sondage d'opinion et
le conflit secouant le nord de l'Ouganda. D'abord rédigé en
anglais, l'instrument a ensuite été traduit en Acholi, en Lango
et en Ateso par des licenciés du département de linguistique de
l'Université de Makerere et des traducteurs locaux. Pour assurer la
qualité de la traduction, l'instrument a été retraduit en
anglais. De longues discussions entre traducteurs, retraducteurs et
concepteurs de l'enquête ont tenté de résoudre les
désaccords. Un expert était consulté sur le contenu quand
on ne tombait pas d'accord sur le sens d'un mot ou d'une phrase. À Gulu
et Kitgum, on a utilisé la version en Acholi, à Lira, la version
en Lango et, à Soroti, la version en Ateso. On a procédé
à un essai pilote de l'instrument tout au long de son
développement et pendant la formation des intervieweurs. Des
modifications ont été apportées chaque fois que
nécessaire. Des choix de réponses ont été fournis
aux intervieweurs. Sauf indication contraire, ces choix n'étaient pas
présentés aux répondants. Une catégorie «
autre » était à disposition pour enregistrer des
réponses si nécessaire ou quand l'intervieweur n'était
pas sûr de la réponse appropriée. Cette catégorie
« autre » a été recodée lors de
l'analyse.
Les enquêteurs étaient des étudiants universitaires ou
des professionnels expérimentés en collecte de données
travaillant pour diverses agences internationales telles que le programme
alimentaire mondial. Trois groupes d'enquêteurs ont été
constitués: un pour les districts Acholi de Gulu et de Kitgum, un pour
le district (Lango) de Lira et un pour le district (Teso) de Soroti. Les
enquêteurs étaient originaires de la région où
était menée l'enquête et faisaient, donc, partie des
groupes ethniques et linguistiques étudiés. Les enquêteurs
ont suivi, pendant une semaine, une formation qui comprenait les
éléments suivants: techniques d'interview (respect de la vie
privée et de la confidentialité et recours à un
formulaire de consentement), techniques de sélection des
répondants, historique des objectifs de l'enquête et du sujet
étudié, contenu du questionnaire. En outre, un psychologue bien
informé sur le conflit du nord de l'Ouganda leur a exposé les
symptômes d'ESPT et de dépression. Les enquêteurs ont
d'abord analysé le questionnaire en groupes de discussion. Ils l'ont
ensuite mis en pratique en organisant entre eux des interviews fictives.
Après avoir consulté les experts régionaux et
après avoir interrogé les survivants du conflit
réfugiés dans les camps et les villages du nord de l'Ouganda, on
a établi une liste de 11 actes de violence guerrière afin
d'évaluer l'exposition aux traumatismes. Cette liste ne
représente pas tous les traumatismes possibles, mais elle se concentre
sur les incidents les plus souvent rapportés.
Après avoir consulté plusieurs psychologues et psychiatres
travaillant pour des organisations et des agences humanitaires non
gouvernementales dans le nord de l'Ouganda, nous avons choisi la version
civile de la liste comprenant 17 articles que l'on utilise pour évaluer
les symptômes d'ESPT (PCL-C, PTSD Checklist-Civilian
Version).12
Les enquêteurs de la présente étude avaient utilisé
cette liste PCL-C pour évaluer les symptômes d'ESPT au
Rwanda.7 Dans
la présente étude, nous avons accumulé toutes les cotes
des 17 articles pour obtenir un indice de sévérité
globale et nous avons utilisé une valeur minimale de 44 pour identifier
les individus répondant aux critères des symptômes d'ESPT.
Pour les trois groupes des symptômes PCL-C, cette étude utilise
les estimations Cronbach alpha (une mesure de la fiabilité interne)
suivantes: alpha=0,85 pour la réexpérience, alpha=0,84 pour
l'évitement et alpha=0,81 pour l'hypervigilance.
Pour évaluer la dépression, nous avons utilisé la
section dépression de la liste établie par John Hopkins qui
comprend 15 articles. La valeur minimale de cette liste était de
42.13
L'estimation Cronbach alpha de l'échelle de la dépression
était de 0,90 dans la présente étude.
L'élément angoisse de cette liste d'évaluation de la
dépression n'a pas été utilisé puisque les
symptômes d'ESPT étaient évalués à l'aide de
la liste PCL-C. En outre, certains énoncés de la liste
d'évaluation de la dépression ont été
modifiés pour correspondre aux différences culturelles et
linguistiques. Par exemple, l'énoncé « perte
d'intérêt ou de plaisir sexuel » était
culturellement sensible. L'énoncé utilisé dans la version
locale du questionnaire pourrait se traduire en anglais par « perte
d'intérêt pour la relation intime avec un époux ou un
partenaire ». Selon les experts consultés, cette expression a la
même signification que l'énoncé original. Autre exemple:
nous avons traduit « avoir le cafard » (feeling blue) par «
se sentir triste » (feeling sad). Les modifications n'étaient pas
importantes. Il s'agissait surtout d'expressions susceptibles d'être
mieux comprises par les populations locales.
Concernant la paix, deux indices ont permis de conceptualiser et mesurer
les opinions des répondants: cette paix, comment la
définissent-ils et comment pourrait-on, selon eux, la rétablir?
On a demandé aux répondants comment ils définissent la
paix. Lors de la phase d'analyse, les réponses ont été
recodées en fonction de trois variables qui reflétaient leur
portée: absence de violence (oui ou non);
unité—c.-à-d. se retrouver et vivre ensemble (oui ou non)
et développement humain/social—c.-à-d. éducation et
développement économique (oui ou non). On leur a ensuite
demandé comment, selon eux, on pourrait parvenir à cette paix.
Lors de la phase d'analyse, les réponses ont été
recodées en fonction de deux variables: les mécanismes de
non-violence identifiés, tels que pourparlers de paix et amnisties (oui
ou non) et les mécanismes de violence identifiés tels que le
meurtre des combattants ennemis et de leurs chefs (oui ou non). Aux deux
questions, les répondants pouvaient apporter plus d'une réponse.
Certains répondants ont proposé des définitions de la
paix qui comprenaient diverses combinaisons d'absence de violence,
d'unité et de développement humain/social. Parmi les
mécanismes pour parvenir à la paix, certains répondants
ont identifié des moyens violents et non violents. Les variables
correspondant à ces réponses étaient alors
traitées comme des résultats séparés.
Analyse statistique
Pour calculer les mesures de fiabilité interne de la liste PCL-C et
de la liste des symptômes de dépression, on a utilisé la
version 13.0 du logiciel SPSS (SPSS Inc, Chicago, Illinois). Grâce
à la version 6.0 du logiciel Epi Info (un logiciel de saisie et
d'analyse des données mis au point par le centre de prévention
et de contrôle des maladies de l'OMS), on a mis en place une double
saisie des données et cette saisie a été
vérifiée par la fonction « validate duplicate entry
». La version 6.0 du logiciel Epi Info C-Sample Analysis, qui corrige
l'effet de sondage, a été utilisée pour calculer les
fréquences, les moyennes et l'erreur d'échantillonnage
proportionnel. La version 13.0 du logiciel SPSS a permis de calculer les
rapports de cotes (RC), les intervalles de confiance (IC) de 95 % et toutes
les autres analyses statistiques. L'échantillonnage était
proportionnel à la taille de la population. On n'a donc pas
utilisé de pondération.
Concernant les événements traumatisants, l'analyse de classe
latente a été réalisée à l'aide du
programme CDAS/MLLSA (Categorical Data Analysis System/Maximum Likelihood
Latent Structure
Analysis).14
À partir d'un certain nombre de cas, l'analyse de classe latente
explore une série de variables et détermine les quelques groupes
qui vont permettre de classifier ces
cas.15
Quatre classes ont été identifiées. Répartir entre
ces 4 classes la prévalence des 11 événements
traumatisants nous a permis d'identifier les 3 caractéristiques
essentielles de chacun des groupes: vivre un enlèvement, recevoir une
menace de mort et être témoin d'actes violents.
Sur la base de ces 3 variables essentielles, on a défini 4 groupes
de survivants et réparti manuellement les individus entre ces 4
groupes: 1. Être confronté de manière limitée
à la violence guerrière (premier groupe); 2. Être
témoin d'actes de violence guerrière (deuxième groupe);
3. Recevoir des menaces de mort et/ou de blessures physiques (troisième
groupe) et vivre un enlèvement (quatrième groupe). On a
détecté, entre les groupes, une progression: ceux qui ont
été enlevés (groupe 4) ont, en général,
aussi été menacés de mort (groupe 3). Ceux qui ont
été menacés de mort (groupe 3) ont, souvent, aussi
été témoins d'actes violents (groupe 2). Cette
méthode a permis de réduire le nombre des variables et de
répartir les 11 événements traumatisants entre les 4
groupes de survivants. Les groupes reflètent des modèles
d'exposition plutôt qu'une exposition globale, ce que permettrait
d'établir une échelle sommative. De manière
séparée et sur la base de plusieurs variables, cinq
régressions séquentielles ont été
réalisées pour examiner les relations entre les
événements violents, les symptômes d'ESPT et de
dépression et les opinions concernant la paix. Parce que les
catégories répertoriant les définitions de la paix et les
mécanismes de construction de la paix étaient des
catégories non exclusives (les répondants pouvant soumettre plus
d'une réponse), une régression logistique a été
réalisée pour chaque résultat séparément.
Pour les 5 modèles, les variables dépendantes (basées sur
les résultats) ont été les 3 définitions de la
paix et les 2 mécanismes identifiés pour parvenir à la
paix. Les variables indépendantes (prédictives) ont
été l'âge, le sexe, l'état civil,
l'éducation, la tranche de revenus, les modèles d'exposition par
groupe, les symptômes d'ESPT et de dépression et le district de
résidence. (On a utilisé le district de résidence
plutôt que l'ethnicité parce que les divisions administratives
respectent de près la répartition en groupes ethniques et parce
qu'ainsi, on a pu distinguer les Acholi du district de Gulu des Acholi du
district de Kitgum.) Les valeurs prédictives les plus
intéressantes ont été les modèles d'exposition aux
traumatismes, les symptômes d'ESPT et les symptômes de
dépression. Pour chacun de ces modèles de régression
logistique, des analyses univariées ont été
réalisées pour chaque combinaison de variables
dépendantes et indépendantes afin d'examiner l'importance de
l'association. On a réalisé des régressions logistiques
séquentielles dans les deux sens (en avant comme en arrière) en
testant l'ajustement de chacun des modèles prédictifs. Seules
les valeurs prédictives statistiquement significatives ont
été retenues dans les modèles finaux.
RÉSULTATS
Dans chaque district, la taille de l'échantillon cible était
de 500 interviews. Un total de 3546 ménages ont été
approchés et 2585 adultes de 18 ans ou plus ont été
interviewés dans les 4 districts sélectionnés
situés dans le nord de l'Ouganda: Gulu (n=628), Kitgum (n=649), Lira
(n=658) et Soroti (n=650), comme le montre le
tableau 2. Dans les camps et
les villages, 27 % des ménages sélectionnés ont
été remplacés parce que personne n'était à
la maison (18 %), suite à un refus (4 %) ou parce que personne
n'était éligible (5 %). Parmi les ménages choisis, 246
individus (9,5 %) ont été remplacés par une autre
personne du même ménage par manque de disponibilité ou
suite à un refus de participer.
Caractéristiques générales des répondants
L'échantillon (n=2585) était composé d'un nombre
environ égal d'hommes (49,8 %) et de femmes (50,2 %) puisqu'il y avait
un nombre égal d'intervieweurs hommes et femmes et que ceux-ci se sont
adressés à des répondants de leur sexe. Soixante et un
pour cent des personnes sondées vivaient dans des camps, 21 % dans des
villages et 18 % dans des municipalités (les capitales des districts).
Comme le montre le TABLEAU 1,
l'âge moyen des répondants était de 37 ans (SD, 13,8 ans)
et de 34 ans parmi la tranche d'âge allant de 23 à 45 ans qui
regroupait 95 % des répondants. Une majorité des
répondants vivaient en couple soit étant mariés (72,8 %)
ou vivant avec un partenaire (3,6 %). La composition ethnique de
l'échantillon reflétait la stratification des 4 districts, le
groupe ethnique principal étant les Acholi à Gulu et à
Kitgum (96,5 % et 99,4 %, respectivement), les Langi à Lira (96,3 %) et
les Teso à Soroti ((2,9 %). Si bien que les Acholi
représentaient 48,6 % de l'échantillon, les Langi 25,0 % et les
Teso 23,6 %. Une majorité des répondants (58,2 %) se sont
identifiés comme catholiques romains et 30,8 % comme appartenant
à l'Église anglicane.
Modèles d'exposition aux traumatismes
Une évaluation complète de l'exposition aux 11
événements traumatisants
(TABLEAU 2) a pu être
réalisée auprès de 2569 répondants (99,4 % du
total des 2585 répondants). Un pourcentage important (78,5 %) d'entre
eux rapporte que, pour fuir le conflit, ils ont dû se déplacer.
La stratégie de la LRA consistait à agresser les populations
civiles. C'est pourquoi l'exposition aux exactions guerrières de la LRA
est très fréquemment auto-rapportée: 1018
répondants (39,6 %) signalent avoir été enlevés,
585 (22,8 %) avoir été blessés, 834 (32,5 %) avoir
été forcés de porter de lourdes charges et 186 (7,2 %)
avoir subi des violences sexuelles. À Gulu et à Kitgum, plus de
50 % des répondants rapportent des enlèvements diversement
prolongés. Certaines des personnes enlevées sont restées
aux mains de la LRA pendant des années, d'autres pendant seulement
quelques jours ou quelques heures. L'exposition à des crimes de guerre
en tant que témoin figure parmi les exactions le plus
fréquemment rapportées: 1498 répondants (58,3 %) ont
été confrontés à l'enlèvement d'un enfant;
1229 (47,8 %) au meurtre d'un ami; 1144 (44,5 %) à l'assassinat d'un
parent et 639 (24,9 %) à des violences sexuelles. Quarante-neuf pour
cent des répondants (n=1259) rapportent avoir été
menacés de mort et 31,1 % (n=799) avoir eu un enfant enlevé.
Le TABLEAU 3 présente
les 4 modèles d'exposition basés sur les groupes de survivants:
21,4 % rapportent une faible exposition à la violence guerrière
(groupe 1); 17,8 % rapportent avoir assisté à des exactions
guerrières, mais sans menaces de mort ni de blessures corporelles
(groupe 2); 16,4 % rapportent avoir été menacés de mort
et/ou de blessures corporelles (groupe 3) et 44,3 % rapportent avoir
été enlevés (groupe 4). Dans le groupe 1, seule la
déportation est fréquemment rapportée (43,7 %) et 9,3 %
rapportent avoir eu un enfant enlevé. La probabilité de
déportation est 7 fois plus élevée dans le groupe 2 par
rapport au groupe 1 (RC de 7,78 avec IC à 95 % de 5,69 à 10,62).
Dans le groupe 2, 66,6 % rapportent avoir été confrontés
à l'enlèvement d'un enfant, 54,1 % au meurtre d'un ami et 50,9 %
à l'assassinat d'un parent. En moyenne, l'exposition du groupe 3 a
été similaire à celle du groupe 2. En outre, 84,3 % des
répondants du groupe 3 rapportent des menaces de mort, 32,3 % des
blessures et 6,2 % des agressions sexuelles. La probabilité
d'être témoin du viol d'une autre personne est deux fois plus
élevée dans le groupe 3 par rapport au groupe 2 (RC de 2,18 avec
IC à 95 % de 1,55 à 3,06).
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Tableau 3.. Exposition aux violences guerrières par groupes de survivants,
symptômes d'ESPT et de dépression et opinions concernant la
paixa
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Les enlèvements perpétrés par la LRA sont la
caractéristique du groupe 4. Quatre-vingt-dix pour cent des
répondants rapportent avoir été enlevés et 73,2 %
avoir dû porter des charges. Certains répondants de ce groupe ne
rapportent pas un enlèvement par la LRA, mais avoir été
forcé de porter des charges, une activité associée aux
enlèvements. Par rapport au groupe 3, la probabilité
d'être témoin d'une agression sexuelle est 1,7 fois plus
élevée dans le groupe 4 (RC de 1,75 avec IC à 95 % de
1,35 à 2,27) et la probabilité d'être victime d'une
agression sexuelle plus de trois fois plus élevée (RC de 3,25
avec IC à 95 % de 1,94 à 5,44), une exposition rapportée
par 14 % des répondants du groupe 4.
Enfin, 39,4 % des répondants du groupe 4 rapportent avoir
été blessés par la LRA. La probabilité d'avoir
été blessé par la LRA est dans ce groupe deux fois plus
élevée que dans le groupe 3 (RC de 2,35 avec IC à 95 % de
1,78 à 3,11).
L'exposition globale va en augmentant d'un groupe à l'autre. Le
groupe 1 rapporte un indice d'exposition moyen de moins de un (moyenne, 0,5
[SD, 0,63]). Les moyennes sont de 3,0 (SD, 1,13) pour le groupe 2 et de 4,4
(SD, 1,58) pour le groupe 3. Pour le groupe 4, le nombre total moyen
d'expositions rapportées est de 6,8 (SD, 2,11). Le nombre total moyen
d'événements rapportés diffère significativement
d'un groupe à l'autre (F3=1906,4; P 0,01) ainsi qu'entre chaque paire
de groupes combinés (P 0,05).
Prévalence des symptômes d'ESPT et de dépression
Parmi les répondants ayant réagi à tous les articles
de la liste PCL-C (n=2389, 92,4 % de tous les répondants), 74,3 %
répondent aux critères des symptômes d'ESPT. Parmi ceux
ayant réagi à tous les articles de la liste de symptômes
établie par John Hopkins (n=2585, 100 % de tous les répondants),
44,5 % répondent aux critères des symptômes de
dépression. Le tableau 2
affiche, pour l'ensemble des districts, la prévalence des
symptômes d'ESPT et de dépression. Le
tableau 3 montre la
prévalence des mêmes symptômes pour chaque groupe de
survivants. Concernant ces symptômes, les différences entre
groupes de survivants sont significatives au niveau P<0,01, sauf entre le
groupe 3 (menace/blessure) et le groupe 4 (enlèvement). Entre ces deux
groupes, on ne relève pas de différence significative pour les
symptômes d'ESPT et une différence au niveau P<0,05 pour les
symptômes de dépression. Parmi les groupes de survivants, les
répondants du groupe 1 affichent le plus faible niveau de
symptômes d'ESPT (47 %) ainsi que de dépression (21 %). Dans le
groupe 2, la fréquence des symptômes d'ESPT est de 71 % et la
fréquence des symptômes de dépression de 42 %. Dans le
groupe 3, les fréquences des symptômes d'ESPT et de
dépression sont de 86 et 61 %, respectivement. Dans le groupe 4, les
fréquences des symptômes d'ESPT et de dépression sont de
84 et 52 %, respectivement. Par rapport au groupe 1, la probabilité des
symptômes d'ESPT est plus de six fois plus élevée dans les
groupes 3 et 4 (groupe 3 contre groupe 1: RC de 7,04 [IC à 95 % de 5,02
à 9,87]; groupe 4 contre groupe 1: RC de 6,07 [IC à 95 % de 4,77
à 7,71]). Pour ces mêmes groupes, la probabilité des
symptômes de dépression est plus de 4 fois plus
élevée (groupe 3 contre groupe 1: RC de 5,76 [IC à 95 %
de 4,34 à 7,65]; groupe 4 contre groupe 1: RC de 4,00 [IC à 95 %
de 3,16 à 5,06]).
Définitions de la paix et moyens de parvenir à la paix
Les tableaux 2 et 3 montrent la fréquence des 3 définitions
de la paix et des 2 catégories de mécanismes proposés par
les répondants pour parvenir à la paix. Les répondants
ont pu proposer de multiples définitions de la paix et des moyens d'y
parvenir. Sur les 2581 répondants ayant proposé une
définition de la paix (99,8 % de tous les répondants), la
majorité (61 %) inclut l'absence de violence, 16 % la notion
d'unité et 45 % utilisent des termes reliés au
développement humain, tels que le développement
économique et l'éducation. En examinant la combinaison des
définitions, 39 % des répondants utilisent seulement l'absence
de violence et 25 % seulement le développement humain. Seize pour cent
des répondants définissent la paix comme étant la
combinaison du développement humain et de l'absence de violence. Trois
pour cent combinent l'absence de violence, l'unité et le
développement humain dans leur définition.
Quand on leur demande comment on peut parvenir à la paix, 66,0 %
(1684/2551) croient qu'on pourrait parvenir à la paix par des moyens
non violents. Vingt-sept pour cent (686/2551) disent que l'on pourrait
parvenir à la paix par des moyens violents. Parmi ces derniers, 7 %
sont d'avis que des moyens violents et non violents pourraient permettre la
paix. Trente pour cent des répondants n'identifient pas de moyens que
l'on pourrait classifier comme violents ou non violents. Cela parce que ces
répondants ne croient pas que l'on puisse parvenir à la paix, ne
savent pas comment on pourrait parvenir à la paix ou encore proposent
des moyens que l'on ne peut catégoriser en termes de politiques
violentes ou non-violentes, des moyens comme « une intervention divine
» (Tableasu 2 et
tableau 3). Faute de cas
suffisants, ces réponses n'ont pas été analysées
séparément.
Après l'examen d'autres variables significatives dans le
modèle final de régression logistique, le
TABLEAU 4 montre que les moyens
proposés par les répondants pour parvenir à la paix
s'associent significativement avec les symptômes d'ESPT et de
dépression, mais pas avec les modèles d'exposition. La
probabilité d'utiliser des moyens violents pour parvenir à la
paix est plus élevée chez les répondants qui
répondent aux critères des symptômes d'ESPT (RC de 1,31
avec IC à 95 % de 1,05 à 1,65). Chez les répondants qui
répondent aux critères des symptômes de dépression,
la probabilité d'utiliser des moyens non violents pour parvenir
à la paix est moins élevée (RC de 0,77 avec IC à
95 % de 0,65 à 0,93). En tenant compte d'autres variables
significatives, le lieu de résidence des répondants s'associe
significativement aux mécanismes pour parvenir à la paix.
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Tableau 4.. Variables associées aux moyens identifiés pour parvenir
à la paix
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Par rapport aux répondants de Gulu, la probabilité
d'identifier des mécanismes violents pour parvenir à la paix est
4 fois plus élevée chez les habitants de Kitgum (RC de 4,06 avec
IC à 95 % de 2,88 à 5,74). Cette même probabilité
est plus de 8 fois plus élevée chez les habitants de Lira (RC de
8,52 avec IC à 95 % de 6,09 à 11,93). Et environ 4 fois plus
élevée chez ceux de Soroti (RC de 3,84 avec IC à 95 % de
2,71 à 5,45).
Comparé à Gulu, la probabilité d'identifier des
mécanismes non violents pour parvenir à la paix est 3 fois moins
élevée chez les répondants de Kitgum (RC de 0,36 avec IC
à 95 % de 0,27 à 0,48). Cette même probabilité est
plus de 5 fois moins élevée chez les habitants de Lira (RC de
0,18 avec IC à 95 % de 0,13 à 0,24). Et 4 fois moins
élevée chez ceux de Soroti (RC de 0,25 avec IC à 95 % de
0,19 à 0,33). Entre niveaux d'éducation et mécanismes
identifiés pour parvenir à la paix, l'association est
significative et nous l'avons étudiée. Mais nous n'avons pas
trouvé d'association entre ces mécanismes et le sexe,
l'âge ou le revenu.
Dans le modèle final de régression logistique, il s'est
avéré que les 3 définitions de la paix s'associent
significativement au district de résidence
(TABLEAU 5). Chez les
répondants de Kitgum, la probabilité d'inclure l'unité
dans leur définition est moins élevée que chez ceux de
Gulu (RC de 0,50 avec IC à 95 % de 0,36 à 0,70). Comparé
à Gulu, la probabilité d'inclure l'absence de violence et les
facteurs de développement socio-économique dans leur
définition est plus élevée chez les habitants de Lira et
de Soroti. Comparé à Gulu, la probabilité d'inclure
l'unité est moins élevée chez les répondants de
Lira (RC de 0,64 avec IC à 95 % de 0,47 à 0,88) et plus
élevée chez ceux de Soroti (RC de 1,76 avec IC à 95 % de
1,34 à 2,31). Le niveau d'éducation des répondants
s'associe à la définition de la paix. Comparé à
ceux qui n'ont pas fait d'études, la probabilité d'inclure la
fin de la violence dans leur définition de la paix est plus
élevée chez ceux qui ont terminé le niveau primaire (RC
de 1,63 avec IC à 95 % de 1,21 à 2,19). Nous n'avons pas
trouvé d'association significative entre la définition de la
paix et les symptômes d'ESPT et de dépression, l'âge, le
sexe, le revenu ou les groupes de survivants.
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Tableau 5.. Variables associées aux définitions de la paix
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COMMENTAIRES
La prévalence des symptômes d'ESPT et de dépression
affichée par les résidents du nord de l'Ouganda correspond aux
taux élevés de prévalence des mêmes symptômes
relevés par des rapports antérieurs dans des populations
touchées par la
guerr4-10.
Concernant la population du nord de l'Ouganda, nous ne disposons pas des taux
de prévalence de départ pour ces symptômes, mais les
variations détectées dans l'ensemble des sites suggèrent
que la violence guerrière a eu un impact majeur sur le bien-être
psychologique. Environ trois quarts des répondants (74,3 %)
répondent aux critères des symptômes d'ESPT et presque la
moitié (44,5 %) aux critères des symptômes de
dépression. À titre de comparaison, le Dr de Jong et ses
collègues16
ont, à l'aide d'enquêtes conçues pour étudier les
symptômes d'ESPT dans des pays ravagés par des conflits,
relevé des taux de prévalence des symptômes d'ESPT de 37,4
% en Algérie, 28,4 % au Cambodge, 15,8 % en Éthiopie et 17,8 %
à Gaza. Dans une étude menée 6 ans après le
génocide de 1994 dans les camps de réfugiés du Ruanda et
du
Burundi17,
le Dr de Jong et ses collègues ont relevé des taux de
prévalence d'ESPT de 50 % en utilisant le questionnaire de
l'état de santé général.
En Afghanistan, le Dr Cardozo et ses
collègues9
ont trouvé une prévalence des symptômes d'ESPT de 32 %
chez les hommes et de 48 % chez les femmes. Ils ont aussi trouvé des
taux de symptômes de dépression de 73 % chez les femmes et de 59
% chez les hommes. Il faut préciser que les mesures de la
prévalence d'ESPT rapportées par ces études peuvent
refléter des écarts méthodologiques, des
différences d'adaptation aux traumatismes et des facteurs culturels
particuliers18.
La prévalence élevée des symptômes d'ESPT et de
dépression relevée par la présente étude dans le
nord de l'Ouganda peut s'expliquer par la durée de l'exposition (plus
de 19 années de conflit), la nature terrifiante de l'exposition (p. ex.
enlèvement, mutilation, personnes enlevées obligées de
commettre des crimes) et par les déportations de masse. Le fait que le
conflit n'était pas terminé et que la population pouvait se voir
exposée à la violence au moment de l'enquête peut avoir
contribué au taux élevé de la prévalence.
Dans chacun des groupes de survivants, l'événement le plus
fréquemment rapporté a été la déportation,
causée souvent par l'insécurité et/ou les politiques
adoptées par le gouvernement. Quarante pour cent des répondants
disent qu'ils ont été enlevés par la LRA pendant des
périodes de diverses longueurs (allant de quelques heures à
plusieurs années). La grande majorité a été
témoin du meurtre d'un ami ou d'un parent. Le haut degré
d'exposition aux traumatismes met en évidence les tactiques de la LRA:
utiliser les enlèvements pour recruter de nouvelles troupes et attaquer
les civils pour semer la terreur parmi la population. Il est possible par
ailleurs que les répondants aient été confrontés
à d'autres violences guerrières non rapportées dans la
présente étude.
Nous avons trouvé une association significative entre les groupes de
survivants et les traumatismes psychologiques. Ceux qui ont été
peu exposés à la violence affichent des symptômes d'ESPT
et de dépression moins fréquents que ceux qui ont
été menacés de mort, ceux qui ont directement subi des
violences guerrières et/ou ceux qui ont été
enlevés. Ceci soutient l'observation qu'une exposition plus forte
à la violence peut induire des symptômes psychologiques nettement
plus importants
(doses-effet)5,
19,
20. Cela dit, le
niveau des symptômes d'ESPT ne diffère pas significativement
entre, d'une part, ceux qui ont été menacés de mort et/ou
ceux qui ont été blessés corporellement (groupe 3) et,
d'autre part, ceux qui ont été enlevés (groupe 4). Les
symptômes de dépression sont statistiquement plus
prononcés chez ceux ont été menacés de mort et/ou
corporellement blessés comparé à ceux qui ont
été enlevés. Ceci suggère que les symptômes
d'ESPT et de dépression varient avec le type d'exposition, comme nous
l'avons proposé dans des études
antérieures7.
Finalement, bien que le conflit se soit déroulé principalement
dans la sous-région des Acholi, les symptômes d'ESPT et de
dépression sont plus prévalents dans les districts Teso et
Lango, ce qui suggère que la culture peut jouer un rôle dans la
manière de vivre et de rapporter des effets traumatisants.
Ayant procédé à des ajustements en fonction des
variables étudiées, les symptômes d'ESPT et de
dépression ont été associés aux opinions
concernant la paix. On trouve, chez les répondants affichant des
symptômes d'ESPT et de dépression, une robabilité moins
élevée d'identifier des moyens non violents et une
probabilité plus élevée d'identifier des moyens violents
pour parvenir à la paix. Dans cette population, on peut associer les
symptômes psychologiques reliés aux traumatismes avec un
désir de rétribution plutôt qu'avec des démarches
réparatrices visant à résoudre les violences
passées. Cependant, les définitions de la paix fournies par un
répondant en fonction de la fin de la violence, de l'unité et du
développement humain s'associent plus étroitement avec les
facteurs démographiques et socioculturels qu'avec l'exposition à
la violence et la fréquence des symptômes d'ESPT et de
dépression. De manière très significative, le district
d'origine influence tant la définition de la paix que les
mécanismes identifiés pour y parvenir. Les districts s'associent
étroitement à l'ethnicité puisque pratiquement tous les
résidents de Gulu et Kitgum sont Acholi et ceux de Lira et Soroti sont,
respectivement, Langi et Teso. Chez les Acholi, habitants à Gulu et
à Kitgum et considérés comme ayant été les
plus exposés au conflit, on trouve le moins de probabilité
d'identifier des moyens violents pour parvenir à la paix. On
relève cependant des différences significatives entre les Acholi
de Gulu et ceux de Kitgum. Ceci suggère que les cultures locales, les
croyances et les facteurs sociaux peuvent jouer un rôle dans la
formation des opinions concernant la paix. Et ceci souligne qu'il faut prendre
en considération ces facteurs quand on élabore des
politiques.
Cette étude présente plusieurs limitations. Les
données rassemblées ont été recueillies dans 4
districts du nord de l'Ouganda. Elles n'ont par conséquent pas de
portée nationale. Les 4 districts ont été
sélectionnés pour représenter une diversité de
cultures et d'exposition au conflit. L'insécurité ambiante au
moment de la collecte des données a limité l'accès aux
sites étudiés et 3 des camps sélectionnés n'ont
pas pu être visités. Ils ont été remplacés
par un autre camp choisi sur base de la même procédure que la
sélection initiale. L'insécurité a par ailleurs
limité le temps disponible passé dans chacun des sites
étudiés. Parmi les ménages visités, 18 %
étaient vides et 4 % ont refusé d'être interviewés.
On ne sait pas si les opinions de ces personnes auraient été
significativement différentes de celles des répondants. Au
moment de la collecte des données (avril-mai 2005), il n'y avait pas de
processus de paix clairement engagé. Les opinions et les attitudes
auraient peut-être été différentes si un processus
de paix concret avait été en cours. L'exposition aux
traumatismes et les symptômes d'ESPT et de dépression
étaient auto-rapportés, les répondants réagissant
par « oui » ou « « non » à la lecture des
événements traumatisants repris dans les listes
standardisées de contrôle. Un souvenir imprécis et la
convenance sociale peuvent avoir biaisé la validité des
réponses. On a largement débattu du recours à des
échelles standard pour mesurer des désordres psychologiques
comme l'ESPT et la dépression. En général, les analystes
soulignent le peu de validité de ces mesures quand on les applique
à des environnements culturels divers et à des situations de
conflit21,23.
Ces mesures sont néanmoins incluses dans notre analyse parce qu'il
s'agit de mesures
validées24,25
portant sur des traumatismes psychologiques en dehors des interviews de
diagnostics cliniques et qu'elles ont été appliquées dans
des pays ravagés par la guerre, comme l'ancienne Yougoslavie, le
Ruanda, l'Algérie, le Cambodge et l'Éthiopie ainsi que d'autres
pays7-9,16.
On aurait pu parer aux critiques concernant la validité des conclusions
en utilisant un formulaire de consentement. Ce dernier aurait pu souligner
qu'aucun avantage direct n'était à espérer d'une
participation à l'enquête, que celle-ci était tout
à fait anonyme, que les intervieweurs ont reçu une formation
exhaustive et que l'enquête était administrée dans les
langues régionales.
CONCLUSIONS
Nous avons trouvé que les symptômes d'ESPT et de
dépression sont très prévalents dans 4 districts du nord
de l'Ouganda où ils affectent, respectivement, les trois quarts et
environ la moitié des répondants à notre enquête.
Cette prévalence des symptômes d'ESPT et de dépression
varie significativement entre les groupes de survivants exposés
à divers niveaux de traumatismes et s'associe aux opinions concernant
la paix. Ceux qui répondent aux critères des symptômes
d'ESPT ont une plus grande probabilité de préférer des
moyens violents pour mettre fin au conflit. Ceux qui répondent aux
critères des symptômes de dépression ont une moins grande
probabilité d'identifier des moyens non violents pour parvenir à
la paix. Les conclusions de l'enquête ont d'importantes implications
pour les professionnels des soins de santé, les assistants, les
diplomates et les politiciens, et ce, pour plusieurs raisons. D'abord, comme
le suggèrent les conclusions, il est important de maintenir la
sécurité et de protéger la population civile en temps de
guerre. C'est l'une des principales dispositions de la Convention de
Genève de 1949 qui réglemente l'utilisation de la force dans les
conflits armés. La sécurité en temps de guerre domine
tout : c'est le socle qui soutient tout le reste. Sans un certain niveau de
sécurité, la distribution de l'aide alimentaire, des soins de
santé et des programmes sociaux est sérieusement compromise.
Ensuite, les programmes visant à prendre en charge les traumatismes
psychologiques devraient être une priorité lors des conflits et
dans les arrangements d'après conflit. Trop souvent, les organisations
humanitaires négligent les besoins des communautés
ravagées par la guerre à cause de leurs ressources
limitées ou parce qu'elles estiment que ces programmes dépassent
leurs compétences. Notre recherche suggère que le traumatisme
psychologique est un indicateur clé de la santé des populations
exposées à des niveaux élevés de violence
personnelle lors de conflits armés prolongés. Notre
enquête suggère qu'il faut peutêtre mener une recherche
collaborative approfondie impliquant des cliniciens, des anthropologues et
d'autres experts afin de déterminer quels sont les programmes
psychosociaux qui réussissent et pour quels groupes de population.
Troisièmement, les politiques nationales et internationales en
faveur du processus de paix doivent prendre en considération le
bien-être psychologique de ceux que la violence guerrière affecte
le plus. Le traumatisme psychologique peut influencer le regard optimiste ou
pas que portent les individus sur leur avenir, comment ils voient les mesures
visant à changer leur situation et si ces mesures identifient et
reconnaissent la nature et la profondeur de leurs souffrances pendant la
guerre. Quand les politiciens proposent des politiques visant à
construire une paix durable, ils devraient garder à l'esprit la
possibilité qu'une partie importante de la population ne soutienne pas
les mesures préconisées. Par exemple, quand des responsables de
crimes de guerre sont amnistiés, certaines personnes souffrant de
traumatismes psychologiques peuvent considérer que les autorités
ne tiennent pas compte de leurs désirs d'obtenir réparation ou
de voir les responsables de ces crimes punis ou obligés de s'excuser
publiquement pour leurs actions. En conséquence, ces personnes peuvent
rejeter les programmes visant à mettre en place la
réconciliation d'après conflit. Elles peuvent même
chercher à se venger à l'encontre de ceux à qui on a
pardonné leurs exactions passées. Finalement, les cultures
locales, les croyances et les facteurs sociaux jouent un rôle
déterminant dans l'évolution des attitudes et des opinions
concernant la paix. Les efforts pour établir la paix et mettre en place
des mécanismes de responsabilisation doivent être inspirés
par le vécu des populations et des données reflétant les
opinions, les attitudes et les besoins de tous les secteurs d'une
société. Une telle recherche se doit d'identifier comment, dans
un contexte de guerre, des modèles d'exposition à la violence,
aux traumatismes psychologiques et aux facteurs politiques et culturels
influencent les processus de la reconstruction sociale et du maintien de la
paix une fois apaisées les violences de masse.