Dr REYNOLDS: Monsieur M., qui est âgé de 59 ans et
présente une histoire d'infarctus du myocarde (IDM) ainsi qu'une
fraction d'éjection basse, s'interroge sur la pose d'un
défibrillateur cardiaque implantable (DCI).
Monsieur M. se portait bien jusqu'à il y a 7 ans, où il a
présenté un IDM antérieur aigu. Dans un premier temps, il
a été traité par des thrombolytiques qui ont
résolu sa douleur. Un cathétérisme cardiaque a
révélé une lésion serrée de l'artère
coronaire interventriculaire antérieure proximale. Monsieur M. a
reçu une pose de stent réussie au niveau de la lésion.
Son évolution a été compliquée par une
insuffisance cardiaque congestive (ICC).
L'échocardiogramme post-IDM montrait une fraction d'éjection
ventriculaire gauche (FEVG) de 25 %. Depuis, Monsieur M. se porte bien; il ne
présente actuellement aucune douleur thoracique, ni d'essoufflement ou
de palpitations. Il n'a jamais eu de syncope, mais a remarqué une
diminution de sa capacité physique. Son dernier
échocardiogramme, réalisé en 2004, montrait une fraction
d'éjection stable de 25 %, avec akinésie antéroseptale,
antérieure et apicale.
Le médecin de soins primaires de Monsieur M. se demande aujourd'hui
si son patient ne devrait pas subir l'implantation d'un défibrillateur,
en prévention d'une mort subite cardiaque.
Monsieur M. est traité pour une hyperlipidémie; il n'a pas
d'autre antécédent médical significatif. Ses
médicaments incluent le métoprolol XL (50 mg une fois par jour),
le lisinopril (10 mg une fois par jour), l'isosorbide mononitrate (30 mg une
fois par jour), l'atorvastatine (20 mg une fois par jour), le clopidogrel (75
mg une fois par jour), et l'aspirine (325 mg une fois par jour).
Monsieur M. est vendeur de voitures; il vit seul. Il boit rarement de
l'alcool et ne fume pas. Ses antécédents familiaux sont
significatifs puisque son père est décédé à
53 ans d'une récidive d'IDM. Lors d'un récent examen physique,
Monsieur M. apparaissait en bonne santé. Sa pression artérielle
était de 120/70 mm Hg, et ses veines jugulaires n'étaient pas
distendues. Il ne présentait pas de souffle carotidien. Ses poumons
étaient clairs, et son examen cardiovasculaire montrait un B1 normal,
sans souffle ni galop. Il ne présentait pas d'oedème aux
extrémités, et ses pouls étaient présents.
Un récent électrocardiogramme montrait un rythme sinusal
normal, avec des intervalles et un axe QRS normaux. Des ondes Q
antérieures avec une inversion des ondes T étaient
observées, correspondant à son IDM antérieur
étendu.
Monsieur M.: SON POINT DE VUE
Je n'ai plus du tout la même tolérance à l'effort, et
j'en suis même loin. Avant ma crise cardiaque, je pouvais courir 8 km
d'affilée. Je faisais environ 30 km de footing par semaine; je ne
risque pas d'égaler cette performance aujourd'hui. J'aimerais pouvoir
le faire, c'est mon objectif. Mais j'y ai malheureusement presque
renoncé. Cela n'arrivera pas.
On m'a parlé de me poser un appareil dans la poitrine, qui serait
censé réguler mon coeur. J'en ai parlé à
différents médecins, et je pensais avoir compris la situation.
Pour moi, à l'heure actuelle, ce n'est pas nécessaire. Cela fait
6 ans que j'ai eu ma première intervention. Pourquoi est-ce si
important de faire cela maintenant? Pour moi, aujourd'hui, à ce moment
précis, il n'y a aucune raison à cela. C'est pourquoi il m'est
si difficile de prendre une décision.
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Figure 1.. Échantillons d'enregistrements d'électrogramme d'arythmies
ventriculaires avec traitement par défibrillateur cardiaque implantable
(DCI)
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Lorsque je discute avec une personne qui achète une voiture,
j'essaie de l'inciter à s'engager à dépenser une certaine
somme d'argent, $30 000, $35 000. Souvent après cela, je me pose pour
réfléchir, et je me rends compte que je fais la même chose
tous les jours. Tous les jours, je suis confronté à des gens qui
veulent acheter quelque chose, que j'essaie de mettre en position de pouvoir
prendre une décision.
C'est la même chose avec la pose de cet appareil. Je ne sais pas si
les personnes auxquelles je parle y ont vraiment réfléchi.
Est-ce qu'elles se sont posées et se sont demandé: «
Pourquoi cette personne se mettraitelle en position de subir une
opération qui n'est pas nécessaire au moment présent, et
quelle preuve empirique y a-t-il pour la lui imposer? »
Vous savez, quoique l'on fasse dans la vie, il y a toujours quelqu'un qui
veut que vous fassiez quelque chose, parce que c'est ce qu'il y a de plus
important pour lui. Que vous ameniez votre voiture au garage pour faire une
vidange ou que vous alliez chez le dentiste, chaque chose est importante pour
la personne qui intervient. Mais est-ce important pour moi? Là est la
question. J'aimerais voir les choses en noir et blanc, au fond. Si je ne le
fais pas, j'ai une certaine espérance de vie. Si je le fais, je vivrai
encore X années de plus.
CARREFOUR: QUESTIONS AU DR ZIMETBAUM
Quelles sont les indications actuelles pour l'implantation d'un
défibrillateur? Combien coûte la pose d'un DCI et pour quels
groupes de patients est-il rentable? Compte tenu du fait que l'IDM de Monsieur
M. remonte à 7 ans, son risque de mort subite est-il aussi
élevé que celui d'une personne avec un IDM récent?Quelle
est l'espérance de vie de Monsieur M. avec et sans
défibrillateur? Une exploration électrophysiologique (EEP)
peut-elle aider à déterminer si les patients tireront avantage
d'un DCI? Quelles sont les complications de l'implantation d'un
défibrillateur? Comment les receveurs se sentent-ils? Y a-t-il des
précautions particulières à prendre pour les patients
porteurs d'un défibrillateur (imagerie par résonance
magnétique [IRM], détecteurs de métaux dans les
aéroports, changement de batterie, la conduite en cas de
décharge, et autres)? Que recommandez-vous à Monsieur M.? DR
ZIMETBAUM : Monsieur M. est âgé de 59 ans et a une histoire
d'IDM qui remonte à 7 ans. En conséquence de son IDM, il a une
cardiomyopathie avec une FEVG de 25 %. Il reçoit un traitement
médical complet et adapté, incluant de l'aspirine, du
métoprolol, du lisinopril, et de l'atorvastatine. Il n'a pas d'angor,
mais présente de légers symptômes correspondant à
une ICC de classe II, reflétés par une réduction de ses
capacités physiques. On lui a présenté la
possibilité d'implanter un défibrillateur à titre
prophylactique, pour réduire son risque de mort subite arythmique.
Monsieur M. répugne naturellement à l'idée de subir
une intervention invasive pour un risque qui semble hypothétique. Il
indique que si cette option lui avait été
présentée en 1999, lorsqu'il était hospitalisé
pour son IDM, il aurait pu l'envisager. Aujourd'hui, après avoir
passé 7 années en bonne santé, sans hospitalisation, cela
n'a pas de sens pour lui de choisir délibérément une
intervention qui l'exposerait à des risques de complications et
à des contraintes d'entretien de l'appareil implanté pour le
restant de ses jours. Monsieur M. se demande également si cette
recommandation est vraiment nécessaire et dans son
intérêt, ou si elle est plutôt le reflet
d'intérêts commerciaux et du désir des spécialistes
d'effectuer des opérations pour lesquelles ils sont bien
remboursés.
La discussion sur l'implantation prophylactique d'un défibrillateur
représente l'une des consultations les plus déconcertantes et
les plus mal comprises des cardiologues. La difficulté à
comprendre et à adapter les recommandations actuelles pour la
prévention primaire de la mort subite provient essentiellement de la
rapide évolution des données dans la dernière
décennie et du délai prévisible dans leur diffusion et
leur acceptation dans la pratique médicale.1,2 Elle est
également suscitée par les coûts sociétaux
prohibitifs de ces traitements et par la difficulté conceptuelle
d'adopter un traitement invasif pour réduire le risque d'un
événement souvent sans précédents symptômes
associés. Ces facteurs sont en outre compliqués par la
conséquence ultime de l'erreur (c'est-à-dire la mort).
Le processus de compréhension du bénéfice potentiel
généré par l'implantation d'un DCI commence par la
compréhension du risque de décès sans DCI. Le
décès cardiovasculaire est traditionnellement
caractérisé par une mort subite arythmique, due à une
défaillance de la pompe. La mort arythmique est la cible de la
prévention par implantation de DCI
(Figure 1); cependant, le
processus de sélection des patients les plus susceptibles d'avoir
besoin de ces appareils reste un défi significatif pour la science
médicale.
Données sur les DCI chez les patients coronariens avec dépression de la fonction VG
Aux États-Unis, environ 450 000 personnes décèdent
chaque année de mort subite
cardiaque.2
La grande majorité de ces décès survient chez des
patients sans facteurs de risque visibles. Un groupe de patients, similaires
à Monsieur M., avec coronaropathie entraînant une
altération de la fonction ventriculaire, a été
identifié comme étant particulièrement à risque de
mort
subite.3,4
Le risque de mort subite est au moins doublé chez les patients avec
coronaropathie, tachycardie ventriculaire non soutenue (TVNS), et
altération de la fonction ventriculaire (< 40
%),3-5
essentiellement dus à des arythmies ventriculaires soutenues
médiées par des cicatrices. Les tentatives pour réduire
cette mortalité par des traitements anti-arythmiques se sont
révélées au mieux inefficaces, et au pis,
dangereuses.6,7
Au milieu des années 1990, 2 études, MADIT 1 (Multicenter
Automatic Defibrillator Implantation
Trial)8 et
MUSTT (Multicenter Unsustained Tachycardia
Trial)9 ont
sélectionné des patients avec antécédent d'IDM,
FEVG inférieure à 40 %, TVNS, et tachycardie ventriculaire
induite pendant l'EEP, et les ont randomisés pour recevoir un
traitement médical standard ou un traitement anti-arythmique
(essentiellement par défibrillateur). Malgré les
différences existant entre ces études, il était
observé une réduction de 23 % dans la mortalité absolue
chez les patients traités par DCI pendant 2 à 3 ans de suivi. En
d'autres termes, environ 4 patients présentant ces facteurs de risques
devraient recevoir un DCI pour sauver 1 vie. Des études
ultérieures (Multicenter Automatic Defibrillator Implantation Trial 2
[MADIT 2]10 et Sudden Cardiac Death Heart Failure Trial [SCD-HeFT]11) ont
étudié des patients légèrement plus
affectés (FEVG < 30 % dans MADIT 2 ou < 35 % avec ICC dans
SCD-HeFT) et ont éliminé la nécessité de
démontrer une ectopie ventriculaire ou une arythmie ventriculaire
soutenue à l'exploration électrophysiologique invasive. La
réduction de la mortalité absolue a été plus
modeste dans ces études (5 %-7 %), tout en restant significative, avec
environ 11 à 17 patients traités pour sauver 1 vie
(Tableau). Monsieur M. aurait
répondu aux critères d'inclusion de ces dernières
études; selon ces résultats, il pourrait
bénéficier d'une réduction moyenne de 6 % de son risque
de mort subite cardiaque
(Tableau).
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Tableau.. Études contrôlées randomisées pouvant concerner
Monsieur M.
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Influence du délai suivant l'IDM sur le risque de mort subite
La conviction de Monsieur M. d'être hors de danger compte tenu des 7
années passées depuis son IDM n'est pas dénuée de
sens. Au moment d'un IDM, près de la moitié du risque de
mortalité subséquente d'un patient sera liée à une
mort subite arythmique. L'étude VALIANT (Valsartan in Acute Myocardial
Infarction study) a recruté 14 000 patients similaires à
Monsieur M., dans les 6 jours de leur IDM; ils présentaient tous une
dysfonction ventriculaire gauche ( 40 %) et/ou une insuffisance
cardiaque.12
Ces patients ont été randomisés pour recevoir un
traitement par inhibiteur de l'enzyme de conversion, antagoniste de
l'angiotensine II, ou les deux. Dans une sousétude, il a
été observé que ces patients présentaient le
risque le plus élevé de mort subite dans le premier mois suivant
l'IDM. Ce risque diminuait par la suite pour atteindre un taux stable à
1 an. Dans cette analyse, le risque le plus élevé (2,5 %) se
situait dans le premier mois chez les patients ayant une fraction
d'éjection de 30 % ou moins. Le taux de mort subite atteignait ensuite
un plateau à 0,15 % par mois. Il est intéressant de noter qu'une
étude séparée, évaluant le rôle des DCI dans
le post-infarctus précoce (DINAMIT [Defibrillator in Acute Myocardial
Infarction Trial]), n'a trouvé aucun bénéfice, en termes
de mortalité, associé à l'implantation précoce
d'un DCI post-IDM (6-40 jours suivant l'IDM), chez des patients avec une
fraction d'éjection de 35 % ou
moins.13 De
multiples facteurs, incluant la récupération de la fonction
ventriculaire gauche, la mort subite due à une ischémie
récurrente non modérée par un DCI, et l'excès de
mortalité potentiel lié au DCI dans la période
précoce post-IDM, peuvent avoir contribué à ce
résultat négatif. Actuellement, les recommandations stipulent
que les décisions concernant l'implantation d'un DCI doivent être
différées au-delà de 40 jours après un
IDM.14
Monsieur M. se situe au-delà de la phase précoce post-IDM,
mais est bien représenté par 2 des études
précédemment citées. Les groupes témoins des
études MUSTT et MADIT 2 incluaient des patients à respectivement
3 et 7 ans en moyenne de leur IDM. Ces études incluaient des patients
avec une incidence élevée d'ICC et un faible taux d'utilisation
de β-bloquants et d'IEC, et ont trouvé que pendant un suivi moyen
de 3 ans, les taux de mortalité étaient plus de 2 fois
supérieurs à ceux rapportés dans l'étude
VALIANT.12
Une sous-étude de MADIT 2 a évalué l'influence du
délai post-IDM sur le bénéfice obtenu de l'implantation
d'un DCI.15
Dans cette analyse, la réduction de la mortalité associée
à l'implantation d'un DCI persistait même chez les patients
recrutés plus de 10 ans après un IDM. En conséquence, la
pratique actuelle consiste à attendre au moins 6 semaines après
l'IDM, mais pas de limiter le délai post-IDM pour envisager
l'implantation d'un défibrillateur. En résumé, Monsieur
M. peut supposer qu'il continue de présenter un risque
élevé d'arythmie malgré les 7 ans écoulés
depuis son IDM, qui pourrait être réduit par l'implantation d'un
DCI.
Tests pour déterminer à qui bénéficie le DCI
Un autre moyen fondamental d'optimiser l'utilisation du traitement par DCI
consiste à sélectionner plus efficacement les patients qui en
tireront avantage. Actuellement, les indicateurs prédictifs de risque
non invasifs incluent le degré de dysfonction ventriculaire gauche et
les examens électrocardiographiques qui distinguent les
activités électriques anormales. La stimulation ventriculaire
droite programmée est une procédure minimalement invasive, qui
constitue historiquement une méthode de référence pour
identifier le risque d'arythmie.
Exploration électrophysiologique invasive. Le rôle de
l'exploration électrophysiologique dans la stratification du risque a
été testé le plus directement dans l'étude
MUSTT,16 qui
nécessitait une étude positive pour l'inclusion. Les patients
étaient ensuite randomisés pour recevoir un traitement
médical standard ou un traitement anti-arythmique (essentiellement par
défibrillateur). Les patients qui n'avaient pas d'arythmie
ventriculaire soutenue induite à l'EEP étaient suivis dans un
registre. Les patients qui avaient une arythmie ventriculaire
déclenchable et qui étaient dans le groupe témoin avaient
une incidence de mort subite à 2 ans de 18 %, tandis que les patients
qui n'avaient pas d'arythmie déclenchable et étaient suivis dans
le registre avaient une incidence de mort subite à 2 ans de 12 %. Le
risque significatif de mortalité dans le groupe non inductible de
l'étude MUSTT soutenait l'élimination de l'EEP comme
critère d'inclusion dans l'étude MADIT 2. Une sous-étude
de l'étude MADIT 2, incluant la réalisation d'une EEP,
démontrait qu'une EEP positive, trouvée chez 593 des 742
patients traités par défibrillateur, était
corrélée à une augmentation du risque subséquent
de tachycardie ventriculaire, mais pas de fibrillation
ventriculaire.17
Actuellement, l'exploration électrophysiologique n'est pas requise pour
la stratification du risque chez les patients coronariens avec FEVG
inférieure à 30 %; cette exploration aurait peu de valeur
prédictive additionnelle dans le cas de Monsieur M. Pour les patients
ayant une fraction d'éjection entre 30 % et 40 %, l'EEP pourrait
ajouter une certaine valeur prédictive; cependant, comme cela a
été démontré dans le registre MUSTT, elle
néglige également une proportion significative de patients
à risque d'arythmie ventriculaire mortelle.
Dysfonction ventriculaire gauche. Le degré de dysfonction
ventriculaire gauche, particulièrement lorsqu'il est inférieur
à 40 %, reste l'un des facteurs prédictifs les plus forts de
mort subite et de mortalité toutes causes confondues. Cette association
a été régulièrement démontrée, tant
avant qu'après l'avènement des traitements de reperfusion
primaires et de l'usage intensif de médicaments
post-IDM.3-5
Cette association est particulièrement forte lorsque la fraction
d'éjection est inférieure à 30 %, comme dans le cas de
Monsieur
M.12
Malheureusement, la réduction de la fraction d'éjection n'est
pas en soi un facteur suffisant de stratification du risque de mort subite.
Ainsi, il reste un groupe significatif de patients coronariens avec fraction
d'éjection supérieure à 30 % qui sont à risque de
mort subite, dont l'identification nécessite l'utilisation d'autres
marqueurs.
Insuffisance cardiaque congestive. La présence d'ICC chez les
patients coronariens avec une dépression de la fraction
d'éjection majore le risque de mort subite et de mortalité
toutes causes
confondues.1,11,18
L'étude MERIT-HF (Metoprolol CR/XL Randomized Intervention Trial in
Chronic Heart Failure), portant sur l'utilisation des β-bloquants dans
l'ICC de classe NYHA (New York Heart Association) II à IV, a
trouvé que les taux de mortalité subite et toutes causes
confondues augmentaient parallèlement à l'augmentation de la
classe d'insuffisance
cardiaque.19
Cependant, la proportion relative de mortalité subite à toutes
causes confondues était substantiellement supérieure chez les
patients avec une insuffisance cardiaque moins sévère (taux de
mort subite de 64 % pour la classe II comparé à respectivement
59 % et 33 % pour les classes III et IV). En conséquence, la
présence d'ICC, même relativement compensée, augmente le
risque de mort subite. Les doléances de Monsieur M. concernant son
intolérance à l'effort suggèrent une ICC de classe II.
Les recommandations actuelles soutiennent l'implantation d'un DCI chez les
patients avec ICC de classe II et III ou chez les patients avec
cardiomyopathie ischémique ou non ischémique, ainsi qu'une
fraction d'éjection de 35 % ou
moins.2,14,20
(Encadré).
Arythmie ventriculaire. Les deux premières études sur
l'utilisation du DCI en prévention primaire de la mort subite (MADIT 18
et MUSTT9) requéraient la présence d'une TVNS au moins 1 mois
post-IDM pour l'inclusion. Une évaluation plus récente de 2 130
patients avec IDM aigu, dont 70 % avaient subi une revascularisation coronaire
et 94 % étaient traités par β-bloquants, a trouvé
que la TVNS était un facteur prédictif plus robuste de mort
subite chez les patients avec une fonction ventriculaire plus
préservée que chez ceux avec une FEVG inférieure à
35 %.21
Cette observation soutient l'élimination du critère de TVNS dans
l'étude MADIT 2, dans laquelle seule la fraction d'éjection
qualifiait les patients pour
l'inclusion.10
En résumé, la TVNS est un critère pertinent pour
identifier le risque chez les patients coronariens avec une fraction
d'éjection entre 30 % et 40 %, mais pas chez ceux ayant une fraction
d'éjection inférieure à 30 %. Le délai et la
méthode d'identification de la TVNS restent non
standardisés.
Allongement de la durée de QRS. Dans l'étude
MUSTT,9
l'élargissement du QRS avec un bloc de branche gauche, mai pas de bloc
de branche droit, était associé à une augmentation de la
mortalité subite et toutes causes
confondues.22
Les patients avec une dépression de la fonction ventriculaire gauche
due à une coronaropathie sont considérés comme candidats
au DCI, quelle que soit la morphologie des QRS; cependant, les patients avec
un bloc de branche gauche présentent souvent une activité
désynchronisée du ventricule gauche et doivent être
considérés pour une resynchronisation cardiaque avec un
défibrillateur
biventriculaire.20
Encadré. Recommandations actuelles concernant les
défibrillateurs cardiaques implantables (DCI) dans la prévention
primaire de la mort subite*
Indication de classe 1 (situations dans lesquelles il y a une preuve et/ou
un accord général pour dire qu'une procédure ou un
traitement donnés sont bénéfiques, utiles et
efficaces):
Antécédent d'infarctus du myocarde (IDM) documenté,
fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG) de 30 % à 40 %
ou moins, l'IDM devant être survenu plus de 40 jours avant
l'implantation du DCI, insuffisance cardiaque congestive (ICC) de classe NYHA
(New York Heart Association) II ou III
Cardiomyopathie non ischémique d'une durée de plus de 9 mois
avec FEVG de 35 % ou moins et ICC de classe NYHA II ou III
Indication de classe 2 (situations dans lesquelles le poids de la preuve
et/ou de l'opinion est en faveur de l'utilité/efficacité):
Antécédent d'IDM documenté, FEVG de 30 % à 35 %
ou moins, ICC de classe NYHA I; l'IDM doit être survenu plus de 40 jours
avant l'implantation du DCI.
* Basé sur les recommandations 2006 de l'ACC (American
College of Cardiology)/AHA (American Heart Association)/ESC
(Société Européenne de
Cardiologie).14
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Alternance de l'onde T. L'alternance de l'onde T se réfère
aux fluctuations microscopiques d'amplitude de l'onde T (durée ou
morphologie de l'onde T), qui peuvent prédire le risque arythmique chez
les patients avec un substrat cardiaque
anormal.23
Ce test est effectué par une analyse spécifique de
l'électrocardiogramme pendant une épreuve d'effort. Une
récente étude contrôlée randomisée sur
l'alternance de l'onde T, menée chez des patients avec coronaropathie
et FEVG inférieure à 40 %, a démontré qu'un test
négatif était associé à une survie à 2 ans
de 97,5 %, soutenant l'excellente valeur prédictive négative de
ce
marqueur.24
La valeur d'un test positif est modeste (taux de 15 % de décès
à 2 ans), et sa performance est limitée chez les patients qui ne
peuvent pas faire d'effort et atteindre une fréquence cardiaque cible
de plus de 105 battements/min. La généralisation de
l'utilisation de l'alternance de l'onde T dans la stratification du risque
dépendra de sa performance dans des études cliniques
randomisées plus vastes. Néanmoins, une mesure de l'alternance
de l'onde T négative permettrait, dans une certaine mesure, de rassurer
Monsieur M. s'il devait continuer à répugner à
l'implantation d'un DCI.
Les marqueurs précédemment décrits pour la mort subite
restent inadéquats pour cerner complètement toute la population
à risque et pour exclure les patients ne requérant pas de
prévention primaire. Nombre de ces marqueurs n'ont pas encore
été analysés de manière suffisamment approfondie
pour permettre leur inclusion dans les recommandations cliniques. Des
études sont en cours pour évaluer l'utilité de certains
des ces marqueurs plus récents, seuls et combinés, afin
d'améliorer la spécificité de nos recommandations. Les
caractéristiques des patients recevant actuellement un DCI en
prévention primaire de la mort subite, ainsi que leur évolution,
seront suivis par les hôpitaux participant au registre DCI de l'ACC-NCDR
(American College of Cardiology's National Cardiovascular Data
Registry).25
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Figure 2.. Système de défibrillateur cardiaque implantable (DCI) double
chambre
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Les recommandations actuelles concernant la prévention primaire de
la mort subite (Encadré) classeraient Monsieur M. comme ayant une
indication de classe 1 pour l'implantation d'un
DCI.14
Risques liés à l'implantation d'un DCI
Monsieur M. est prudent, à juste titre, quant au fait de subir une
intervention chirurgicale. Les défibrillateurs implantables sont
posés sous anesthésie locale avec sédation consciente.
Les risques majeurs de l'implantation incluent la perforation cardiaque ou
vasculaire, le pneumothorax, et le déplacement de sonde. Ces
complications sont relativement peu fréquentes (< 3 %).26,27 Des
hématomes au niveau de la loge des défibrillateurs implantables
surviennent fréquemment, particulièrement chez les patients sous
traitement
anticoagulant.26
La morbidité à moyen terme associée aux DCI inclut les
traitements inappropriés (chocs), délivrés le plus
souvent lorsqu'une tachyarythmie supraventriculaire est confondue avec une
tachyarythmie
ventriculaire.28
La fréquence de ces traitements inappropriés a diminué
avec le développement d'algorithmes de plus en plus
sophistiqués, qui différencient la tachycardie
supraventriculaire de la tachycardie ventriculaire; ils sont cependant encore
observés chez 15 % des patients sur la durée de vie de leur
appareil.28-30
Les rafales de décharges inappropriées ou appropriées
sont inhabituelles, mais peuvent produire une anxiété et une
dépression
sévères.31-33
Des fractures de sonde ou des ruptures d'isolant peuvent être
rencontrées, particulièrement chez les individus physiquement
actifs qui pratiquent des exercices du membre supérieur
répétitifs. Dans une série de patients ayant des
complications liées à l'appareil, 2 % à 7 % des patients
avaient des fractures de sonde ou des défauts d'isolant.26 Des
infections au niveau de la poche de l'appareil ou des systèmes de
sondes intravasculaires surviennent dans 0,5 % à 2 % des cas,
particulièrement dans le cadre des remplacements des
générateurs, et peuvent nécessiter le retrait de
l'ensemble du
système.34
Ce retrait peut avoir des effets délétères, et est
associé à un taux de mortalité de 1
%.34 Enfin,
une défaillance mécanique due à un défaut de
fabrication peut nécessiter des rappels
d'appareils.35
La défaillance mécanique peut concerner l'ensemble des
composantes du DCI, incluant le générateur (batterie,
condensateur, mécanisme de vis fixant les sondes au
générateur) et toutes les composantes des sondes de stimulation
et de défibrillation (Figure
2). Certaines de ces défaillances concernent des composants
du DCI qui nécessitent un remplacement obligatoire, alors que d'autres
peuvent être réparées par une procédure non
invasive.36
Facteurs économiques associés à l'implantation d'un DCI
Monsieur M. est préoccupé par le fait qu'une motivation
d'ordre économique puisse influencer les recommandations du
médecin quant à l'implantation d'un défibrillateur, et
qu'elle le rende moins réceptif à la répugnance des
patients à cette intervention. Cette préoccupation est
compréhensible et explique partiellement la contrainte imposée
aux médecins de pratiquer une sélection basée sur la
preuve, selon des critères publiés, pour décider
l'implantation d'un
DCI.14
Enfin, si Monsieur M. craint que le médecin n'agisse pas dans son
meilleur intérêt, il doit prendre un deuxième avis.
Le système de santé dans son ensemble devrait
s'inquiéter des dépenses liées aux DCI. Les études
susmentionnées, qui ont confirmé la supériorité du
DCI comparé au traitement médical standard, ont
entraîné une augmentation surprenante du nombre d'implantation de
défibrillateurs aux
États-Unis.37
Selon la tarification du programme Medicare du Massachussetts, le paiement des
hôpitaux par DRG (Diagnostic Related Groups) pour l'implantation de DCI
est actuellement de $45 000, auxquels s'ajoutent les honoraires du
médecin d'environ $1
000.38 Une
analyse des coûts, incluant les études décrites ci-avant,
a trouvé que l'implantation d'un DCI en prévention primaire
permettait de gagner 1 à 3 années de vie ajustées sur la
qualité (QALY). Le coût par QALY calculé
s'échelonnait de $34 900 à $70 200.39 Aux États-Unis, les
coûts situés dans la fourchette de $50 000 à $100 000 par
QALY sont généralement considérés comme
acceptables en matière de traitements préventifs. En revanche,
une analyse économique de l'étude MADIT 2, publiée
récemment, qui montrait une réduction significative, mais
inférieure, du risque de décès, a trouvé un
coût défavorable de $235 000 par année de vie
gagnée sur la courte période (3,5 ans) de
l'étude.40
Les caractéristiques de Monsieur M. le placent dans ce groupe. Les
auteurs ont estimé que les coûts diminueraient à $80 000
à $110 000 par année de vie gagnée sur 10 à 12 ans
de suivi.
Suivi des patients avec DCI
Les défibrillateurs implantables doivent être soumis à
une interrogation en consultation spécialisée, 2 à 3 fois
par
an.41,42
De nombreux médecins recommandent aux patients d'effectuer une visite
à l'hôpital une fois par an pour induire une fibrillation
ventriculaire et s'assurer qu'elle est détectée et correctement
traitée par
l'appareil.41,42
Le défibrillateur est « interrogé » par application
d'un aimant de programmation sur la peau. Cette opération est
effectuée régulièrement pour s'assurer que le
système du DCI fonctionne correctement et pour documenter toute
anomalie de fréquence cardiaque éventuellement survenue entre
les visites de suivi. Une nouvelle technologie permettra d'effectuer une
grande partie de cette interrogation de l'appareil à
distance.43
La durée de vie d'une batterie est généralement de 5
ans; ses indicateurs de fin de vie commencent à se manifester dans
l'année d'épuisement de la batterie. Le remplacement de la
batterie ou du générateur est une procédure simple
générant une morbidité
minimale.26
Les défaillances du système sont signalées par
l'émission de bips audibles par le patient et doivent motiver une
visite à la consultation de défibrillation. Les recommandations
relatives à la conduite après l'implantation d'un DCI varient en
fonction des
états.44
Si l'appareil est posé en prévention primaire (pas d'arythmie
Symptomatique), la conduite est autorisée 2 semaines après la
procédure. En général, les patients ne doivent pas
conduire pendant au moins 6 mois après une arythmie symptomatique
incluant une décharge de DCI
appropriée.44
Les patients doivent être informés qu'une décharge de
défibrillateur est douloureuse et produit généralement
une sensation ressemblant à un coup violent porté à la
poitrine (Figure
1A).42
Les arythmies interrompues par une stimulation (antitachycardique) rapide
programmée (Figure 1B)
sont généralement asymptomatiques et ne sont
détectées que pendant l'évaluation du DCI de
routine.42
Les défibrillateurs actuels sont bien isolés contre les
micro-ondes et leur fonctionnement n'est pas perturbé par les
téléphones
cellulaires.45,46
L'exposition au champ magnétique d'un IRM ou d'une soudeuse à
l'arc peut endommager le système du DCI et le rendre
inefficace.45,46
Les aimants de détection utilisés dans la sécurité
des aéroports peuvent suspendre provisoirement la capacité de
l'appareil à détecter les
tachyarythmies,47
de même que l'application d'un aimant au-dessus du
générateur de l'appareil. L'application d'un aimant est utile
pendant une intervention chirurgicale, où le bistouri électrique
peut générer des signaux susceptibles d'être
interprétés à tort par l'appareil comme une tachyarythmie
ventriculaire.45
Décider l'implantation d'un DCI
Monsieur M. répond aux critères requis pour l'implantation
d'un DCI selon les résultats de l'étude MADIT 2, sans devoir
effectuer d'EEP diagnostique. Malgré ces recommandations, Monsieur M.
se sent bien et souhaiterait éviter toute procédure invasive,
notamment l'implantation d'un DCI. Le fait qu'il reçoive un traitement
pharmacologique optimal et qu'il présente une durée de QRS
normale, ainsi qu'une ICC légère (classe II) peut
améliorer son pronostic. Son risque de mort subite pourrait être
mieux défini de manière non invasive par une analyse de
l'alternance de l'onde T négative, qui permettrait de confirmer un
risque réduit de mort arythmique. Néanmoins, Monsieur M. doit
comprendre que s'il mourait d'une cause cardiaque dans les prochaines
années, ce serait probablement d'une arythmie ventriculaire susceptible
d'être prévenue par un défibrillateur.
La dernière partie, et sans doute la plus importante, de la
discussion concernant Monsieur M. doit concerner la relation entre les
informations qu'il a recueillies sur l'implantation d'un DCI et sa perception
personnelle de son mode de vie. Pour certains patients, la
sécurité apportée par le port d'un DCI pour interrom-pre
l'arythmie mortelle constitue un grand confort personnel, de même que
pour leur famille. Pour d'autres, la présence physique d'un appareil,
ainsi que le stress associé à ses décharges
appropriées et inappropriées, détériorent
significativement leur qualité de vie. Certains patients,
particulièrement ceux avec une ICC sévère, peuvent
trouver plus séduisante une mort due à une arythmie
ventriculaire que celle due à un oedème pulmonaire
récidivant ou à une insuffisance cardiaque. De même, un
patient âgé peut ne pas souhaiter prolonger sa vie et trouver
l'arythmie ventriculaire mortelle préférable à d'autres
causes possibles de décès. De nombreux patients
apprécient l'utilité des discussions avec les groupes de
soutien, qui permettent de mieux documenter les décisions sur
l'implantation d'un DCI et de clarifier les questions irrésolues sur la
vie avec un défibrillateur. Enfin, les médecins ont la
responsabilité de ne pas simplement présenter des
données, mais d'avoir également une discussion honnête et
individualisée avec les patients concernant les implications de leurs
décisions. Si les faits sont présentés avec clarté
et bienveillance, les patients seront en mesure de prendre les bonnes
décisions.
QUESTIONS ET DISCUSSION
QUESTION: Un récent article du JAMA suggère que les
femmes présentent un risque beaucoup moins élevé de mort
subite cardiaque que les hommes.48 Pourriez-vous dire si certaines des
études présentées incluaient des femmes, et dans
l'affirmative, si elles ont été étudiées en
sous-groupe?
DR ZIMETBAUM: L'article publié récemment rapportait
une faible incidence de mort subite survenant pendant l'effort chez les femmes
comparées aux hommes. Ce risque était encore plus réduit
avec la pratique régulière (> 4 heures par semaine)
d'exercices aérobiques. En général, les femmes
étaient relativement sous-représentées dans les
études randomisées des DCI en prévention primaire
(Tableau). Des études en
population générale ont cependant indiqué des taux
relativement équivalents de mort subite chez les femmes et les
hommes.49 Jusqu'à ce qu'une nouvelle étude de femmes
suggère le contraire, je pense que les cliniciens doivent traiter les
hommes et les femmes de la même façon dans le suivi des
recommandations mentionnées.
QUESTION: Une grande partie de cette décision dépend
de la question relative à la fraction d'éjection du patient, qui
est notoirement subjective. Y a-t-il eu une quelconque initiative en faveur
d'une standardisation du calcul de la fraction d'éjection? Parce qu'on
entend souvent dire dans la communauté « Oh, c'est moins de 30.
»
DR ZIMETBAUM: C'est une question très importante. Dans la
plupart des situations cliniques, la fonction ventriculaire gauche est
déterminée par une évaluation assez subjective de la
fonction contractile, c'est-à-dire une estimation approximative de la
fraction d'éjection à partir d'un échocardiogramme. Nous
basons nos décisions sur la fraction d'éjection
échocardiographique, compte tenu du fait que c'est la modalité
utilisée dans la plupart des études. Une estimation plus
quantitative de la fraction d'éjection peut être obtenue par
l'IRM, que nous employons occasionnellement si les fenêtres
échocardiographiques sont sous-optimales. J'ai bon espoir que des
études futures sur les nouvelles technologies nous permettront de
prendre des décisions sur l'implantation des DCI en nous basant sur de
multiples facteurs prédictifs de risque, qui incluront la fraction
d'éjection, sans en dépendre exclusivement.