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Temps de travail des médecins en formation: évaluation des aménagements.Plus reste à faire
David O. Meltzer, MD, PhD;
Vineet M. Arora, MD, MA
Les longues heures effectuées par les médecins
résidents (ou internes de spécialité) suscitent, depuis
ces quelques dernières années, des préoccupations
grandissantes concernant la sécurité des patients ainsi que la
santé et la formation des résidents euxmêmes. Dans la
couverture médiatique des réformes des horaires, la question de
la sécurité des patients a été longuement
commentée. On dispose cependant de relativement peu de preuves
attestant que les longues heures effectuées par les résidents
affectent négativement les résultats
thérapeutiques.1
En effet, quand l'Accreditation Council for Graduate Medical Education (ACGME)
a décidé d'appliquer les réformes des horaires, certains
ont exprimé leurs inquiétudes en ces termes : les soins
thérapeutiques ne risquent-ils pas de souffrir du manque de
continuité dans les prestations ou des coûts imposés par
le personnel supplémentaire qu'il va falloir recruter pour pallier aux
restrictions d'horaire?
2,3
Des préoccupations de cet ordre soulignent l'importance
particulière que prennent les analyses empiriques des
conséquences des restrictions d'horaire.
Les 2 articles du Dr Volpp et de ses
collègues4,5
publiés dans ce numéro du JAMA sont parmi les premières
études à examiner les changements intervenus dans les soins
thérapeutiques après les réformes des horaires mises en
place par l'ACGME. L'une de ces
études4
ne relève pas d'effets probants sur la mortalité chez des
patients Medicare. L'autre
étude5
relève quelques preuves d'une réduction de la mortalité
chez les patients des hôpitaux pour anciens combattants (VA) aux
États-Unis, en particulier les patients atteints d'infarctus aigu du
myocarde (IDM) deux ans après la mise en place des réformes des
horaires. Basée sur des données provenant d'une fraction
importante d'hôpitaux américains, une autre vaste étude
récente6
a relevé quelques preuves de réduction de mortalité chez
des patients des centres hospitalo-universitaires après la mise en
place des réformes des horaires. Les résultats de ces 3
études vont sans doute rassurer ceux qui craignaient que les
réformes des horaires portent atteinte à la qualité des
soins thérapeutiques. Par ailleurs, ces mêmes résultats
peuvent encourager ceux qui espéraient que les dites réformes
amélioreraient la qualité de ces soins.
Bien qu'il ait été suggéré que la
mortalité avait baissé dans certains sous-groupes, une
impression générale subsiste estimant que les restrictions des
heures de travail ont eu peu d'effet sur la mortalité des patients.
Cette impression se renforce si l'on considère que, dans l'étude
VA, l'effet constaté sur la mortalité du sous-groupe IAM deux
ans après les réformes n'était que l'une de plusieurs
analyses de sous-groupes effectuées. De plus, ce sous-groupe n'est pas
nécessairement l'un de ceux dans lesquels on s'attendrait à ce
que les réductions des horaires impactent la mortalité parce que
la plupart des interventions visant à réduire la
mortalité par IDM (c.-à-d. le dépistage précoce ou
des traitements comme la thrombolyse ou l'intervention coronaire
percutanée) sont souvent entamées avant l'hospitalisation ou
dans le service d'urgence où les horaires de travail ne modifient
probablement pas les modèles des
pratiques.7
En effet, dans le système VA régionalisé, on constate que
seuls les hôpitaux enseignants ont recours à ces technologies
cardiaques et que les patients IDM initialement admis dans ces hôpitaux
ont de meilleurs
résultats.8
Cette constatation est particulièrement intéressante quand on
considère qu'en 2004 les hôpitaux enseignants VA ont obtenu de
meilleurs résultats que les autres hôpitaux VA. Or, c'est en
juillet 2004 que l'American College of Cardiology et l'American Heart
Association ont publié leurs directives mises à jour pour la
prise en charge des patients IDM et ces directives peuvent très bien
avoir été adoptées plus rapidement par les hôpitaux
éducatifs. Il se peut aussi que d'autres tendances séculaires
caractérisant les hôpitaux plus importants ou éducatifs du
système VA expliquent les différences observées chez les
patients par le Dr Volpp et ses
collègues,5
des tendances telles qu'un codage plus agressif de la comorbidité chez
les patients pendant la période rapportée par les chercheurs.
Ces possibilités renforcent l'impression qu'on ne dispose toujours pas
de preuve évidente permettant d'affirmer que les réformes des
horaires ont un effet sur la mortalité.
Ce ne sont là que des indications partielles et d'autres preuves
sont nécessaires pour évaluer plus globalement les effets de la
réforme des horaires. En matière de soins de santé, des
résultats comme la morbidité et les coûts peuvent
également être affectés et il est plus facile d'identifier
des indices d'évaluation des procédures, tels que les taux des
erreurs médicales, quand les répercussions sur les coûts
et les résultats thérapeutiques sont moins importantes. Au moins
2 études menées dans des institutions
uniques10,11
ont constaté des effets bénéfiques sur ces autres indices
d'évaluation. Il est également probable que les réformes
des horaires offrent aux médecins résidents des avantages
directs. Se fatiguant moins, ceux-ci apprennent mieux et évitent les
blessures dues à la fatigue, telles qu'accidents de la route et
piqûres de
seringues.12,13
Par contre, les réformes des horaires peuvent induire chez le
résident une mentalité de « travail par pauses », ce
qui risque d'affaiblir son sens de responsabilité personnelle, un
élément essentiel du professionnalisme
médical.14
Même des préoccupations théoriques comme celle-là
ne sont pas simples à évaluer parce qu'on pourrait
rétorquer que l'on devrait, de plus en plus, définir le
professionnalisme en termes d'intégration du médecin à
des équipes et que les réformes des horaires fournissent
l'occasion d'apprendre aux résidents comment passer la main et quel
comportement professionnel adopter quand les soins de santé sont
administrés en
équipes.15
Tous ces effets potentiels des horaires de travail méritent
d'être pris en considération dans une analyse exhaustive de la
réforme des horaires, analyse qui devrait aussi envisager les
stratégies alternatives. Par exemple, prévoir une relève
nocturne afin de permettre de petits sommes pendant la nuit pourrait augmenter
le temps de sommeil en cours de garde et réduire la fatigue
d'après garde, ce qui améliorerait la continuité des
soins en rendant possibles de plus longues pauses après les
gardes.16 En
revanche, dans 2 études
nationales,17,18
des internes rapportent, après les restrictions des horaires, moins de
sommeil pendant les gardes de nuit et plus de transferts de
responsabilité.
Il existe cependant un effet des réformes des horaires que l'on ne
peut guère remettre en question : ces réformes ont abouti
à des changements importants au sein du personnel des hôpitaux
éducatifs. Une partie du travail qu'accomplissait auparavant le
personnel de l'institution est maintenant pris en charge par des
médecins résidents et des associés ainsi que par du
personnel nouvellement engagé pour assurer un service de soutien,
notamment des aides-hospitaliers et des cliniciens
non-médecins.19,20
Tous ces changements entraînent des coûts explicites (frais de
recrutement de nouveaux effectifs) ou implicites (le temps que les
résidents ou les associés ne consacrent pas à d'autres
activités). Ces coûts doivent aussi être
évalués dans le cadre d'une analyse complète des effets
des réformes des horaires. Une étude suggère que, pour
neutraliser les coûts des réformes des horaires, il faudrait, du
point de vue sociétal, une réduction importante (entre 5,1 et
8,5 %) des effets indésirables et que cette réduction devrait
être plus importante encore (entre 18,5 et 30,9 %) pour neutraliser les
coûts des hôpitaux
éducatifs.21
Il se peut, en effet, que la réaffectation des tâches aux
résidents, associés, aides-hospitaliers et autres cliniciens
soit un facteur important à considérer pour comprendre tout
changement dans les résultats thérapeutiques après les
réformes des horaires et surtout dans les résultats positifs,
car ces cliniciens peuvent souvent avoir plus d'expérience que les
médecins résidents. Si des ajustements de cet ordre sont
nécessaires pour maintenir les soins après les réformes
des horaires, il est très probable que, par rapport à des
institutions prospères, des institutions éducatives moins bien
nanties aient constaté une régression de leurs résultats
thérapeutiques après les réformes des horaires. En outre,
on n'a pas encore déterminé ni les effets à long terme ni
les résultats thérapeutiques ultérieurs de ces
réaffectations du travail en fonction de l'expérience et de la
formation clinique des internes. Malgré les changements importants mis
en place par les hôpitaux éducatifs, l'adhésion aux
restrictions des horaires n'est pas
entière.17
Ceci soulève la question de l'interprétation des études
qui, comme celle du Dr Volpp et de ses
collègues,4,5
n'évaluent pas l'adhésion. Nous avons besoin d'études qui
évaluent tant l'adhésion que les résultats
thérapeutiques chez des patients pris en charge par des
résidents avant et après les réformes des horaires.
Avec les aménagements d'horaires déjà en place,
même si des preuves suggérant des effets négatifs dus
à la réforme étaient identifiées, il semble peu
probable que ces changements soient inversés parce que, pour les
responsables des institutions, ils présentent des avantages.
Néanmoins, il vaut probablement la peine de comprendre quelles
réactions institutionnelles aux réformes des horaires sont les
plus efficaces et rentables. Les suggestions émises par des experts du
sommeil soulignent l'importance de cette remarque. Ces experts estiment que
les horaires actuellement en place compromettent toujours la
sécurité des patients et l'éducation des
résidents, si bien que l'on devrait envisager de raccourcir encore le
temps de
travail.22
Nul doute qu'il s'agit là, dans la perspective de la science du
sommeil, de suggestions attrayantes, mais les niveaux divers d'adhésion
et le manque de données relatives aux conséquences des
restrictions actuelles suggèrent que l'on devrait, avant de mettre en
place d'autres limitations, recueillir de meilleures données sur les
effets des limitations initiales du temps de travail.
La façon de procéder pour le faire est un problème
complexe. D'une part, on peut tirer parti de vastes réformes des
politiques, telles que celles proposées par l'ACGME, pour
étudier d'importantes cohortes de patients affectés par les
restrictions des horaires de travail, mais ces réformes n'offrent pas
de groupes de contrôle idéaux. D'autre part, des études
plus ciblées comprenant une randomisation axée sur
différentes limitations des heures de travail pourraient être
menées par des institutions individuelles à condition qu'on leur
accorde les exonérations nécessaires. Ces études
offriraient de meilleurs groupes de contrôle, mais elles
nécessiteraient un effort substantiel pour être bien
coordonnées et fournir des résultats pertinents. Il est
très probable que ces deux types d'étude s'avèreront
utiles. Les études qui, comme celle menée par le Dr Volpp et ses
collègues,4,5
évalueront les effets des horaires, devront être approfondies
afin que des décisions concernant les aménagements du temps de
travail puissent être prises en pleine connaissance de leurs
conséquences.
Informations sur les auteurs
| | Correspondance: David O. Meltzer, MD, PhD, University of Chicago, 5841
S Maryland Ave,MC2007, Chicago, IL 60637
(dmeltzer{at}medicine.bsd.uchicago.edu).
Liens financiers: Aucun déclaré.
Affiliations des auteurs: Departments of Medicine and Economics,
et Graduate School of Public Policy Studies, University of Chicago, Chicago,
Illinois.
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ARTICLES EN RAPPORT
Cette semaine dans le JAMA
JAMA. 2007;298:953.
Texte Complet
Mortalité chez les bénéficiaires d'une assurance maladie de type Medicare au cours des deux premières années suivant la réforme ACGME des heures de travail des résidents
Kevin G. Volpp, Amy K. Rosen, Paul R. Rosenbaum, Patrick S. Romano, Orit Even-Shoshan, Yanli Wang, Lisa Bellini, Tiffany Behringer, et Jeffrey H. Silber
JAMA. 2007;298:975.
Résumé
Mortalité dans les hôpitaux de vétérans sur les deux premières années suivant la réforme de l'ACGME sur les heures de travail des résidents.
Kevin G. Volpp, Amy K. Rosen, Paul R. Rosenbaum, Patrick S. Romano, Orit Even-Shoshan, Anne Canamucio, Lisa Bellini, Tiffany Behringer, et Jeffrey H. Silber
JAMA. 2007;298:984-992.
Résumé
| Texte Complet
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